Feu frère Freud, contemporain (Viabilités psychanalytiques en perspective 3)
Tant de choses parfaitement contemporaines, permettant d'affirmer que – tou(te)s autant que nous sommes – nous sommes adeptes de feu frère Freud.
Absolute Sigmund
Feu frère Freud, dans Trois Essais sur la théorie sexuelle, Gallimard Folio essais, 1987 (original 1905), a écrit pages 39-40 des choses que les militances LBTQIA+ prétendent avoir dégotté même contre feu frère Freud. Mais elles n'ont strictement rien inventé :
COMPORTEMENT DES INVERTIS [les invertis sont les personnes aux désirs plus ou moins inversés, rapport à la sexualité capable de procréation] – Les individus concernés ont un comportement tout à fait différent en fonction des diverses orientations suivantes :
a) Ce sont des invertis absolus [nous nous contentons de dire homosexuel(le)s aujourd'hui], c'est-à-dire que leur objet sexuel ne peut être qu'homosexuel, alors que le sexe opposé n'est jamais objet de leur désir sexuel, mais les laisse froids, ou même suscite en eux de l'aversion sexuelle. Lorsqu'il s'agit d'hommes, ils sont alors incapables, de fait de leur aversion, d'accomplir l'acte sexuel normal, ou n'en tirent aucune jouissance.
b) Ce sont des invertis amphigènes ou hermaphrodites psychosexuels [nous nous contentons de dire bisexuel(le)s aujourd'hui], c'est-à-dire que leur objet sexuel peut aussi bien appartenir au même sexe qu'à l'autre, il manque donc à l'inversion le caractère de l'exclusivité.
c) Ce sont des invertis occasionnels [nous nous contentons de dire homo- ou bi-curieux aujourd'hui], c'est-à-dire que, sous certaines conditions externes, parmi lesquelles l'inaccessibilité de l'objet sexuel normal et l'imitation viennent au premier plan, il leur arrive de prendre pour objet sexuel une personne du même sexe et de tirer satisfaction de l'acte sexuel consommé avec elle.
En outre, les invertis présentent un comportement varié quant au jugement qu'ils portent sur la singularité de leur pulsion sexuelle. Les uns assument l'inversion [nous disons altersexualités aujourd'hui] comme quelque chose qui va de soi, à l'instar de l'individu normal pour l'orientation de sa libido, et défendent avec ardeur le droit pour l'inversion d'être mise sur le même plan que la sexualité normale [parmi lesquels d'ailleurs, le grand intellectuel français André Gide à l'époque, avec son Corydon ; André Gide : un intellectuel à l'honneur sur la photographie présidentielle (présence de l'ouvrage les Nourritures terrestres), honneur qui – soyons honnêtes – n'est pas forcément un avantage pour André Gide ... ]. D'autres invertis cependant se révoltent contre le fait de leur inversion et la ressentent comme une contrainte morbide.
D'autres variations ont trait aux conditions temporelles. Tantôt la particularité de l'inversion [on recense en moyenne 6% d'altersexuel(le)s ordinaires, aujourd'hui, qui constituent au dernier recensement français 1,6% des couples] a toujours existé chez l'individu, aussi loin que son souvenir est à même de remonter, tantôt elle ne s'est révélée à lui qu'à un moment déterminé avant ou après la puberté. Tantôt ce caractère subsiste durant toute la vie, tantôt il cède momentanément, tantôt encore il constitue un épisode sur la voie du développement sexuel [capable de procréation - pour l'époque, feu frère Freud écrit normal, sans méjuger les invertis pour sa part] ; il peut même ne se manifester que tard dans l'existence, après une longue période d'activité sexuelle normale. On a également observé une oscillation périodique entre l'objet sexuel [capable de procréation] et l'objet inverti. Les cas dans lesquels la libido se modifie dans le sens de l'inversion après une expérience pénible avec un objet sexuel [capable de procréation] présentent un intérêt particulier.
Ces différentes séries de variations coexistent en général de façon indépendante les unes par rapport aux autres. Dans la forme la plus extrême, on peut admettre à peu près régulièrement que l'inversion a existé dès le très jeune âge et que la personne vit en bonne intelligence avec sa particularité.
Beaucoup d'auteurs se garderaient de rassembler en une seule entité les cas énumérés ci-dessus et préfèrent accentuer les différences plutôt que les traits communs de ces groupes, ce qui coïncide avec le point de vue sur l'inversion qui leur est chef. Mais, si légitimes que soient les distinctions, on ne saurait malgré tout méconnaître que tous les degrés intermédiaires peuvent se rencontrer à profusion, de sorte que la constitution d'une série s'impose en quelque sorte d'elle-même.
Pages 160-161, feu frère Freud poursuit dans la préquelle des militances LGBTQIA+, pseudo-récente et pseudo-originale depuis l'an 2000, Judith Butler et George Soros. Tout cela n'est pas étonnant, puisque les auteurs inspirant la French theory sont eux-mêmes largement inspirés par la psychanalyse (y compris voire surtout Jean-Paul Sartre et Roland Barthes, que nous avons omis en lien) :
On sait que ce n'est qu'à la puberté que s'établit la séparation tranché des caractères masculin et féminin, opposition qui, plus que nulle autre, a par la suite une influence déterminante sur le mode de vie des êtres humains. Les prédispositions masculines et féminines sont certes déjà aisément reconnaissables dans l'enfance ; le développement des inhibitions de la sexualité (pudeur, dégoût, compassion, etc.) s'accomplit plus précocement chez la fille et rencontre moins de résistance que chez le garçon [ce dont témoigne les statistiques d'agresseurs sexuels] ; le penchant au refoulement sexuel semble généralement plus grand [ce dont témoigne les formes de féminismes puritains toujours courants] ; lorsque les pulsions partielles de la sexualité se manifestent, elles préfèrent la forme passive [ce qui ne signifie ni insignifiante ni soumise, pas plus que faible : avis aux gens intelligents – bien qu'une affaire d'éducation genrée n'y soit manifestement pas pour rien]. Mais l'activité autoérotique [plaisirs indépendants] des zones érogènes est la même pour les deux sexes et, en raison de cette concordance, la possibilité d'une différence des sexes, telle que celle qui se met en place après la puberté, est supprimée pour la durée de l'enfance. Eu égard aux manifestations sexuelles autoérotiques et masturbatoires, on pourrait formuler la thèse suivante : la sexualité des petites filles a un caractères entièrement masculin. Bien plus, si l'on était capable de donner un contenu plus précis aux concepts de « masculin et féminin », il serait même possible de soutenir que la libido est, de façon régulière et conforme à des lois, de nature masculine, qu'elle se manifeste chez l'homme ou chez la femme, et abstraction faite de son objet, que celui-ci soit l'homme ou bien la femme. [C'est-à-dire que feu frère Freud parle d'un masculin transgenre, signifiant que la femme est libidinalement active aussi – on peut avoir de l'humeur devant pareille terminologie de genre, qu'au fond elle ne change rien à ce qui est défendu voire prôné, aujourd'hui : nos jours restent freudiens ; et, mieux encore avec ce qui suit …]
Depuis que j'ai eu connaissance de la thèse de la bisexualité [grâce à W. Fliess], je tiens ce facteur pour déterminant dans ce domaine et je pense que si l'on ne tient pas compte de la bisexualité on ne parviendra guère à comprendre les manifestations sexuelles qui peuvent effectivement être observées chez l'homme et chez la femme.
Respectivement pages 108, 182 et 110, bien que feu frère Freud fasse de la zone labiale, de la zone anale et de la zone génitale des constellations instinctuelles, pulsionnelles, affectuelles et passionnelles notables, il écrit aussi :
L'induction de la sensation de plaisir dépend donc davantage de la qualité du stimulus que des propriétés de l'endroit du corps concerné. […]
Avant tout, la satisfaction naît de l'excitation sensible appropriée de ce qu'on appelle les zones érogènes, n'importe quel endroit de la peau, n'importe quel organe des sens, voire n'importe quel organe pouvant vraisemblablement tenir ce rôle, cependant qu'il existe certaines zones érogènes privilégiées dont l'excitation est assurée dès l'origine par certains dispositifs organiques. En outre, l'excitation sexuelle apparaît en quelque sorte en tant que produit additionnel dans un grand nombre de processus dans l'organisme, pour peu que ceux-ci atteignent une certaine intensité, et tout particulièrement dans toutes les émotions relativement fortes, fussent-elles de nature pénible [par exemple, lorsqu'en voiture on atteint le sommet ou le fond d'une côte à grande vitesse, un certain vertige provoque ce que des enfants, garçon ou fille, appellent parfois « trouille au zizi ou à la zazounette », excitant légèrement le rectum et les tétons aussi ; mais cela arrive aussi dans la honte d'être « au coin » théoriquement observé par tous]. Les excitations provenant de toutes ces sources ne s'assemblent pas encore, mais poursuivent chacune isolément leur but, qui n'est autre que le gain d'un certain plaisir. Il en résulte que, pendant l'enfance, la pulsion sexuelle n'est pas centrée [comme chez les adolescents et adultes qui « ne pensent qu'à "la baise", qu'au "cul", qu'à "la fourre" » : expressions qui pourtant, notez-le, font chacune référence à une des trois zones de constellations instinctuelles, pulsionnelles, affectuelles et passionnelles notables] et qu'elle est d'abord sans objet, autoérotique.
En raison de sa situation, la zone anale, tout comme la zone labiale, est propre à servir d'intermédiaire à l'étayage de la sexualité [des plaisirs] sur d'autres fonctions du corps. Il faut se représenter la signification [la signification] érogène de cet endroit du corps comme très grande à l'origine. Par la psychanalyse on est alors instruit, non sans étonnement, des transformations que connaissent normalement les excitations sexuelles qui en procèdent et de la fréquence avec laquelle cette zone conserve durant toute la vie une part considérable de stimulabilité […]
Pages 118-119, feu frère Freud prévient judicieusement contre la pédophile, car on sait que les victimes de maltraitances sont susceptibles de les reproduire ; il prévient en outre contre le manque d'éducation féminine, de façon légèrement misogyne et moralisatrice (c'est l'époque) mais, au fond, invitant au progrès, et c'est enfin généralisé à toute l'humanité sans distinction de sexe :
Il est instructif de constater que, sous l'influence de la séduction, l'enfant peut devenir pervers polymorphe et être entraîné à tous les débordements imaginables. Cela démontre qu'il porte dans sa prédisposition les aptitudes requises ; leur mise en acte ne rencontre que de faibles résistances parce que, suivant l'âge de l'enfant, les digues psychiques qui entravent les excès sexuels : pudeur, dégoût et morale, ne sont pas encore établies ou sont seulement en cours d'édification. À cet égard, l'enfant ne se comporte pas autrement que la femme moyenne inculte, chez qui subsiste la même prédisposition perverse polymorphe [en réalité, il en va de même d'un homme inculte]. Dans les conditions habituelles, [ceux-ci peuvent] rester à peu près norma[ux] sexuellement, mais, sous la conduite [d'un(e) habile séducteur(trice), ils prennent] goût à toutes les perversions et en maintiendr[ont] l'usage dans [leur] activité sexuelle. Dans son activité professionnelle, [le ou la prostitué(e)] met à profit la même prédisposition polymorphe et, par conséquent, infantile ; et, si l'on considère le nombre immense de [personnes] prostituées et de celles à qui il faut accorder des aptitudes à la prostitution bien qu'elles aient échappé au métier, il devient en fin de compte impossible de ne pas reconnaître dans l'égale prédisposition à toutes les perversions un trait universellement humain.
Pages 162-163, nous assistons au premier constat de l'importance du clitoris féminin, sans méjugement, bien que feu frère Freud finisse par parler du vagin comme source de plaisir mature (on sait aujourd'hui grâce aux découvertes ultérieures, que tout le plaisir féminin vient du clitoris, jusques et y compris pendant l'état de grâce de la grossesse) :
[…] chez l'enfant de sexe féminin la zone érogène directrice est située au clitoris ; elle est donc homologue à la zone génitale masculine du gland. Tout ce que mon expérience a pu m'apprendre sur la masturbation des petties filles concernait le clitoris et non les parties de l'appareil génital externe qui sont importantes pour les fonctions sexuelles ultérieures [la grossesse éventuelle]. Je doute même que, sous l'influence de la séduction, l'enfant de sexe féminin puisse aboutir à autre chose qu'à la masturbation clitoridienne, sauf de façon tout à fait exceptionnelle. Les décharges spontanées de l'excitation sexuelle, qui sont justement si fréquentes chez la petit fille, se manifestent par des spasmes du clitoris, et les fréquentes érections de ce dernier permettent à la fille de juger correctement des manifestations sexuelles de l'autre sexe, même sans instruction préalable, en transférant simplement sur les garçons les sensations de leurs propres processus sexuels.
Si l'on veut comprendre comment la petite fille devient femme, il convient de suivre les destins ultérieurs de cette excitabilité clitoridienne. La puberté, qui entraîne chez le garçon la grande offensive de la libido, se caractérise chez la fille par une nouvelle vague de refoulement qui affecte précisément la sexualité clitoridienne. C'est une part de vie sexuelle masculine qui succombe à cette occasion au refoulement. Le renforcement qui se crée lors de ce refoulement de la puberté chez la femme fournit alors un stimulus à la libido de l'homme et la contraint à accroître ses performances : parallèlement à l'élévation de la libido, on assiste également à l'augmentation de la surestimation sexuelle qui n'atteint sa pleine mesure que face à la femme qui se refuse et renie sa sexualité. Le clitoris, quand il est lui-même excité lors de l'acte sexuel finalement consenti, conserve le rôle qui consiste à transmettre cette excitation aux parties féminines voisines, un peu à la façon dont les copeaux de résineux peuvent servir à enflammer le bois plus dur. Il faut souvent un certain temps pendant lequel la jeune femme est anesthésique. Cette anesthésie peut devenir durable lorsque la zone clitoridienne se refuse à céder à son excitabilité, ce qui est précisément préparé par une activité intense durant l'enfance [activité autoérotique, faut-il le préciser]. On sait que l'anesthésie des femmes n'est souvent qu'apparente et locale [comme on dit aujourd'hui : « la frigidité n'existe pas »]. Elles sont anesthésiques au niveau de l’orifice vaginal, mais nullement excitables à partir du clitoris ou même d'autres zones. À ces causes érogènes d'anesthésie s'associent encore les causes psychiques, également déterminées par le refoulement [comme cela arrive chez l'homme aussi, niveau érectile].
Lorsque la stimulabilité érogène a été transférée avec succès du clitoris à l'orifice vaginal [dont on sait donc aujourd'hui, que son plaisir dépend du clitoris interne], la femme a changé sa zone directrice contre celle qui régit son activité sexuelle ultérieure [évidemment pas au niveau clitoridien, du coup, mais certainement au niveau de sa façon d'envisager sa sexualité comme plus ventrale], alors que l'homme a conservé la sienne depuis l'enfance. Dans [ce pseudo-]échange de zones érogènes directrices, de même que dans la vague de refoulement de la puberté qui, pour ainsi dire, met à l'écart la virilité infantile [transgenre], résident les conditions principales de la disposition de la femme aux névroses, en particulier à l'hystérie. Ces conditions sont donc liées intimement à l'essence de la féminité.
À ce point, il faut noter que les réticences actuelles sur la fin de ce discours, sont évidemment liées à une évolution de la morale sexuelle et de la socio-culture de genres en général. On comprend bien, par exemple, qu'une éducation guindée et profondément sexiste, comme c'était le cas de la société victorienne dans laquelle vécut feu frère Freud – auquel on ne peut pas demander sans mauvaise foi, d'avoir un recul anthropologique, en tant que neuropsychologue surtout … – on comprend bien qu'une telle éducation jouait en défaveur du bien-être psychosomatique féminin.
Mais, de plus, il faut noter que les nouveaux chercheurs en psychanalyse – on songe ici surtout à Medhi Belhaj Kacem, Être et sexuation – notent bien que l'hystérie n'est pas que féminine. Au contraire, Medhi Belhaj Kacem, dans son versant romancier voire philosophe, a fait de l'hystérisme une sorte de lifestyle assumé … ce qui peut très bien s'expliquer par son genre de névrose en propre. Néanmoins, cette dimension de son existence lui a permis de hasarder cette idée, sur la base d'observations en éthologie animale, que les femmes éprouveraient leur montée du désir comme jouissance, contrairement aux hommes qui l'éprouveraient surtout comme tension à résorber dans la jouissance (bien qu'ils aient une stimulabilité agréablement vécue). Pour leur bien-être raisonné, les femmes se détacheraient consciemment plus de leur désir jouissif (les hommes ayant une conscience de leur désir tensif, ce qui ne manque pas de permettre de les vanner, quant à leur « deuxième cerveau » putatif). Ce serait la cause, que les militant(e)s contemporain(e)s rejetteraient absurdement le freudisme, alors qu'il servit tant leurs militances en la rendant même nécessaire, début XXème siècle ! … Sacré retournement de situation tordue.
En tout cas c'est l'hystérisme de Medhi Belhaj Kacem, qui lui a permis de hasarder cette question du désir jouissif dont se détachent consciemment les femmes pour leur bien-être raisonné, ce qui n'est pas étonnant. Tous les chercheurs, quel que soit leur domaine de recherche, ont des instincts, des pulsions et des affects qui les attirent vers leur domaine de recherche (leurs « centres d'intérêts »). On ne fait rien sans rien, bien qu'on en attende pas forcément de retour (il ne faut pas confondre intérêt et intéressement).
Voilà pourquoi feu frère Freud peut bien être un sacré pervers à tendance paranoïaque, dans son genre, du moins ce qu'on appelle aujourd'hui une personnalité sensitive dans les milieux psychiatriques médicaux, que ça n'est pas un contre-argument face au freudisme. Feu frère Freud a peut-être eu une mère intrusive, du moins une mère qui l'impressionna beaucoup (comme c'est une supposition émise par le psychanalyste Sándor Ferenczi, héritier reconnu et jamais renié par feu frère Freud, dans son Journal critique à la fin de sa vie). En fait, au contraire, une telle personnalité que celle de feu frère Freud serait plutôt la condition sine qua non, des découvertes ont pu être faites dans le domaine sexologique. C'est bien dire que, parce que feu frère Freud était ainsi fait, il put sublimer ses perversions tendanciellement paranoïaques dans le domaine de la création psychanalytique ; et dire que, de manière générale, il faut avoir une complexion assimilable, pour bénéficier de l'esprit critique nécessaire dans le domaine. Une défiance pour ainsi dire congénitale est utile, car elle crée une distance profitable : elle « désaffecte » la Chose, permettant ainsi d'y mener des raisonnements.
Tout cela concerne évidemment des « sujets délicats » : la familiarité, l'intimité, la corporéité. Des sujets, donc, qui suscitent des nervosités et des énervements jusqu'aux militances contemporaines. C'est parfaitement naturel. Car, comme dit Medhi Belhaj Kacem, il s'agit de notre antéforme, c'est-à-dire la forme de ce qui ne s'éprouve pas encore comme forme (schéma corporel, équilibre) dans la petite enfance, notamment. Et pourtant, ça éprouve du plaisir et de la souffrance, par sentience, tout comme les animaux en général, à partir d'un certain stade mal définissable pendant la grossesse … sur la base duquel, militent au contraire les « pro-vie » anti-avortement et anti-contraception ! … Étrange chantier, pour tout le monde, sur lequel nous ne pouvons que nous faire des convictions militantes foncièrement dogmatiques, dans un sens comme dans l'autre … Après tout, un « tas de cellules » même sans système nerveux, c'est vivant, et on le tue quand même – comme on dit : « on abat bien les chevaux » ! … sans parler de tous les animaux d'élevage pour nos consommations carnées ! … C'est le même problème sentient.
Mais, page 166, feu frère Freud est sage de défendre l'existence ordinaire ; à se demander si la psychanalyse ne devrait pas demeurer entre les mains de quelques initiés, plutôt que d'être manipulée follement par des magazines de vie quotidienne, qui la desservent en la caricaturant (« psychanalyse de comptoir ») :
La mère serait probablement effrayée si on lui expliquait qu'avec toutes ses marques de tendresse elle éveille la pulsion sexuelle de son enfant et prépare son intensité future. Elle considère ses actes comme « pur » amour asexuel, puisqu'elle évite soigneusement d'apporter aux parties génitales de l'enfant plus d'excitations qu'il n'est indispensable pour les soins corporels [quand elle n'est pas positivement perverse]. Mais, comme nous le savons, la pulsion sexuelle n'est pas seulement éveillée par excitation de la zone génitale, et ce que nous appelons tendresse ne manquera pas non plus de faire sentir un jour son action sur la zone génitale. Au demeurant, si la mère comprenait mieux la haute importance des pulsions dans l'ensemble de la vie psychique, dans toutes les réalisations éthiques et psychiques, elle s'épargnerait, même après qu'on lui ait fourni les éclaircissements dont nous parlions, tous les reproches qu'elle est susceptible de faire. Elle ne fait que remplir son devoir lorsqu'elle apprend à l'enfant à aimer [ce que le psychanalyste très reconnu en Grande Bretagne, Donald D. Winnicott, nomma mère suffisamment bonne] ; celui-ci [l'enfant, garçon ou fille] doit en effet devenir un être humain capable, doté d'un besoin sexuel énergique, et réaliser dans son existence tout ce à quoi la pulsion pousse l'individu.
On voit bien que feu frère Freud parle de choses naturelles, et n'est absolument pas là pour culpabiliser les mères, comme cela est parfois dit stupidement. Au contraire, encore une fois ici, feu frère Freud défend l'idée de femmes éduquées capables de tenir compte de ces éléments dans les soins qu'elles procurent et l'éducation qu'elles dispensent. Des femmes enfin lucides sur leurs démarches, maîtresses d'elles-mêmes.
Feu frère Freud reste vigilant quant aux perversions possibles, donc contre la pédophilie, même page et suivante (167) :
Un excès de tendresse parentale sera assurément nuisible en hâtant la maturation sexuelle, et aussi parce qu'il « gâtera » l'enfant, le rendra incapable dans sa vie future de se passer provisoirement d'amour ou de se contenter d'une moins grande quantité d'amour. Le fait que l'enfant se montre insatiable dans sa demande de tendresse parentale est un des meilleurs présages de nervosité ultérieure ; et, d'autre part, les parents névropathes, qui sont la plupart du temps enclins à une tendresse démesurée, sont précisément ceux qui, par leurs câlineries, éveilleront le plus facilement la disposition de l'enfant aux affections névrotiques. On voit d'ailleurs par cet exemple que les parents névrosés disposent de voies plus directes que celle de l'hérédité pour transférer leurs troubles à l'enfant.
Avis aux parents « surprotecteurs » plus ou moins « nouveaux » ou « poules » contemporains : vu le génie de feu Frère Freud en avance sur son temps, au point qu'on milite aujourd'hui pour ses idées tout en croyant les avoir dépassées (faut-il être idiot) il est très probable qu'on puisse faire confiance à feu frère Freud.
Ainsi, pages 184-185 :
Nous n'avons pas été en mesure de dire quelle somme d'activités sexuelles pouvait encore, pendant l'enfance, être considérée comme normale et inoffensive pour le développement ultérieur. Il apparut que le caractère des manifestations sexuelles était essentiellement [autoérotique, où tout le monde remarque surtout la dimension] masturbatoire. Nous avons établi en outre, en nous appuyant sur l'expérience, que les influences externes de la séduction pouvaient provoquer des interruptions prématurées de la période de latence, voire sa suppression, et qu'à cette occasion la pulsion sexuelle de l'enfant se révélait en fait perverse polymorphe [potentiellement telle, impactant la puberté, l'adolescence et la vie adulte] ; enfin, que chaque activité sexuelle précoce de ce genre entravait l'aptitude de l'enfant à recevoir l'éducation [et pour cause : nous parlons aujourd'hui de nécessaire résilience, et d'accompagnement moral].
En dépit des lacunes de nos connaissances sur la vie sexuelle infantile [autoérotique], nous avons dû essayer alors d'en étudier les modifications induites par l'arrivée de la puberté. Notre choix se porta sur deux d'entre elles qui nous semblaient déterminantes : la subordination de toutes les autres origines de l'excitation sexuelle au primat des zones génitales et le processus de découverte de l'objet [c'est-à-dire le passage de l'autoérotisme au désirs d'autrui, désirs capables de procréation tout comme altersexuels, que feu frère Freud nommait invertis]. Ces deux modifications sont déjà préfigurées dans l'enfance. La première s'accomplit par le mécanisme de l'exploitation du plaisir préliminaire, grâce à quoi les actes sexuels auparavant autonomes, reliés au plaisir et à l'excitation, deviennent des actes préparatoires au nouveau but sexuel : l'évacuation des produits sexuels, dont la réalisation, coïncidant avec un plaisir extrême, met fin à l'excitation sexuelle [la pornographie n'est pas là pour le démentir, bien que cette dernière phrase reste phallocentrique, époque de feu frère Freud oblige, puisque de manière générale c'est l'orgasme d'autrui qui sert donc de nouveau but sexuel … ]. Nous avons dû à cette occasion prendre en considération la différenciation de l'être sexuel en homme ou en femme, un nouveau refoulement était nécessaire, qui abolît une part part de la virilité [transgenre] infantile et préparât la femme à l'échange de sa zone génitale directrice [du moins, ses préoccupations sexuelles, puisque nous savons depuis que le plaisir demeure clitoridien]. En ce qui concerne, enfin, le choix d'objet [d'autrui], nous avons constaté qu'il était guidé par les ébauches infantiles – ravivées à la puberté – d'inclination sexuelle de l'enfant pour ses parents et les personnes qui le soignent [nurses, animateurs, instits, profs, accompagnateurs, entraîneurs, etc.] et qu'il était détourné de ces personnes par la barrière érigée entre-temps contre l'inceste [par son milieu et son développement psychique, quand ils ne sont pas pervers] pour être dirigé vers d'autres individus qui leur ressemblent [et l'on sait aujourd'hui en plus, qu'il y a aussi là une part de réflexes congénitaux, par recherche de concordance génétique, induite par les phéromones]. Ajoutons, pour finir, qu'au cours de la période transitoire de la puberté, les processus de développement somatiques et psychiques évoluent pendant un temps côte à côte sans lien entre eux, jusqu'à ce que l'irruption d'une motion amoureuse psychique intense, causant l'innervation des parties génitales, établisse l'unité normalement requise de la fonction amoureuse.
Car nous parlions bien d'amour et de haine, ne l'oublions pas, et ce depuis le début. En effet, et pour l'anecdote : au plan de la connaissance (épistémologie) le freudisme est une forme d'empédocléisme épicurien ! … Or, c'est quelque chose qui, dans ses développements complexuels personnels, dépend éminemment de chacun(e). Nous avons tou(te)s une personnalité différente : cela, le freudisme ne l'a jamais nié – contrairement à ce que certain(e)s prétendent au sujet du complexe d'Œdipe (depuis feu frère Freud, enrichi par le complexe d'Électre chez la fille selon théorisation, ainsi que des complexes de Laïos et de Jocaste respectivement chez le père et la mère : c'est passionnant).
Par exemple, concernant la personnalisation de chacun, dans un autre ouvrage de feu frère Freud (la Psychopathologie de la vie quotidienne, à la NRF, 1992 – original 1901 – pages 42-43) on lit à l'occasion de l'analyse d'un oubli de nom :
Peut-être qu'avec un autre nom, offrant des conditions de reproduction plus favorables, ce fait ne se serait pas produit. Aussi bien est-il probable qu'un élément refoulé s'efforce à chaque fois de se faire valoir en n'importe quel autre endroit, mais qu'il n'atteint ce résultat que là où des conditions appropriées se portent à sa rencontre. D'autres fois, la répression réussit sans qu'il y ait trouble de la fonction, ou, comme nous pouvons le dire à bon droit, sans symptômes.
Si l'on résume les conditions de l'oubli d'un nom accompagné d'une remémoration manquée, on obtient donc : 1) une certaine disposition à l'oubli de celui-ci ; 2) un processus de répression qui s'est déroulé peu de temps auparavant ; 3) la possibilité d'établir une association extérieure entre le nom en question et l'élément précédemment exprimé [dans la phrase]. [Extérieure, c'est-à-dire inconsciente, rapport à la situation d'énonciation et ses enjeux conscients.]
C'est bien pour tout cela, que la psychanalyse ne saurait être une science exacte (lire à ce sujet le premier article de la série Viabilités psychanalytiques en perspective) quoiqu'elle soit une méthode pertinente d'investigation et de connaissance de soi. Nous disions ailleurs (dans le deuxième artilce de la série) qu'elle échappait au paradigme empirico-rationaliste, et relevait d'un paradigme vital-existentialiste. Cela est tellement vrai que feu frère Freud se confie régulièrement sur sa propre personnalité, exploitée psychanalytiquement, dans ses œuvres : il y a là, si vous permettez, une forme de « sainte innocence » ou d' « innocente sainteté », dans la démarche (par quoi, Jacques Lacan s'est permis quelques digressions quant au « saint-homme » homophone au « symptôme » … passons, car cela contourne follement sa pseudo-virginité … ).
Et l'on aura beau en vouloir à feu frère Freud, ainsi qu'aux psychanalystes, de dire des choses spécieuses sur la base de vocables sexuels (telles que sexualité infantile, envie de pénis ou phallus), on ne fera que témoigner notre idiotie, d'avoir mal interprété voire surinterprété la question. De toute évidence, la psychanalyse ne parle pas de nos projets conscients, mais d'effets « inconscients » ou – si ce mot dérange – transcients, c'est-à-dire qui nous traversent bon gré mal gré nos efforts de connaissance conscients.
Page 69 puis 198 de la Psychopathologie de la vie quotidienne, on trouve cette base fondamentale et pionnière à toute psychothérapie :
C'est ainsi qu'un flux constant de « mise en relation avec ma propre personne » traverse ma pensée, dont je n'ai habituellement pas connaissance, mais qui se révèle à moi par [diverses erreurs singulières]. C'est comme si j'étais obligé de comparer tout ce que j'entends dire sur des [sujets variés] avec ma propre personne, comme si mes complexes personnels se trouvaient activés chaque fois que d'autres viennent à ma connaisance. Il est impossible que ce soit là une particularité individuelle de ma personne ; il faut, bien plutôt, y voir une indication sur la façon dont, d'une manière générale, nous comprenons « ce qui est autre ». J'ai des raisons de supposer que les choses se passent, chez d'autres individus, exactement de la même façon que chez moi. [Sinon aucun texte littéraire, par exemple, ne nous dirait jamais rien, aucun témoignage de rien ni personne, alors qu'au contraire il y a des communications possibles, cahin-caha].
Dans un nombre de cas extraordinairement grand, c'est en effet la disponibilité du lecteur qui modifie le texte et y introduit par la lecture une chose vers laquelle son esprit est disposé ou qui l'occupe. Le texte lui-même n'a pas besoin que d'aller au-devant [de nos erreurs singulières] en présentant une quelconque similitude sur le plan de l'image ou du mot [inconscients], similitude que le lecteur peut modifier dans le sens qu'il désire [bon gré mal gré].
Tout ce qui n'empêche pas, comme disait le dissident freudien Otto Rank dans la Volonté du bonheur – Otto Rank, pourtant fort ami de Sándor Ferenczi reconnu et jamais renié par feu frère Freud … – tout ce qui n'empêche pas, disions-nous, que la psychanalyse soit plus ou moins « moralo-pédagogique » de façon irritante parfois, ni surtout qu'elle reste une recherche de conscience, c'est-à-dire d'émancipation de la volonté personnelle. Autant de choses parfaitement contemporaines, permettant d'affirmer que – tou(te)s autant que nous sommes – nous sommes adeptes de feu frère Freud.
Salut, frère.
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