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Accueil du site > Culture & Loisirs > Culture > D’une féerie à l’autre : Dimitri de Victorin Joncières

D’une féerie à l’autre : Dimitri de Victorin Joncières

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Engagé dans la redécouverte et la diffusion des opéras romantiques français oubliés, le Palazzetto Bru Zane a ressuscité en 2013 Dimitri de Victorin Joncières, journaliste et critique musical devenu compositeur, fervent wagnérien qui se passionne en 1876 pour l’histoire russe. C’est la suite d’un précédent défrichement : en 2011, le Palazzetto recréait à Venise la superbe Symphonie romantique construite dans le même moule que l’opéra, et dans lequel celui-ci trouve son plein épanouissement. Les Ediciones Singulares viennent d’éditer l’enregistrement dans un luxueux et captivant livre-2CD’s. 

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Fils du journaliste Auguste-Félix de Joncières (1811-18 ??), responsable des informations politiques au quotidien anticlérical et pro-impérial La Patrie, Victorin prend ses premières leçons de musique dans le cercle familial, auprès de ses tantes. Il quitte le lycée Bonaparte à 16 ans, en 1855, avec pour objectif de devenir peintre et entre dans l’atelier de Picot (élève de Vincent et David, etc.). Cependant, il conserve un intérêt pour la musique et s’inscrit en parallèle au Conservatoire pour y suivre en amateur les cours d’Aimé-Ambroise-Simon Leborne. La vocation musicale de Joncières finit par prendre le dessus sur son désir de peindre : à vingt ans, après avoir composé une opérette pour les étudiants du Conservatoire qui rencontra un accueil favorable auprès des critiques, il prit la résolution d’abandonner la peinture pour embrasser une carrière exclusivement musicale. Au Conservatoire, il étudia plus sérieusement d’abord l’harmonie avec Antoine Elwart, puis le contrepoint et la fugue avec Fernand Leborne. Cette stabilité ne dura guère, le jeune homme quitte prématurément cette classe à la suite d’une altercation avec son professeur au sujet de Richard Wagner, en pleine découverte de celui-ci et dont il défendra longtemps les théories avant-gardistes. Joncières se consacre directement à la composition et amorce sa carrière fin des années 1850 avec des productions qui ne suscitent pas vraiment l’enthousiasme tant du public que des critiques.

Dès 1870, il s’expérimente à de nouvelles sonorités instrumentales avec sa Symphonie romantique qui trouvent leur épanouissement dans le succès de Dimitri en 1876. Et pourtant la suite de ses oeuvres obscurcissent la renommée de l’artiste car elles ne rencontrent pas un franc-succès. Parallèlement à son activité de compositeur, Victorin Joncières exprima ses opinions en tant que critique musical pendant trente ans sous le pseudonyme de “Jennius” pour le journal La Liberté (de 1871 à 1900). Dans ses articles il soutient César Franck et Emmanuel Chabrier mais il se montre condescendant envers Berlioz et la plupart des compositeurs français. Même si Dimitri fut repris quatorze ans après sa création en 1890, aucun de ses ouvrages ne se maintint jamais au répertoire. Et Joncières tomba rapidement dans l’oubli. Il est intéressant de noter que Victorin Joncières offre l’image rare d’un compositeur lyrique n’ayant pas fait ses premières armes à l’orchestre ou dans le répertoire de musique de chambre, mais qui s’est immédiatement mesuré au genre complexe et exigeant de l’opéra.

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Dimitri est créé le 5 mai 1876. L’oeuvre était déjà achevée au moins cinq ans plus tôt. L’ouvrage avait été conçu si pas comme un « grand opéra », au moins comme une page lyrique ambitieuse. Dimitri aspire au grandiose et surtout à la musique moderne comme l’envisage Joncières. Il lui fallait un théâtre expérimental comme le Théâtre Lyrique National qui accueillit sans crainte celui qui admirait les styles allemands de Mozart, Weber & Wagner. Défenseur du flux continu wagnérien, Joncières demeure attaché au style italien à numéros, en prenant soin des transitions et des passages pour adoucir les contrastes nés des différents enchaînements. La fresque de Dimitri se déroule en tableaux. La diversité des événements fait que Joncières est obliger de les traiter par des motifs et des séquences sans possibilité de les développer davantage. Ainsi, l’air le plus long dure 3 minutes. Si le critique se montre exclusivement wagnériste, le compositeur dévoile un éclectisme qui lorgne du côté des Meyerbeer, Verdi, Gounod, mais aussi Chopin et Bizet (Carmen est créé un an avant Dimitri). C’est une qualité de l’ouvrage : tirer le meilleur des trouvailles du passé et ne pas renier l’héritage des années 1830 afin de faire une synthèse entre le wagnérisme et la clarté de l’esprit français. Dimitri étonne d’emblée par sa clarté soulignant l’oeuvre de synthèse dramatique dont est capable son auteur.

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L’ouverture, en particulier, frappe. Quelle majesté, quelle fluidité ! Joncières passe d’un motif à l’autre et montre toute son habileté de compositeur en les assemblant avec un naturel déconcertant. Tout coule dans cette construction concise. L’ouverture de Dimitri devient un modèle du genre, récapitulatif et lever de rideau à la fois, sens magistral de la transition et du souffle épique. Dès le début, cette teinte slave du thème de Vanda (acte V) colore la partition et participe au charme de l’oeuvre intégrale.Le traitement des choeurs est l’autre agréable surprise. Ecoutez l’homogénéité et l’architecture des couleurs dans le choeur des Bohémiens précédé d’un solo de hautbois élégiaque (Act I, piste 4), ou dans le choeur féérique des Femmes de Vanda (Acte II, piste 14). Les textures trouvées par le Brussels Philharmonic et le Flemish Radio Choir sous la direction de Hervé Niquet font montre de belles convictions face à ce répertoire en première mondiale. Je propose de vous forger une opinion à travers les extraits détaillés ci-dessous

Philippe Talbot en Dimitri se fait remarquer par son aisance dans un rôle plutôt tendu, lui qui a une voix assez légère mais qu’il ne force jamais. On apprécie également la diction parfaite et l’engagement. Dans les autres coups de coeur du casting, il est à noter la délicieuse et amoureuse Gabrielle Philiponet en Marina, ainsi que Jennifer Borghi dans une violente Vanda très convaincante. Hervé Niquet a toujours de réelles affinités avec cet orchestre qu’il a magnifiquement déjà dirigé lors des disques chez Glossa consacré aux Prix de Rome. On retrouve sa passion, son énergie et son intelligence en n’ayant pas peur d’appuyer sans vulgarité là où la partition se montre plus tape-à-l’oeil. 

Voilà donc une exhumation heureuse de première ordre, sans essoufflement, à laquelle il faut attacher tous nos remerciements au centre de musique romantique française Palazzetto Bru Zane et à Ediciones Singulares. Un projet de nouveau réussi comme on en espère encore bien d’autres à l’avenir !

___http://youtu.be/2AE1DcUUBCk____________________________

Victorin Joncières (1839-1903) :
Dimitri, Opéra en cinq actes et sept tableaux
Livret de Henri de Bornier et Armand Silvestre
Création : Théâtre-Lyrique, Paris, 5 mai 1876

I. Acte premier : Ouverture
II. “Les Tsiganes à perdre haleine” (Le Chef des Bohémiens, Les Bohémiens)
III. “Quelle fatigue ! Ah ! Je succombe !” (Marina)
IV. “Marina ! Vasili” (Marina, Dimitri)
V. Acte deuxième : “Palais, plein de lumière” (Vanda, Les Femmes de Vanda)
VI. “Sire, daignez permettre” - extrait (Vanda, Dimitri, Lusace, Le Roi de Pologne, Le Prieur, Les Invités)

Philippe Talbot : Dimitri
Gabrielle Philiponet : Marina
Nora Gubisch : Marpha
Andrew Foster-Williams : Le Comte de Lusace
Jennifer Borghi : Vanda
Nicolas Courjal : L’Archevêque Job
Julien Véronèse : Le Prieur
Jean Teitgen : Le Roi de Pologne
Joris Derder : Le Chef des Bohémiens/Un Officer
Lore Binon : Une Dame d’honneur

Flemish Radio Choir
Flanders Opera Children’s Chorus
Brussels Philharmonic
Hervé Niquet, Direction

2014 Palazzetto Bru Zane - Centre de musique romantique française/Ediciones Singulares ES 1015


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3 réactions à cet article    


  • Renaud Bouchard Renaud Bouchard 10 avril 2014 21:31

    @ l’auteur.

    Très belle présentation d’un chef-d’oeuvre de ce merveilleux répertoire de la musique romantique française.
    Bravo !
    Voyez ici un autre article tout aussi intéressant :



      • Antoine 10 avril 2014 23:20

        Effectivement un enregistrement intéressant qui permet de varier le menu des mélomanes et propose une vision autre du Boris. Cela dit, de Joncières n’est tout de même pas un compositeur de tout premier plan capable de concurrencer parfaitement ses contemporains comme Bizet ou Tchaïkovsky même s’il s’agit d’un compositeur sérieux aux trouvailles parfois originales comme par exemple dans les deux derniers et séduisants (davantage que Dimitri) mouvements de sa symphonie romantique.

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