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Don Giovanni par Yoshi Oïda, Hara-Kiri

Le Théâtre de Saint-Quentin-en-Yvelines a confié le Don Giovanni de Mozart à Yoshi Oïda, comédien naguère sous le règne de Peter Brook. Hier soir, toute la panoplie de la médiocrité apparaissait en pleine lumière : gratuité, dilettantisme, inepties, contre-sens, loufoquerie. C’est bien simple, on ne pardonnerait pas la moitié de ces pitreries à un jeune metteur-en-scène ; c’en serait fini de sa carrière. Yoshi Oïda, lui, a un carnet de commandes bien rempli.

Certes, Yoshi Oïda n’est ni Franco Zefirelli ni Robert Carsen, et le Théâtre de Saint-Quentin-en-Yvelines n’est pas le Met, mais tout de même. Présenter Don Giovanni, chef d’oeuvre perché aux cimes de la culture européenne de ces deux derniers siècles, place tout metteur-en-scène devant une certaine responsabilité.

Nous savions que l’espace vide au théâtre n’est pas l’espace vacant. Brook aurait dû l’apprendre à son disciple Oïda qui n’a visiblement rien retenu de son passage au Théâtre des Bouffes-du-Nord. Cette mise-en-scène est intéressante en ce qu’elle donne l’exemple même de ce qui gêne les chanteurs à l’opéra. Du plaqué, du conceptuel. Rien de nourri, pas d’écoute, pas de vécu. Tout dans la démonstration et l’agitation.

Il faut dire d’abord que les chanteurs ne sont pas à leur avantage dans une salle défavorable aux voix, qui diffuse les pupitres aigus de l’orchestre en les étouffant. Mais les suicider de cette façon en les lâchant sur un plateau de 300 m2... il faut vraiment ne rien connaître à l’opéra en général ni à l’art du chant en particulier. Les oiseaux, dans les cintres là-haut, ont dû se régaler des voix, pas nous. Et pour couronner le tout, on vous donne du spectacle en vidéo-projection : pendant les arias, des photos d’asperges qui montent et descendent pour les pré-adolescents qui n’auraient pas compris !

Cette mise-en-scène (c’est lui faire trop d’honneur, disons cette “mise-en-place”) de Don Giovanni fait dans le hooliganisme dès l’ouverture, en imposant un Leporello (très bien chanté et sobrement joué par le prometteur Marc Labonnette) affublé de deux larbins façon Blues Brothers (au secours !) rôtant les canettes de Kronenbourg avant le début de l’air d’introduction. Quel effet... ça donne la mesure de ce qui nous attend ! Et à propos d’introduction, c’est aussi dans un mouvement coïtal bien en mesure que Dona Anna reproche son forfait à son Don Juan d’opérette qu’un joli ténor à l’air de barytonner (à moins que ce ne soit l’inverse). Marc Callahan est l’exemple type de l’Américain qui n’aurait pu faire une carrière d’opéra aux Etats-Unis, en France, c’est différent, c’est un Américain... (voir article précédent sur Agoravox). Trop léger pour ce rôle malgré les efforts de l’orchestre, on ne l’entend déjà plus dans le final “da quel tremor insolito...”. Au passage, il faudra expliquer à certains chanteurs que la langue italienne est très exigeante et que “scioccone” ne se prononce pas “choco-nez”, mais passons.

Sur la direction d’acteur, ce qui crève les yeux, c’est que Yoshi Oïda n’entend pas la musique.

Laisser un Don Juan s’agiter nerveusement n’en fait ni un despote ni un coureur, tout juste un cocaïnomane branché. Le tabou judeo-chrétien que Don Juan franchit est celui du corps, du contact, toujours habité et orienté, du toucher, de l’étreinte, toutes choses pas nécessairement avilissantes. Mais pour Oïda la sensualité, c’est les déhanchements simulées des danseuses du Lido ; à partir de là, que pouvons-nous en attendre ? Heureusement le chef d’orchestre suit ses chanteurs, malmenés qu’ils sont par une mise-en-espace papillonnante, où le rythme cardiaque des solistes doit avoisiner les 160 p.m à les faire parcourir sans cesse les 20 mètres d’ouverture comme des fous éperdus. Comment un baryton peut-il tenir ses phrases ou ne pas trahir le rythme de sa canzonnetta ?
Ces problèmes affectent forcément les autres personnages dès lors qu’ils doivent se déplacer sur 300 m2 de plateau, avec très souvent une énergie qui n’est pas du tout en syntonie avec la musique. C’est le b-a ba de la mise-en-scène musicale ça...

Et la vision des femmes,
primordiale dans cette oeuvre comme dans toutes celles écrites par le librettiste Da Ponte, qu’en est-il ? Une spectatrice du secteur associatif a renoncé à montrer ce spectacle aux jeunes filles musulmanes qu’elle voulaient emmener à l’opéra, quel dommage... Les femmes ici sont plus maltraitées par le metteur-en-scène que par Don Juan lui-même ! Grognasses lubriques, le héros est disqualifié... On se demande comment la très belle soprano lyrique de Caroline Meng en servante Zerline, a pu s’en tirer aussi bien. Il lui fallait un sacré talent, et le public ne s’y est pas trompé. Mais où est passé la belle figure du pardon incarné par Donna Elvira (la Française Chantal Santon) ricaneuse ici, chef de bande ? Où ses magnifiques contradictions se sont-elles évanouies ? Si Elvire se rit des conquêtes du libertin, les méfaits de Don Juan n’ont plus d’importance et son chagrin plus de raison d’être... Où se voit le beau tempérament endeuillé d’Anna ? Jacquelyn Wagner est encore un peu verte pour ce rôle fougueux. Mais elle joue comme elle le peut, dans cette partition de haut vol, la pute hystérique juchée sur talons, amoureuse d’un marin, qu’on lui a demandé. Et où va cet Ottavio (Arthur Espiritu qui le chante si bien) un 22 mm à la main, alors qu’il nous dit vouloir saisir la justice ? ...

C’est cela la faillite de Yoshi Oïda : forcer l’oeuvre, l’aplatir, et du coup stériliser les interprètes. Faire de Don Giovanni un Casanova de quartier, ce n’est même pas ringard, c’est juste nul.

Je passerai sur les pas de disco esquissés par le trio des masques qui sont d’un ridicule achevé, achevant le peu de crédibilité des personnages. Mais attendez, ce n’est pas fini. Vous croyez en avoir vu assez pour le restant de votre vie de spectateur, sauf qu’il y a encore les capotes gonflées du bal qui feront décorum, puis la fameuse arrivée du Commandeur, venu à pied, tout petit, au mitan de la scène, qui déchire un écran ! et qui vous redonne au passage un gros coup de godasse sur le morceau de papier mal déchiré ! On entend rire. Un grand moment. Et tout est à l’avenant, des scènes s’enchaînent sans liaisons entre les récitatifs et les airs, comme à Draguignan dans les années 50, ou comme si un Strehler n’était jamais advenu...

L’orchestre est brillamment mené par David Stern, très attentif aux piani de la partition, souvent retenu, jamais dans l’outrance sonore, sans ostentation comme les chefs qui n’ont rien à prouver. Un beau violoncelle en basse continue et clavecin accompagnent merveilleusement les récitatifs. Au moins on se rattrape avec l’orchestre d’Opera Fuoco, grâce à un pupitre de vents mozartien en diable (les flûtes et les cuivres, magnifiques dès l’ouverture !) et des cordes perlées, quoique discrètes.

On se demande finalement comment le Directeur de ce théâtre, subventionné avec notre argent*, s’il-vous-plaît, a pu laisser commettre une telle particularité sans intervenir. Au prix où coûte un opéra, a-t-on le droit d’être aussi incompétent ? Quand on pense que le même Oïda va resservir les plats en mai prochain à l’Opéra de Lyon dans “Mort à Venise” de Britten, et à Rouen dès octobre 2009 pour un Lakmé  ! Heureusement que le ridicule ne tue pas.

Ce qui est grave, c’est qu’on missionne un metteur en scène mondialisé de plus de 75 ans (!) donc plein d’expérience, n’est-il pas, alors qu’on laisse moisir de jeunes artistes comme assistants (jeunes qui ont déjà 40 ans).

Voilà un aspect de la réalité du marché des artistes. Voilà quel visage peut prendre le snobisme Jack-Langien de ces messieurs du Monde la Culture. Sans eux, les Yoshi Oïda (élevé au grade d’Officier de l’Ordre des Arts et des Lettres en 2007 !) et consorts seraient déjà à leur vrai place, en gérontologie.

Mesdames et Messieurs, spectateurs et artistes, il est plus que temps en 2009 d’empêcher ces fantômes de ’68 de continuer à sévir dans notre société, en particulier dans le monde du spectacle. Aux arts, citoyens ! Boutons loin de nous cette néo-aristocratie culturelle déliquescente, renvoyons ces “éternels jeunôts” de 65 ans à leurs chers pavés, et prenons enfin notre place, par la force de l’intelligence. Rétablissons l’esprit de respect des oeuvres d’art, l’esprit de travail chers aux compagnons d’artisanat et l’esprit d’étude cher aux Lumières. Mehr licht !**



Don Giovanni de Mozart sur un livret de Da Ponte
Direction musicale : David Stern. M-e-s Yoshi Oïda
au Théâtre de Saint-Quentin-en-Yvelines
Représentations les mardi 27 janvier, 20h30, jeudi 29 janvier, 19h30, samedi 31 janvier, 20h30 durée 3h avec entracte

*Opera Fuoco reçoit aussi le soutien 
de The Annenberg Foundation, la Florence Gould Foundation, la Sevesc, CAFAmerica, la Four Oaks Foundation.

**Goethe




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3 réactions à cet article    


  • Luise Briefe Luise Briefe 28 janvier 2009 22:24

     Il y en a vraiment qui ont, soit mauvais esprit, soit, pire, qui ne veulent pas comprendre.


  • huguet 28 janvier 2009 22:59

    Tout à fait d’accord sur ce spectacle d’un ridicule achevé que nous avons vu , ce mardi 27 janvier
    la vide-projection est d’une rare bêtise, grossièreté qui se prend pour de l’érotisme
    décors et costumes d’une laideur rarement atteinte
    en revanche vous parlez de Jacqueline Wagner dans le rôle de Donna Anna alors que nous avons entendu et écouté Sara Hershkowicz dont la voix nous a séduits, une fois qu’on oubliait les pitreries qu’elle devait faire de part et d’autre de la scène
    mais je pense que votre article est antérieur à cette soirée
    nos voisins, très jeunes, ont beaucoup applaudi à la fin, mais je crois que c’était juste pour le plaisir de faire du bruit !!
    amicalement


    • Pascale 30 janvier 2009 09:24

      Bonjour,
      Séduite par les voix et la musique, j’ai aussi été terriblement déçue et agacée par la mise en scène, les décors, les costumes.... au point de regretter de ne pas avoir, à la place, assisté à la version concert (présentée l’année précédente au même endroit par David Stern et son opera Fuoco).

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