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Faut-il « Tournée » la page ?

Producteur de télévision autrefois célèbre à Paris, Joachim Zand (Mathieu Amalric) décide de repartir à zéro en montant un spectacle de strip-teaseuses du New Burlesque (théâtre, danse, humour, music-hall…) pour une tournée provinciale. Les showgirls rêvent de Paris, tel un eldorado, mais la capitale est pour leur metteur en scène, lesté par les poids du passé, un endroit à ne surtout pas fréquenter. 

Tournée* de Cassavetes, pardon, d’Amalric a tout pour séduire. Tout d’abord, un film qui commence par un titre électrisant des Sonics ne peut être mauvais ! De plus, il y a Mathieu Amalric, un acteur au « capital sympathie » fort, évoluant tout autant dans le cinéma d’auteur français (Desplechin, Bonello, Klotz…) que dans des contrées américaines de gros calibre (Spielberg, Coppola, Schnabel, et bientôt chez l’ami Scorsese). On l’aime Amalric, par exemple ma compagne l’adore ! Et puis il y a toutes ces filles du New Burlesque, toutes ces amazones brutes de décoffrage, aux tours pleins de malice et aux rondeurs felliniennes libertines : Mimi Le Meaux, Dirty Martini, Kitten on the Keys, Julie Atlas Muz, Evie Lovelle, on n’est pas prêt de les oublier, et Roky Roulette non plus. Tournée marche, tant au niveau critique (Prix de la mise en scène à Cannes) que public (il démarre fort en salle dans l’Hexagone**), et c’est somme toute mérité. Ce qu’a pour lui Tournée, c’est le mouvement. C’est un cinéma du flux. Carlos aussi, d’Assayas, s’inscrit dans un mouvement perpétuel : le terroriste Ilich Ramírez Sánchez vise un centre (l’anti-impérialisme doublé de la cause palestinienne) mais ne cesse de tourner à sa périphérie, se perdant dans les méandres politiques, les dévoiements mercantiles et les revirements de l’Histoire.

Joachim Zand/Amalric fait un film qui tourne, dans tous les sens du terme. On suit une tournée de comédiennes d’Amérique latine en goguette (Le Havre, Nantes, Rochefort, Toulon…). Ca tourbillonne, ça circule, ça papillonne. On n’est pas loin de Tournée… manège ! Zand tourne autour du pot, tant au niveau professionnel qu’affectif, il en met du temps avant de succomber aux charmes de Mimi Le Meaux. Joachim Zand tourne autour de sa carrière également (il n’ose affronter certains acteurs du passé), de sa vie d’homme (sa volonté de mettre en scène ses rôles de père et d’amant) et de lui-même (les plaies du passé). De même que les personnages évoluent autour d’un axe (le show), le film reste à la périphérie de lui-même, à savoir de ce qu’il raconte. A la périphérie géographique (la troupe suit les contours de la France sans atteindre Paris) répond la périphérie narrative, stylistique et référentielle (Cassavetes, Branco, Balsan). Du show proprement dit, on n’en voit que l’envers du décor, et par bribes. De même, le film stagne dans les lieux de transit : les coulisses, on l’a déjà noté, mais aussi les halls d’hôtel, les ascenseurs, les ports, les trains, les stations-service, les toilettes, les trottoirs. On pourrait même dire que, par moments, Tournée, qui dure tout de même quasiment deux heures, inspire l’ennui caractéristique des aires d’autoroute ! Vous savez, lorsqu’on est en stand-by ou que l’on cherche obstinément, et désespérément, sa route ; ce mode déceptif n’est d’ailleurs pas sans servir, paradoxalement, un film cherchant à capter, sur fond de musique d’ascenseur, les aléas de la vie de bohème et les tâtonnements de l’amour.

C’est une écriture cinématographique de premier jet, ayant la fraîcheur du croquis et la spontanéité de l’exquise esquisse. Mais, à dire vrai, cette sensation de périphérie (l’impression d’un film qui circule sans jamais se poser), c’est la force du film - un objet aux trajectoires libres - mais aussi sa faiblesse. On aimerait parfois qu’il délaisse les à-côtés pour véritablement atteindre l’os, davantage toucher à l’humain. Tout compte fait, on n’apprend pas grand-chose sur les filles du New Burlesque, hormis le fait que sous le rimmel et la mascarade pointent les larmes. Je veux dire par là que cette Tournée serait plus percutante si, sur le film, ne planait pas en permanence l’ombre de l’immense Cassavetes (Meurtre d’un bookmaker chinois, 1976, Opening Night, 1978). Impossible de voir Zand sans penser au Cosmo Vitelli du Crazy Horse. Impossible de constater la tournure formelle (un film-mouvement) que prend Tournée sans penser à l’action filming et au « cinéma des flux » (Thierry Jousse) de l’acteur-réalisateur John Cassavetes ; d’autant plus qu’Amalric, à l’instar de son grand modèle américain, est lui-même réalisacteur. Un détail révélateur à signaler : lors de sa projection au Festival de Cannes en mai 2010, Tournée a reçu un accueil enthousiaste et unanime, au bord du panurgisme moutonnier, de la critique française alors que les journalistes américains, eux, l’ont trouvé pas mal, sans plus, ne manquant pas de voir en Amalric – et pourquoi pas d’ailleurs – un homme sous influence. Alors oui, Tournée est un film dans l’ensemble réussi (du 3 sur 5 pour moi) mais manquant tout de même de chair, de torrents d’amour et de supplément d’âme pour captiver à 200%. En ce qui concerne la question humaine, je l’aurais souhaité plus pénétrant, plus direct. Bref, avec le dernier Amalric, il ne faut certes pas Tournée la page, il vaut le déplacement mais il est tout de même loin d’être le chef-d’œuvre annoncé. 

* En salle depuis le 30 juin 2010.

** 277 168 entrées en 15 jours.

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2 réactions à cet article    


  • orage mécanique orage mécanique 22 juillet 2010 15:49

    C’est vrai qu’il est bien ce film mais c’est vrai qu’il y a « meurtre d’un bookmaker » et Gazzara,
    heureusement qu’il y a des petits clins d’œil permanent qui permettent de se sentir complisse avec Almaric


    • Vincent Delaury Vincent Delaury 23 juillet 2010 00:51

      franck2012 : « (...) mais le réalisateur semble chercher d’autres sillons à labourer... :)....rien que pour ca moi aussi : ’ three points ! ’ »

       D’accord avec vous sur ce plan-là.

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