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Demande à la poussière

Jay McInerney circonscrit le 11 septembre dans « La belle vie », son dernier roman. Sans excès, sans compassion, sans émotion superflue. Le portrait subtil d’une ville debout (New York) et de ses habitants, à la hauteur.

Le 11 septembre 2001 est un objet de fantasme. En littérature aussi. Tout écrivain américain, brillant ou laborieux, confirmé ou prometteur, s’attaquera probablement, un jour ou l’autre, à cette plaie là, cette cicatrice. Ce grand moment de l’Histoire récente qui ne peut ou ne pourra manquer à la fiction. A l’affliction.

Jay McInerney, jeune premier revenu d’une certaine précocité, rangé des excès (qu’il partageait avec son siamois d’écriture, Bret Easton Ellis) a franchi la ligne jaune, rattrapé ground zero dans son dernier roman, le très serré et mélancolique « La belle vie ». On retrouve dès les premières lignes les protagonistes de son classique fitzgéraldien, « Trente ans et des poussières », Russell et Corrine, qui comme au début de « Trente ans » se préparent à dîner, d’abord. Choix des plats, maîtrise des enfants, accueil glacial réservé à la petite sœur de Corrine, « tante Hilary », sexy et jeune. On discute, on échange, on râle, on doute, toute cette agitation rendue avec savoir faire par McInerney, à l’aise dans ce naturalisme là, que certains jugent minimaliste, sinon sans intérêt. Il ne se passe effectivement rien que ce qui se passe chaque jour, chaque soir, ici, ou ailleurs.

Nous sommes à New York, à Tribeca, où 250000 dollars de revenus annuels ne suffisent pas pour bien vivre. Alors on se serre, dans un appartement tout en couloir. Nous sommes à New York, Russel et Corrine ne sont plus ces jeunes gens aux dents très longues assoiffés d’argent et finalement terrassés par les caprices boursiers. Nous ne sommes plus en ces temps d’argent facile et de gloire suspecte, d’ascension fulgurante et de chute fatale. Nous ne sommes plus au milieu ni à la fin des années 80. Nous sommes au début de notre siècle, le vingt et unième. C’est « l’été indien », ce 10 septembre. Plus précisément, c’est l’été indien, ce 10 septembre de l’an 2001. Un été indien foudroyé une matinée plus tard, une matinée du même siècle, mais d’un tout autre.

Nous sommes toujours à New York, un jour plus tard. Plein de jours plus tard. Cendres, papiers, bénévoles, tristesse, appels à témoin, photos de disparus, déblaiement, recherche de corps, corps qui plongent, poussière, odeur, morceaux de corps. Mercredi des Cendres. Jeudi des Cendres. Tous les jours des Cendres. Carbonisation. Et ce feu qui dure, qui dure, qui ne s’éteint pas. Mc Inerney nous dit tout cela, mais le montre peu. Il l’écrit, mais ne le crie pas. Il l’évoque, et l’horreur y passe, toute l’horreur de ces gens, tant de gens, ce peuple de New York, confronté à une espèce de pire. Une sorte d’enfer.

De cette fumée, Corinne voit surgir l’homme qui va changer son couple, sa vie, Luke, heureux comme d’autres, devant l’improbable veine d’être toujours en vie. Entier. Ils se rencontrent, s’abordent, discutent, se plaisent, baisent. La ville est là, encore debout, eux aussi, cette ville, ces rues qu’ils empruntent, comme avant...ou presque : « Ils roulèrent dans la nuit, s’arrêtant à plusieurs postes de contrôle pour livrer des sandwichs et des boissons, et finalement parvenir aux abords du tas, un chaos illuminé par des rampes de projecteurs suspendues dans les airs, où d’énormes grappins se profilaient dans la fumée, activant leurs mâchoires comme des dinosaures, plongeant et relevant leurs têtes avec des poutres de dix mètres entre les dents, tandis que des jets de flammes jaillissaient dans le sillage des débris arrachés. De minuscules silhouettes escaladaient les collines de déchets de bas en haut et de haut en bas, des rangées d’hommes semblables à des bataillons de fourmis sillonnaient les décombres qui s’étendaient au loin, hors de vue. »

Ce n’est plus tout à fait New York, c’est le Monde Perdu. Un lieu inhospitalier peuplé de dinosaures. Une anomalie. Un tas. Mais la vie reprend toujours ses droits, ou ses devoirs. L’incendie maîtrisée, ou ignoré, les boutiques rouvrent, les clients reviennent, le travail reprend. Comme avant. Et les couples se défont, comme toujours. La comédie de McInerney se déroule sous nos yeux, dans un décor de fin du monde, dans un décor de changement de monde. Juste un décor.

Rien ne sera plus comme avant, clament les oracles. Tout est pareil, répond l’écrivain. La vie, ses choix, ses emballements, ses retours à la case départ. Malgré les décombres. Malgré les plaies. Comme si rien ne s’était passé, qu’un peu de poussière.

(Jay McInerney, « La Belle vie » éditions de l’Olivier)


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4 réactions à cet article    


  • LE CHAT LE CHAT 15 mars 2007 10:11

    on y pense malgré tout à chaque que fois qu’un film ou une série tv d’avant 9/11 nous laisse voir les twin towers....


    • Bill Bill 15 mars 2007 10:28

      Votre récit donne vraiment envie de lire le roman. New-York est une ville debout dites vous, et je suppose que vous êtes amateur de Céline, et de « voyage au bout de la nuit » :

      "Pour une surprise, c’en fut une. À travers la brume, c’était tellement étonnant ce qu’on découvrait soudain que nous nous refusâmes d’abord à y croire et puis tout de même quand nous fûmes en plein devant les choses, tout galérien qu’on était on s’est mis à bien rigoler, en voyant ça, droit devant nous... Figurez-vous qu’elle était debout leur ville, absolument droite. New-York c’est une ville debout. On en avait déjà vu nous des villes bien sûr, et des belles encore, et des ports et des fameux mêmes. Mais chez nous, n’est-ce pas, elles sont couchées les villes, au bord de la mer ou sur les fleuves, elles s’allongent sur le paysage, elles attendent le voyageur, tandis que celle-là l’Américaine, elle ne se pâmait pas, non, elle se tenait bien raide, là, pas baisante du tout, raide à faire peur. On en a donc rigolé comme des cornichons. Ça fait drôle forcément, une ville bâtie en raideur."

      Bill


      • bubbledom (---.---.103.105) 20 mars 2007 12:01

        désolé mais là vous faites dans le pire sentimentalisme hollywoodien. Je ne pense même pas que les new-yorkais vous suivraient encore sur ces larmoiements pour pleurer les trois mille victies de cet mise en scène terrifiante qui 1. n’a rien de mystique, 2. rien d’incompréhensible puisqu’aujourd’hui on peut pratiquement suivre toute la procédure de mise en place par l’administration bush de ce jour fatidique. Un sentimentalisme bien partial que vous nous faites là et comme les médias américains chevronnés à la manipulation et à la submersion des citoyens dans le trop plein d’infos, vous nous gavez là avec un article qui refait la même boucle continue, sans les tenants, sans les aboutissants, comme si nous étions encore six ans en arrière. Lors, ridicule et les new-yorkais qui en gde majorité crachent sur ce président faussemnt élu et qui a entraîné toute la planète dans unegeurre éternelle impossible ni à gagner ni à perdre puisqu’elle s’attaque à des ennemis fictifs, tout ce qi’il faut pour de venztrus marchands d’armes ui wse contrefoutent des victimes de ce jour fatidique autant que des millions de morts engendrés à l’autre bout du monde dans l’unique but d’avoir une bonne raison de tyraniser tout le monde pour s’assurer un leadership complètement abscon et monstrueux. Vous prenez ainsi la défense des bourreaux de ce monde. Lamentable. Les victimes par millions aussi en afrique par la misère et la famine organisée de la continuité imposée des politiques internationales économiques aussi viennent s’appuyer sur ce jour alors les pauvres qui se sont jetés des tours auraient pu être recueillis par un hélicoptère de secours qui pendant que les tours bruleautaient a été rappelé et les secouristes n’ont pas pu faire leur travail ni les pompiers qui déclaraient pourtant qu’un quart d’heure aurait suffi pour circonscrire le feu et l’éteindre. Mais non, tous ont-ils été empêchés de faire leur travail pour que la liste des victimes ne se rallonge pas trop. Article digne de propagande bushienne aveugle, insipide et larmoyante, tirant les coeurs non là où ils devraient se soulever dans la colère : L’Irak et l’Afghanistan. Mais d’après vous la vie de citoyens musulmans, surtout sils sont pachtounes, valent moins que celle des new-yorkais. je crois que vous risquez un très mauvais accueil si toutefois il vous venait l’envie d’aller à new-york. smiley


        • bubbledom (---.---.103.105) 20 mars 2007 12:16

          ah oui j’oubliais... regardez donc le film de jenny, 26 min en direct de ce jour atroce, regardez bien les explosions dans les sous-sols des tours et dites-nous comment des terroristes depuis les airs font exploser les sous-bassements de ces deux gratte-ciels. Toute la version officielle n’a plus aucune cohérence et amènera bush AND cO. devant des tribunaux. si j’étais vous je ne continuerais pas à défendre l’indéfendable. smiley

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