Les critiques s’en donnent à cœur joie dans cette émission du service public, et si l’on ne peut nier leur sincérité, c’est peut-être leur clairvoyance qui fait parfois défaut.
On peut d’ailleurs passer d’excellents moments à écouter cette émission déjà mi-centenaire, sans pour autant en accepter les opinions, quitte à critiquer à son tour les critiques.
Je m’étais même, en son temps, payé le luxe de leur écrire expliquant que grâce à leur avis, je savais exactement ce qu’il fallait lire, ou voir, en prenant comme critère l’opposé de leurs choix.
Ce qui était bien sur quelque peu provocateur.
ma lettre avait été lue à l’antenne.
Il est amusant de voir, avec du recul, les erreurs de jugements commises.
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Françoise Sagan, qui a fait récemment l’objet d’une série d’émission sur
France culture, en est l’exemple parfait.
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A l’époque, il était de bon ton de se moquer allègrement de l’écrivaine, en s’attachant à dénoncer ses fautes de français, et en la considérant comme «
une petite fille gâtée », juste bonne à exciter la curiosité de la jet-set de l’époque.
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Récemment, lors d’un «
masque et la plume », les critiques qui animent aujourd’hui l’émission, ont fait une allégeance un peu tardive, puisque l’intéressée nous a quitté en 2004, en lui reconnaissant enfin un talent d’écriture.
Beaucoup de critiques feraient n’importe quoi pour un bon mot.
Dans une très jolie bande dessinée récente, (« l’âge des corbeaux », de Parno et Jicé, éditions Vents d’Ouest-mai 2010) la vie de l’écrivain maudit est décrite avec assez de cruauté, et on peut découvrir un florilège de phrases assassines de critiques en pleine forme :
« Il écrit comme il pisse, un grand jet et il tire la chasse…s’il n’avait un oncle député…j’ai lu son bouquin d’une fesse distraite…vingt ans qu’il n’a rien fait de propre »
Agnès Desarthe en avait pris pour son compte pour son livre « mangez moi » : Michel Crépu ayant déclaré avec un humour facile que le roman ne lui avait « pas donné faim du tout ».
Amélie Nothomb a eu aussi son lot de critiques hargneuses, les critiques ayant qualifié son «
Journal d’Hirondelle » de «
roman raté ».
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Heureusement, certains furent autrement clairvoyants.
lien et le livre fut même pressenti pour le
prix Goncourt 2006.
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Le public les a suivi, puisque la barre des
100 000 exemplaires vendus a été franchie rapidement.
lien et «
stupeur et tremblements » acheté par plus de 500 000 lecteurs à obtenu le
Grand Prix du roman de l’Académie Française.
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Ce livre dont un critique dont il vaut mieux oublier le nom avait écrit «
136 pages, imprimées en gros caractères, entourés de marges généreuses, comme la production nothombienne semblait menacée d’anorexie galopante ».
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Les artistes méconnus sont légions : sur ce
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J.F. Thomas, fait une liste non exhaustive des écrivains méconnus du19ème siècle, concluant par cette phrase qui a le mérite de la clarté :
« L’histoire nous démontre que le respect et même l’enthousiasme des contemporains ne sont pas une garantie de consécration ».
C’est en fait tout le concept du critique qui est mis en jeu.
Ou même de celui qui prétend décrypter ce qu’il a vu, ou lu.
Notre actualité est remplie de ces jugements hâtifs, de ces prix décernés, dont on voit après coup combien ils étaient discutables.
On se souvient de cette critique faite à la suite de la projection du premier film de
Claude Lelouch, parue dans «
Les Cahiers du Cinéma » : «
Claude Lelouch, souvenez-vous de ce nom, vous n’en entendrez plus jamais parler ».
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Récemment, le «
masque et la plume » dissertait sur le talent de
Frédéric Dard, auteur des fameux «
San Antonio ».
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Mon sang n’a fait qu’un tour lorsque j’ai entendu ce qu’ils en disaient.
On peut aimer, ou pas,
Frédéric Dard, mais lui ne s’est jamais caché du peu d’intérêt qu’il portait à ses propres romans policiers, qu’il considérait avec lucidité comme littérature de gare, même si dans chacun de ces polars de gare, il y a toujours quelques pages de liberté dans lesquelles l’artiste se lâche littéralement, et qui font le bonheur des fans de l’écrivain.
Les vrais romans de
Frédéric Dard sont signés de son nom, ou sous des
pseudos et ils méritent largement le détour, si la noirceur ne rebute pas le lecteur.
Mais les critiques du « masque et la plume » ont fait une confusion regrettable entre les authentiques romans de Frédéric Dard, et de ses polars.
Les œuvres ou les artistes oubliés sont légion.
Qui a oublié que le grand
Tolkien, et de son «
Seigneur des Anneaux » a attendu l’âge de 64 ans avant d’être publié, et n’a connu qu’un réel succès qu’après sa disparition ?
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Il avait écrit ce chef d’œuvre 24 ans auparavant.
Une première adaptation cinématographique à vu le jour en 1978, (
Tolkien nous avait quitté 5 ans auparavant) mais c’est a partir de
2001 que
Peter Jackson adapte l’intégralité de son roman, et qu’il devient réellement célèbre.
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Il y a quelques temps, on apprenait que Rimbaud aurait souhaité devenir journaliste, et que nombreux sont les textes qu’il a proposé au journal « le Progrès », qui n’ont pas été approuvés.
Heureusement, au moins l’un de ces textes fut publié, sous le pseudo de Jean Baudry mais on ne sait ce qu’il est advenu des autres.
C’est
Patrick Taliercio, réalisateur de documentaire, qui a soulevé le lièvre, révélant un article intitulé «
le rêve de Bismarck » sous ce pseudo.
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Ne parlons pas de
Van Gogh, ou de
Gauguin qui comme dit
Léo Ferré dans sa chanson
« les temps difficiles » : «
se vend mieux que du cochon » mais qui à l’époque suscitait surtout les ricanements.
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Avant eux,
Manet avait essuyé les foudres de la critique, et il attendait avec appréhension les salves des critiques à chaque nouveau salon.
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Zola, qu’on avait connu plus clairvoyant, décrit dans « l’œuvre », en pensant à Manet un peintre qu’il qualifie de « génie raté, incapable de terminer une peinture, mauvais époux, mauvais père, mauvais amant, qui se suicide, et qui rate même son enterrement, puisque personne n’y assiste ».
Un autre critique, Albert Wolf dira de lui : « Manet, comme il l’avait toujours pensé, n’était qu’un artiste incomplet ! il tâtonnait ».
Espérons que ce critique se retourne dans sa tombe aujourd’hui, devant le succès quasi posthume de Manet.
Il faut parfois juste un peu de chance pour retrouver une notoriété.
Tel
Joseph Ducreux, cet artiste du 18ème siècle dont le principal mérite est d’avoir peint la reine
Marie Antoinette avant de retomber dans l’oubli.
C’était sans compter sur
Internet, et les rappeurs qui, considérant que la position du chapeau et l’attitude de la reine n’était pas sans évoquer celle des jeunes de banlieues, ont remis
Ducreux au gout du jour.
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Internet fait décidément des miracles.
Sur le site «
galerie terres du monde » on peut découvrir 110 œuvres de peintres inconnus, ou presque, et qui mériteraient qu’on s’y arrête.
Dans le domaine de la chanson, ceux qui ont failli n’être jamais connus sont légion, tel
Boby Lapointe, qui n’a réellement connu un succès populaire qu’après sa disparition.
Pourtant Brassens l’avait pris sous sa protection, ce qui n’a pas empêché la faillite au cabaret que Boby avait crée (le Cadran Bleu-1960).
Sur ce
lien, on le découvre accompagné au piano par un certain
Aznavour qui n’a pas vraiment l’air d’apprécier à sa juste valeur « sa vanille et ses framboises ».
Ce même
Aznavour à qui
Edith Piaf avait déconseillé de chanter, suivie dans cette opinion par tous les professeurs de chant qu’il avait consulté.
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Malgré les critiques très dures avec lui, il chante quand même, et ce n’est qu’en
1957 (il a déjà 34 ans) que le public commence à l’apprécier.
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On peut en découvrir sur le site «
Chanson Rebelle » animé par un autre chanteur mal connu :
Gérard Gorsse.
Celui-ci vient de donner un «
coup de gueule » mérité en direction de
Frédéric Mitterrand.
Aujourd’hui, les maisons de disques, après avoir combattu Internet, changent leur fusil d’épaule.
«
Universal Musique » vient de signer un contrat avec des groupes peu connus, afin de proposer leur titre en ligne.
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Je profite de l’occasion pour vous inviter à écouter une de mes chansons (
téléchargement gratuit) sur ce
lien, puisque comme aurait pu dire mon vieil ami africain :
« On n’est jamais si bien servi que par soi même »
Illustration de l’article empruntée à flickr.com