Dol-de-Bretagne : l’étonnant puits double de la cathédrale
Si l’on en croit les habitants de Dol, ce type d’ouvrage est « unique au monde », et c’est sans doute vrai. Quoi qu’il en soit, le double puits de la cathédrale est surprenant à plus d’un titre. Quant à la visite que l’on peut en faire, après s’être équipé d’un casque, d’un harnais et d’une corde d’assurance, elle a toutes les chances de rester gravée dans la mémoire des chanceux qui ont vécu cette expérience unique...
L’histoire de Dol-de-Bretagne est indissociable de celle du saint breton d’origine galloise Samson, un moine venu d’Irlande au 6e siècle pour évangéliser l’Armorique. Initialement établi dans le Trégor où il fonde l’abbaye de Lanmeur, Samson se déplace vers l’est et se fixe sur un espace où l’on raconte dans les textes anciens qu’existait un puits « tout couvert de ronces et de broussailles ». Le moine bâtisseur décide de fonder sur ce site une nouvelle abbaye. Autour de celle-ci se développe une ville nommée Dol*. Judual, roi de Bretagne, décide en 555 d’en faire un évêché dont la crosse est confiée à Samson. Après le sacre de Nominoë à Dol en 848, une première cathédrale est construite à l’emplacement de l’église initiale, et Dol élevée au rang d’archevêché. Détruite par les Vikings en 1014, cette première cathédrale est remplacée, toujours sur le même site, par un édifice de style roman qui, à son tour, est incendié en 1203 par le roi d’Angleterre Jean sans Terre. Soucieux du salut de son âme, le monarque participe financièrement à la reconstruction d’une nouvelle cathédrale de style gothique normand. Les travaux s’échelonnent sur des décennies au cours du 13e siècle pour la nef, le transept et les chapelles adventives. Mais quid du puits de Samson ?
Novembre 1996. Les membres de l’A.R.C.A.D. (une association doloise de recherches sur l’histoire et l’architecture de la cathédrale) décident de s’intéresser de plus près à un puits qui jouxte le mur sud du monument. L’investigation est d’autant plus excitante que des aïeux affirment avoir entendu leurs propres aïeux mentionner l’existence d’un « double puits », hypothèse étayée par les écrits d’un historien-archéologue du 19e siècle, Toussaint Gautier. Qui plus est, les anciens registres de la cathédrale Saint-Samson font état d’un « sacellum putei », autrement dit d’une « chapelle du puits » correspondant à l’actuelle chapelle du Crucifix. Or, ladite chapelle est située dans la cathédrale juste de l’autre côté du mur relativement au puits extérieur. Une proximité qui attise tout naturellement la curiosité des Dolois.
Le problème est que, durant le 19e siècle, le puits extérieur, abandonné, a été transformé en lieu de décharge et rempli de détritus. Il faut donc le déblayer, ce qui est fait après plusieurs interventions étalées jusqu’en janvier 1997. Dès lors, l’on peut descendre dans le puits pour en étudier l’appareillage. Et c’est ainsi qu’entre 9 mètres et 11 mètres de profondeur l’on découvre l’amorce d’une galerie d’un peu moins de deux mètres de hauteur qui s’enfonce vers le nord, et donc... sous la cathédrale. On imagine aisément l’excitation des membres de l’A.R.C.A.D. Et le fait est qu’il y a de quoi : longue d’environ 2,80 mètres, il s’avère après déblaiement que cette galerie, couverte de dalles de granite, débouche sur un deuxième puits de facture beaucoup plus ancienne.
Une source pour deux puits
Ce deuxième puits s’élève vers l’intérieur de la cathédrale pour déboucher à l’évidence dans cette fameuse chapelle du Crucifix dont on comprend pour quelle raison elle s’est appelée antérieurement « chapelle du puits ». Identifier la dalle de pierre qui masque ce puits dans la chapelle du Crucifix ne présente pas de difficulté. Selon toute vraisemblance, on a retrouvé le puits de Samson, intégré dans la cathédrale gothique lors de sa construction au 13e siècle. Mais ne le clamez pas trop fort : aucun expert n’a encore validé le fait qu’il puisse s’agir là du fameux puits autrefois « tout couvert de ronces et de broussailles ». Surtout pas les éminentes sommités de la DRAC (Direction régionale des affaires culturelles). Après de longs atermoiements de ces personnalités, ce n’est d’ailleurs qu’en... juillet 2009 que la dalle du puits intérieur (en réalité une petite dalle encastrée dans une plus grande dalle) est enlevée après avoir été mise en place par le clergé quelques siècles plus tôt sans que quiconque en connaisse la raison.
Les surprises ne s’arrêtent pas là : après expertise, il apparaît que le puits intérieur, de structure rectangulaire, date de l’époque gallo-romaine, ce qui semble conforté par l’existence d’autres puits romains présentant les mêmes caractéristiques. Le puits était donc bien fonctionnel à l’arrivée de Samson au 6e siècle. Quant à son appareillage, il est totalement différent de celui du puits extérieur, de section ronde et manifestement d’époque médiévale. L’absence de mortier de chaux, et donc de carbone, dans les différents ouvrages, ne permet toutefois pas de les dater avec précision. Les experts n’en concluent pas moins que le puits extérieur et la galerie** ont probablement été construits au 13e siècle, en même temps que la cathédrale, afin de permettre aux habitants du quartier de pouvoir continuer d’avoir accès à l’eau malgré l’intégration du puits gallo-romain dans l’église archiépiscopale. Et cela grâce à la galerie dont le sol est immergé suffisamment bas pour que le puits extérieur bénéficie de l’eau de source qui alimentait auparavant le seul puits gallo-romain. Une disposition unique en France, et peut-être dans le monde comme aiment à le croire les Dolois.
À ce jour, des questions se posent encore : Le puits intérieur a-t-il pu être l’objet de rites païens avant d’être « christianisé » par son intégration dans la cathédrale ? A-t-il eu, par la suite, une fonction religieuse autre que la possible alimentation des fonts baptismaux ? A-t-il été conservé pour faciliter le travail des maçons des 13e, 15e et 16e siècles ? Pour quelle raison le clergé a-t-il décidé de fermer ce puits, et à quelle date ? Peut-être aurons-nous un jour une réponse à ces questions. Nul doute, à cet égard, que les membres de l’A.R.C.A.D., et tout particulièrement le très actif président de l’association, Patrick Amiot***, s’y emploient avec détermination.
Un dernier mot : on sait avec certitude qu’il existe des puits dans une quarantaine d’autres églises et cathédrales de France. Parmi ces dernières, les cathédrales de Chartres, de Coutances, de Nantes, de Sées et de Strasbourg. Des puits simples qui sont eux-mêmes l’objet de questionnements de la part des historiens. Mais nulle part ailleurs qu’à Dol-de-Bretagne la configuration n’est aussi passionnante et mystérieuse. Et chacun peut, s’il le souhaite, prendre la mesure de l’ouvrage en descendant au fond du puits extérieur et en accédant par la galerie jusqu’au puits gallo-romain. Il suffit pour cela de se trouver à Dol lors des Journées du Patrimoine. Rendez-vous, peut-être, en septembre 2019 au bord de la margelle...
* Deux thèses (au moins) s’affrontent sur l’origine du nom Dol. Pour certains, il proviendrait de la proximité – le mont Dol est à moins de 3 km au nord – d’un mont au sommet plat, donc en forme de table, mot qui se dit « Dol » en breton (dolmen = table de pierre). Pour d’autres, l’origine du nom serait à chercher dans la langue celte, « Dolus » désignant un marais : or, l’espace situé entre la ville et le mont était autrefois un marais (assez largement asséché depuis).
** À noter que le plafond de cette galerie est constitué de dalles de granite juxtaposées dont chacune pèse au bas mot 150 kg.
*** Patrick Amiot est également Conseiller au Patrimoine de la Ville de Dol-de-Bretagne. Il a publié plusieurs ouvrages, pirncipalement consacrés à l’histoire locale et à ses monuments.
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