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Enquête en terre d’humanité

A propos de « Elégie pour Laviolette », de Pierre Magnan, publié chez Robert Laffont

L’inspecteur Laviolette avait été laissé pour mort. Laissé seulement, car il n’en était rien. Le voilà revenu d’un au-delà terrible, et ce n’est point un miracle. Non, celui-ci ne se situe pas dans cette résurrection, mais ailleurs. Laviolette est, aussitôt sorti de son linceul, chargé d’une nouvelle mission, contraint de délaisser Popocatépetl et le sang des Atrides pour Gap et son isolement montagnard. L’enquête plonge aux racines des êtres, défie les modes contemporaines d’une brigade criminelle qui ne jure plus que par les bases scientifiques. Car le scientisme ambiant domine tout, y compris le judiciaire. Il s’en trouvera s’en doute pour nous condamner, non par contumace, mais par anticipation, au nom d’une génétique qu’on affirme imparable quand elle ne connaît rien de ce qui fait l’humain. Laviolette s’inscrit en faux dans ce paysage. Lui, avec son nez épaté et ses gros godillots ferrés, se contente d’errer et de flairer. Il entre en relation, achète son pain là où il est encore bon, avant que le « pauvre boulanger » ne meure, « assassiné par la clientèle oublieuse qui se foutait que le pain soit bon. Elle n’en mangeait plus parce qu’on lui avait fait accroire que le bon pain était mauvais pour la santé et qu’il valait mieux manger celui qui avait un nom ronflant, dont le fabricant avait hâtivement appris le métier dans quelque école et qui s’aidait d’un système électronique pour l’alerter sitôt que la fournée était cuite, ce qui ne demandait plus de se lever à trois heures du matin. » Laviolette, comme son géniteur est de cette espèce d’hommes, désormais rares, qui ont le bon goût de garder les yeux rivés sur l’humain. Rien en saurait venir si l’inspecteur n’avait cette intuition phénoménale que l’humain est bien plus complexe que les apparences le laissent supposer. Il a le regard acéré de celui qui, l’âge venant ne s’en laisse plus compter. Pierre Magnan nous le ressuscite avec délectation. Non sans, dans une préface scarifiant les mécaniques huilées de l’édition, plonger sa plume dans le vitriol de ce temps où écrire, doit se plier sous les fourches caudines des académismes non déclarés. Celui instillé sous la houlette du nouveau roman n’est pas le moindre. Et c’est avec jubilation qu’on emboite ce pas nonchalant qui mène l’ami Pierre à raconter ses débuts savoureux, et l’intrusion de cet objet non identifié bas-alpins sur les scènes parisiennes de la culture. La délectation s’arrête aux larmes versées lorsque, tout à coup, il nous faut réaliser que, depuis, rien à changer. Si le monde tourne autour du nombril des nuits parisiennes, l’essence de la littérature, elle s’en est depuis longtemps échappé vers un ailleurs qui trouve de plus en plus difficilement sa place, tant les portes sont verrouillées par les amis des amis. On ne pourra alors que remercier Pierre d’avoir mis son pied, avec les souliers ferrés de Laviolette, dans la fourmilière. Manosque, 21 mai 2010 Xavier Lainé


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2 réactions à cet article    


  • Fergus Fergus 29 mai 2010 10:51

    Bonjour, Xavier, et merci de mettre en lumière Pierre Magnan qui est, à mes yeux, l’un des plus talentueux conteurs d’histoires de la deuxième moitié du 20e siècle. Ses histoires de vengeance ainsi que le côté délicieusement surrané de son écriture et de son style sont un régal toujours renouvelé. Parler de « réticule » pour un sac à main et de « berme » pour le bas-côté d’une route, outre la justesse des mots, cisèle le récit dans son époque et lui donne toute la couleur que requiert la recherche d’ambiance mystérieuse dans laquelle excelle le romancier bas-alpin.

    J’invite sans la moindre hésitation tous ceux qui ne connaissent pas cet auteur et son commissaire Laviolette à se plonger dans « Le secret des andrônes », « La maison assassinée », « Le tombeau d’Hélios », « Les charbonniers de la mort », « Le sang des Atrides », « Les courriers de la mort » et tous ces autres romans dont les titres ne me reviennent pas en tête. Je crois pouvoir leur assurer qu’ils ne seront pas déçus de découvrir un héritier de Gionoi mâtiné d’une touche d’Agatha Christie.


    • JIPE 29 mai 2010 16:59

      Quelle bonne nouvelle ! Entièrement d’accord avec Fergus,de plus PIERRE MAGNAN,que j’ai eu le plaisir de rencontrer lors de signatures, est un homme charmant,disponible et d’une grande culture.

      Merci de me rappeler l’ouvrage dans lequel LAVIOLETTE est laissé pour mort ?
      A vous lire,et félicitations pour cet article sur ce formidable « raconteur d’histoires »comme il se désigne lui meme.

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