Gene Hackman (1930-2025) : l’étoile perdue du Nouvel Hollywood
Gene Hackman, montagne sacrée (1m88 !) du cinéma américain, est mort ! Âgé de 95 ans, ce qu'on appelle avoir bien vécu. Mais un mystère tout hollywoodien (sanctuaire mortifié, on le sait au moins depuis feu Lynch) nimbe encore sa mort. On l’a retrouvé sans vie à son domicile à Santa Fe Summit (Nouveau-Mexique, États-Unis), auprès de sa (seconde) femme, épousée en 1991 et pianiste classique de métier, morte également (âgée seulement de 63 ans : Betsy Arakawa, 1961-2025) ; un de leurs chiens, un berger allemand, a aussi été retrouvé sans vie, a précisé le shérif du comté de Santa Fe, Adan Mendoza, propos rapportés par plusieurs médias américains, dont le crédible Variety ; pour autant, il ne s'agirait « pas d'un acte criminel », a déclaré la porte-parole citée par la chaîne américaine CNN.
- Gene Hackman et Betsy Arakawa à Los Angeles, en 1986 (©Photo Donaldson Collection/Getty Images)
Gene Hackman n’avait pas eu une vie de chien pourtant, loin de là même, c’était une star XXL, comme le cinéma américain en fabrique si peu de nos jours, trop concurrencé par d’autres médias (Internet et les réseaux sociaux, la télé et les jeux vidéo). "What the fuck ?", me suis-je dit aussitôt, via cette mort « suspecte » puissance 3 (suicide en trio ? Meurtre ? Accident au monoxyde de carbone présent dans la résidence ?) annoncée, d’autant plus qu’il a joué dans certains films aux titres « programmatiques », comme La Descente infernale, Carnage, Sens unique, Affaire non classée, Beautés empoisonnées, Suspicion, Le Seul Témoin, Opération crépuscule et autres La Théorie des dominos.
Bizarre, mais attendons l’autopsie ou le retour précis des autorités sur place – elles ont trouvé des pilules éparpillées dans la salle de bain, où reposait le corps de Betsy Arakawa - pour y voir plus clair : leur porte de maison non sécurisée est restée ouverte, Hackman a été trouvé dans le vestibule (mudroom, il s’agit d’une pièce séparée de la cuisine), entièrement habillé, avec ses lunettes de soleil retrouvées à côté de sa dépouille, et Arakawa dans la salle de bain, près d’un radiateur, tous deux présentant des signes de décomposition, à savoir se trouvant « dans un état de décomposition avec des gonflements au visage et des momifications aux mains et aux pieds » (TMZ). Quant au chien décédé (le couple, apparemment, en avait trois), il a été « retrouvé à trois à cinq mètres de Betsy, dans un placard de la salle de bains ». Toute spéculation serait erronée, même si le cinéma, miroir aux alouettes et art de faire revenir les fantômes, se prête volontiers aux mirages et aux histoires sans fin ou à dormir debout. Il est tout de même bon de préciser qu'une « enquête active » a été ouverte pour déterminer les causes de leur mort - on se croirait dans un film ! Il n’y avait aucun signe évident de fuite de gaz dans la maison, le couple ayant été retrouvé par deux ouvriers assurant l’entretien de la propriété. D’après TMZ toujours, ces derniers ont assuré qu’ils n’avaient pas croisé Hackman et Arakawa « depuis environ deux semaines ». Tout de même, que c’est brumeux ! Aux dernières nouvelles, les enquêteurs considèrent bel et bien ces décès comme fort suspects. Affaire à suivre...
- Gene Hackman (1930-2025) : le boss, c’était lui !
Beau geste
Sa filmo ? Diantre, la plupart du temps, c'est la classe américaine, sur fond de (culte) Nouvel Hollywood : les seventies ou l'âge d'or du cinéma américain, animé par des « cinéastes cinéphiles », profondément rétifs aux normes du système capitaliste afin de mieux se tourner vers les marginaux et les losers magnifiques, tout en interrogeant, de manière cash (sexe et violence), les frontières floues du bien et du mal. Avec, dans sa besace (attention au name dropping !), des cinéastes de classe A : William Friedkin, Arthur Penn, Clint Eastwood, Jerry Schatzberg, Francis Ford Coppola, John Sturges, John Frankenheimer (cinéaste à qui la Cinémathèque française, à Paname, rendait récemment hommage via une rétrospective, du 27 janvier au 1er mars 2025), John Moore, John Herzfeld, Mel Brooks, Robert Rossen, Stanley Donen, Stanley Kramer, Richard Brooks, Richard Lester, Richard Donner, Richard Attenborough, Andrew Davis, Michael Apted, Michael Ritchie, Warren Beatty, Roger Donaldson, Roger Spottiswoode, George Roy Hill, Walter Hill, Alan Parker, Ted Kotcheff, Peter Markle, Peter Masterson, Peter Hyams, Sidney Lumet, Sydney Pollack, Sidney J. Furie, Woody Allen, Barry Sonnenfeld, Mike Nichols, Lawrence Kasdan, Sam Raimi, Tony Scott et Wes Anderson. Question noms, ayons le sens du détail, il avait de la constance : je note 4 Richard, 4 John, 3 Sidney, 3 Peter, 2 Brooks, 2 Roger, 2 Michael, 2 Hill ainsi que 2 Stanley. Mais, à ma connaissance, point de femme réalisatrice à l'horizon, dommage !
Né le 30 janvier 1930 - de son vrai nom Eugene Allen Hackman -, au temps de la Grande Dépression, à San Bernardino en Californie, il fut très tôt abandonné par son père, alors rédacteur du Commercial News, qui plaque soudain, en 1943, sans crier gare, boulot et famille, quand Gene n'est encore qu'ado. Le gamin, alors qu'il joue dans la rue, voit son père passer en bagnole, il le salue de sa main avant de disparaître illico - on dirait une scène de film à la Lynch (Blue Velvet) ou à la Coppola (Tucker) ! Bien sûr, cela marque le jeunot au fer rouge, on le serait à moins, tout en le mettant paradoxalement sur la voie, pas forcément de garage (malgré les difficultés sociales qui suivront) : « Je suis peut-être devenu acteur à cause de ce geste de mon père. Il était si... précis. Je n'avais pas besoin d'autre chose pour comprendre ce qu'est un acteur. » Eh oui, le cinéma, par-delà l'histoire à raconter (drame ou fable), c'est aussi une chanson de geste.
Franchement, de prime abord, ce Gene Hackman, il n’était pas spécialement beau, avec son crâne dégarni et sa gueule cabossée, genre type pas commode (ou « ours mal léché », comme on dit), voire autoritaire, mais, mazette, quel charisme... Doux, dur et dingue à la fois, ajouterait possiblement Clint Eastwood, et il n'aurait pas tort. Cette allure de "Monsieur Tout-le-Monde", à la mine passe-partout et à l'apparence presque anonyme (tout de même nuancée par une carrure d'athlète), lui a même joué des tours au début. Il a eu du mal à percer, lui qui avait embrassé, sur le tard, la carrière d'acteur après avoir admiré au cinéma James Cagney et Edward G. Robinson, tout en s'essayant à la méthode Actors Studio, au sein de l’école d’art dramatique de Pasadena Playhouse en Californie, en compagnie notamment du « gringalet » Dustin Hoffman, qu'il retrouvera bien plus tard dans Le Maître du jeu (2003) de Gary Fleder. Avant cela, il fut ancien marine (pendant six ans, il sillonnera l'Asie : Shanghai, Yokohama, les Philippines), ancien vendeur de chaussures, ancien journaliste (activité qu'il retrouvera plus tard, non sans clin d'œil, en reporter de guerre au Nicaragua, dans Under Fire, 1984, de Roger Spottiswoode), ancien dessinateur, ancien assistant de télévision et même ancien déménageur (il était costaud, ça aide !) : à James Lipton, il confiera bien plus tard, au cours d'une émission : « À l'époque, ça n'allait pas du tout. Je n'avais pas le genre de physique qu'on recherchait et je n'avais aucune confiance en moi. Je multipliais les petits boulots, j'enchaînais les petits boulots... et j'en arrivais à me demander pourquoi j'avais décidé d'être acteur. »
- Gene Hackman, alias « Popeye », dans « French Connection », 1971, de William Friedkin
Hackman ne débuta vraiment au cinéma qu'en 1964 (il a alors 34 ans), aux côtés du très beau gosse Warren Beatty (qui, lui, pour le coup, avait une tête de jeune premier idéal) et Jean Seberg ! C'était dans Lilith (1964) de Bob Rossen, via une scène certes brève mais ô combien révélatrice de son - déjà - redoutable talent. Au fil du temps, en le voyant vieillir (et c'est peu dire qu'au fond, il était comme un vin qui se bonifie avec le temps), on aimait aussi et surtout le détester quand il jouait savoureusement les méchants. Quant à l'homme, se confondant peut-être avec ses rôles troubles, il n'était pas toujours facile. On dit que l'ambiance fut électrique entre le réalisateur nerveux William Friedkin, connu pour être un mégalo à la caméra survoltée, et lui sur le tournage du désormais culte French Connection (1971).
- William Friedkin (1935-2023), le réalisateur de « French Connection » (1971), figure marquante du Nouvel Hollywood, ici sur le tournage de « L’Exorciste » (1973)
Dès le premier jour du tournage, Gene Hackman, pas à son aise, veut jeter l'éponge : « Il a fallu, se souvient le réalisateur, volontiers tempétueux, plus de vingt prises pour qu'il parvienne à gifler un dealer. Là, je me suis dit qu'on était vraiment dans la merde. Hackman est contre la violence, il déteste ça, et il se croyait incapable de jouer un rôle pareil. Il a vécu dans une petite ville de l'Illinois gangrenée par le Ku Klux Klan, il a le racisme en horreur et était persuadé qu'Egan [le vrai policier qui sert de modèle pour Popeye], était xénophobe. » Quant à l'acteur, il se qualifiait lui-même régulièrement de « casse-couilles quatre étoiles », ne manquant pas de préciser à longueur d'interviews, tout en tirant volontiers sur la corde, quitte à le caricaturer, de son personnage de dur à cuire irascible (chien enragé ou glorious bastard !) qui faisait résolument sa marque de fabrique à Hollywood : « Je plains les metteurs en scène qui travaillent avec moi. » Néanmoins, dans cette possible foire d'empoigne qu'est un tournage de cinéma (entreprise collective et très hiérarchisée, où le facteur humain joue beaucoup), l'un l'a très bien compris, n'étant pas dupe de son personnage en partie « fabriqué » (l'homo hackmanus !) pour le grand écran de la salle obscure : ce fut Clint Eastwood, qui le voyait, tout en plissant des yeux, façon western spaghetti, et en se jouant de sa veine temporale saillante, comme « un arbre puissant et indéracinable, mais au feuillage fragile ». Bien vu. Et il vient fraîchement d’écrire dans un communiqué, faisant suite à sa disparition : « Il n’y a pas de meilleur acteur que Gene. Intense et instructif. Jamais une fausse note. C’était aussi un cher ami qui me manquera beaucoup. »
Gene ? C'était bel et bien ce qu'on appelle un acteur, comédien ô combien charismatique, au charme animal, à l’aise aussi bien dans les premiers rôles que dans les (seconds) rôles de composition variés (méchant, pervers crapoteux ou gentil, charmant bonimenteur, grande gueule sympathique, parfois chien battu ; comme lorsqu'il joua splendidement un détective maladroit, cocu et dépassé par les événements, dans La Fugue, un grand film noir hélas totalement oublié, mélancolique et désenchanté, signé Arthur Penn, en 1975, cinéaste qu'il retrouvait après le coup de tonnerre que fut Bonnie and Clyde (1967), pour la seconde fois).
Au fond, il n'était jamais aussi bon que quand il retrouvait un réalisateur déjà croisé sur sa route auparavant, comme s'il avait besoin de se sentir en confiance pour se donner à fond, ce qui somme toute est logique. Ainsi, après L'Épouvantail (1973), il retrouve en beauté, telle une Seconde Chance, Schatzberg avec Besoin d'amour (1984), où il trouve la note juste en interprétant un père qui comprend mal son fils. Il n'est pas loin d'être poignant là-dedans, hésitant dans son difficile « métier » de paternel responsable. Et bien sûr, après l'excellent Impitoyable (1992, Unforgiven, pour la petite histoire et la grande, ce western classique postmoderne, rendant clairement hommage aux deux maîtres de Clint au générique final, à savoir Don Siegel (L'Inspecteur Harry) et Sergio Leone (la Trilogie du Dollar), a été sélectionné, excusez du peu, par la bibliothèque du Congrès des États-Unis pour être conservé au National Film Registry en raison de son « importance culturelle, historique ou esthétique », ça le fait !), il est encore énorme en politicard véreux dans Les Pleins Pouvoirs (Absolute Power, thriller politique hitchcockien de haute volée projeté lors de la clôture du 50e Festival de Cannes le 18 mai 1997), y campant ni plus ni moins LE président des États-Unis - Donald Trump ? Eh non, un certain Allen Richmond - cherchant à maquiller le crime d'une femme blonde séduisante, dont il est, avec ses deux agents de sécurité, responsable, en faisant en sorte que le seul témoin compromettant de la scène de crime, à savoir un gentleman cambrioleur (Luther Whitney), incarné par Eastwood himself, bien décidé à confondre les coupables et ce, contre toute attente, au vu de son activité illicite de l'ombre (voleur), devienne fissa la cible des services secrets.
- Gene Hackman/Allen Richmond, le président des États-Unis, aux côtés de Melora Hardin Christy Sullivan), dans « Les Pleins Pouvoirs », 1997, de Clint Eastwood
Un acteur doublement oscarisé, abonné aux rôles de figures autoritaires
Doté manifestement d’une grande présence à l’écran, perso, j’aimais l’y retrouver et il a, telle une madeleine de Proust (difficile à cerner), bercé ma jeunesse... cinéphile (soit dit en passant, car cela n'est pas toujours le cas, cet acteur américain a toujours été bien doublé en France, il a d'abord été doublé essentiellement par Claude Joseph, puis, à la mort de celui-ci en 1995, il a été régulièrement doublé par Jacques Richard jusqu'en 2002) avec, en vrac : Le Maniaque à la mitraillette (1961, quel titre !, son tout premier rôle au cinoche (un flic), mais non-crédité au générique), Bonnie & Clyde (1967, film coup de poing, ultra violent, confirmant son talent indéniable, c'est pour l'acteur une première nomination, du meilleur second rôle, aux Oscars et aux Golden Globes, sa carrière est lancée), French Connection (1 et 2, la consécration ! Cf. son fameux rôle de Jimmy « Popeye » Doyle, un personnage de policier à l’apparent calme placide toutefois contrebalancé par des accents de colère et un entêtement maladif, qui lui apporte, en 1972, l'Oscar du Meilleur acteur, « Réaliser un film, avait-il déclaré dans une de ses rares interviews au New-York Post en 2021, a toujours été risqué, tant physiquement qu'émotionnellement, mais je choisis de considérer ce film [French Connection] comme un moment dans une carrière en dents de scie, faite de succès et d'échecs, j'avais 40 ans, j'étais encore un inconnu. Donc, oui, il y avait une vraie frustration qui sortait de moi dans ce rôle », et même William Friedkin n'en voulait pas au départ ! « Ce n'était ni mon premier, ni mon deuxième, ni même mon dixième choix. Très clairement, je n'en voulais pas, il était beaucoup trop tendre pour le rôle. Mais on a fini par se rendre à l'évidence : nous n'avions tout simplement personne d'autre. Et aujourd'hui je suis incapable d'imaginer le film sans lui, il est parfait. Cette chance qu'on a eue, on la doit au "Movie God"... », bref c'est fou comme une carrière d'acteur tient à peu, avec le facteur chance comme atout principal).
- Avec Morgan Freeman (Ned Logan), Gene Hackman/Little Bill Daggett (shérif brutal), dans « Impitoyable » (1992) de Clint Eastwood
On n’oubliera pas de sitôt non plus Impitoyable (Eastwood réalisateur, pluie d'Oscars (4) en 1993 pour ce western crépusculaire, dont celui, bingo !, du Meilleur acteur dans un second rôle pour Hackman - on se souvient encore de sa trame, sur fond de vengeance (le moteur numéro un du genre classique qu'est le western), des plus efficaces : dans une petite ville du Wyoming (Big Whiskey), après l'acte abject commis sur une prostituée défigurée au couteau par un client ivre parce qu'elle avait ri de la taille de son pénis, William Munny (Eastwood), un ancien tueur à la réputation sinistre et que l'on dit fini (désespérément vieillissant), indigné par la clémence du shérif brusque du coin, Little Bill Daggett/Gene Hackman, imposant seulement au coupable une amende de sept chevaux à verser au proxénète, décide, avec deux coéquipiers (un jeune et un vieux), de se lancer dans la chasse d’un criminel, une récompense de mille dollars à quiconque tuera le coupable et son complice étant promise par les prostituées de la maison close, tout en maintenant dans sa ligne de mire le douteux shérif, brut de décoffrage, qui n'est autre qu'un ancien tueur qui fait régner l'ordre, et la terreur, dans la ville).
Puis, toujours avec grand plaisir, on le verra dans Superman (1, 2 et 4), Hackman y est très bon, notamment dans l’opus 2 (1980), en méchant ricanant de bande dessinée (Lex Luthor, super-vilain de Superman, pour le coup un peu trop lisse dans son collant lycra rouge, jaune et bleu moule-bite !, vraiment marrant, la truculence et la sournoiserie de fin limier lui allaient si bien), Mississippi Burning (1988, film dénonçant les agissements dégueulasses du Ku Klux Klan dans le Sud poisseux des States, on y fréquente un parfait Hackman, n'ayant pas froid aux yeux, dans son rôle d’agent fédéral aux méthodes guère orthodoxes, ce drame antiraciste lui valant une nouvelle nomination aux Oscars), Conversation secrète (1974, sommet du je(u) hackmanien à l’hallucinante vérité, « l'un des plus beaux personnages du cinéma américain des années 70 » selon Christian Viviani, se montrant vraiment inoubliable dans ce rôle de « plombier » solitaire, au look gris d’enquêteur taciturne (imperméable fripé, lunettes tristes, moustaches pendantes), bientôt piégé par une machination monstrueuse), L'Épouvantail (Palme d’or à Cannes en 1973, encore un marginal de composé par lui, comme déclassé, aux côtés du borderline Pacino, Gene campe avec maestria, tout en restant très sobre, un clochard magnifique et pathétique touché par la grâce), Les Aventures de Lucky Lady, La Famille Tenenbaum, Les Parachutistes arrivent (1969, au mot d’ordre percutant de trompe-la-mort, si ce n'est de kamikaze adepte de sorties de piste et de chute libre : « Quand sauter n'est pas une manière de vivre, mais aussi une façon de mourir », dixit son réalisateur, au style sec, nerveux et sophistiqué), L'Aventure du Poséidon (1972, son plus grand succès populaire, film à la mode - catastrophe -, en ce temps-là, oblige, il y excelle en héros salvateur, du genre prêtre bien sous tous rapports, sa foi et son courage sauvant des âmes piégées dans un paquebot en perdition), La Firme, Les Naufragés de l’espace, Les Charognards, Frankenstein Junior (1974, à l’aise dans la parodie référentielle), Un pont trop loin, Reds, Under Fire, Geronimo, Le Grand Défi, Mort ou vif (1995, avec, à ses côtés, le tout jeune Leonardo DiCaprio et la sublime Sharon Stone), USS Alabama, Get Shorty, Les Pleins Pouvoirs (toujours signé du grand Clint, âgé actuellement de 94 printemps, pour qui il jouait toujours les salauds, voire les pourritures finies), Ennemi d'État, Le Mexicain, j'en passe et des moins bons !
- Gene Hackman/Lex Luthor, avec Christopher Reeve (1952-2004), dans « Superman IV » (1987) de Sidney J. Furie
Nul n’est parfait, puis faut bien bouffer aussi, et il pouvait se tromper également : il a refusé Vol au-dessus d’un nid de coucou (1975) de Milos Forman, dont l’immense succès, tant commercial que critique, l’avait rendu quelque peu amer (il a également refusé Les Dents de la mer (rôle principal), Rambo (on lui proposait le shérif Teasle) et Le Silence des Agneaux, dont le rôle de Hannibal Lecter, et a dit non à Coppola pour Apocalypse Now ! Pour autant, le cinéaste de la saga du Parrain ne fut pas jamais rancunier à son égard, en apprenant son décès, il a déclaré tout récemment : « Gene Hackman était un grand acteur, inspirant et magnifique dans son travail et sa complexité… Je pleure sa perte et célèbre son existence et sa contribution »), s’étant alors mis un temps, tout en divorçant (en 1986 de sa femme d’alors, Faye Maltese (1928-2017), dont il a trois enfants, un fils et deux filles), en picolant et en déprimant, à la sculpture (se retirant au Nouveau-Mexique), pour prendre de la distance par rapport à l’univers impitoyable qu’était le cinéma (souvent formaté) des studios.
Il ne voulait pas vieillir au cinéma, disant souvent : « Je ne me vois pas finir en vieil acteur respectable », c’était en 2000, ajoutant (pour L’Express) : « À Hollywood, tout tourne autour du cinéma : les conversations, les gens que l'on voit, la vie de tous les jours. C'est totalement narcissique. On finit par oublier pourquoi on fait ce métier. »
Ainsi, Hackman, démocrate convaincu tout de même admirateur de Ronald Reagan, restait discret, se tenant à l’écart du grand cirque en vase clos de Hollywood tout en n’accordant que peu d’entretiens à la presse, ayant par ailleurs certainement compris que trop en dire tue le mystère. Homme de l’ombre, il fut en fait fidèle à la tendance cinématographique qui l’a vu naître, à savoir le Nouvel Hollywood, il a tout de même collaboré avec quelques-uns de ses représentants majeurs, de William Friedkin à Francis Ford Coppola, via Woody Allen, Mel Brooks, Richard Brooks, Clint Eastwood, John Frankenheimer, George Roy Hill, Walter Hill, Sidney Lumet, Mike Nichols, Arthur Penn, Sydney Pollack et autres Jerry Schatzberg), c’est-à-dire qu’en oscillant insensiblement, en permanence, entre les rôles négatifs (servis notamment royalement sur un plateau par Eastwood, Impitoyable et Les Pleins Pouvoirs, cf. photo principale de l’article) et les figures emblématiques de pater familias comme dans Wyatt Earp de L. Kasdan en 1994 (il avait l’Ouest dans la peau, là-dedans on le voit que dans une poignée de scènes au début du film mais son ombre plane tout au long des trois heures de cette magnifique épopée), il n’a jamais été aussi bon que lorsqu’il se faisait Le Maître du jeu de l’entre-deux (autrement dit de l’ambiguïté retorse), hésitant définitivement entre le bien et le mal, comme lorsqu’il trouve, auprès de Tom Cruise, pour l’un de ses plus grands rôles, celui d’un avocat pathétique naviguant en eaux troubles dans le solide La Firme (1993) de S. Pollack.
« J'ai décidé de n'être qu'un working actor », dixit Hackman, toujours à L’Express en l’an 2000. Puis, en 2004, donc, l’acteur prend, alors qu'il est encore bien portant, et portant beau, sa retraite anticipée, après le tournage de Bienvenue à Mooseport, long-métrage dispensable de Donald Petrie. Clap de fin pour Gene au cinoche, à qui il devait tant (gloire et argent), aussi, même s’il est éloigné avec le temps du septième art, il n’a jamais pour autant craché dans la soupe en se montrant ingrat à l’égard de cette poule aux œufs d’or massif pour lui, faisant sur le tard la remarque suivante : « Je ne regrette aucun des films que j'ai tournés. Même ceux qui n'ont pas bien marché [deux de ses films préférés, L'Épouvantail et Conversation secrète, malgré leur prestige (tous deux Palmes d’or), furent de cuisants échecs commerciaux]. Bien sûr, j'ai été blessé par le fait que personne n'aille voir ces films dans lesquels je m'étais tant investi. J'ai perdu toute confiance à faire des choix. Et, d'une certaine façon, j'ai abandonné. J'ai considéré cette activité comme un simple travail. J'ai commencé à m'en remettre à ce qu'on me proposait. (...) [Des films] J'en ai fait un certain nombre parce que l'acteur initialement choisi s'était désisté. Vu la qualité de la concurrence à Hollywood, je m'estime encore heureux d'avoir été choisi en seconde position. »
Retiré des sunlights des plateaux (même si le lien n’était pas rompu avec la « Hollywood Connexion »), c’est This The End pour lui. Depuis, il se consacrait à une autre de ses passions (il aimait la voltige aérienne et il a aussi été pilote automobile sur diverses courses dans les années 1970 et 1980) : l’écriture. Gene Hackman avait écrit trois romans de fiction historique, s’aidant de la plume avertie de l'archéologue sous-marin Daniel Lenihan (leur premier bouquin, Wake of the Perdido Star, publié en 1999, avait été traduit en français sous le titre L'Étoile perdue), avant de se lancer en solo dans deux nouveaux romans en 2011 et 2013 ; cinq livres en tout écrits, donc. Enfin, pour l'anecdote, l'astéroïde 55397 Hackman, découvert par Roy A. Tucker en 2001, a été nommé en son honneur. La classe, que je vous disais ! En outre, au cours d’une carrière courant sur plus de dix décennies, Gene Hackman, sacré Cinéman !, a tout de même remporté deux Oscars, on l'a vu (pour French Connection et Impitoyable), quatre Golden Globes, un Screen Actors Guild Award ainsi que deux BAFTA. Pas mal, pour quelqu'un qui ne se voulait qu'un « acteur qui travaille » ! Au magazine GQ, qui lui demandait de « résumer [sa] vie en une seule phrase », Gene Hackman avait répondu : « Il a essayé. »
- Gene Hackman (John Herod) dans « Mort ou vif » (1995) de Sam Raimi
Alors, qui, maintenant qu’il est mort (comme quoi, les diamants bruts ne sont pas éternels), écrira désormais le roman de sa vie au long cours sous forme nécrologique ? Les hommages vont aller bon train, ça c’est sûr. Mais assurément, il les mérite amplement. C’était un putain de grand acteur, dans tous les sens du terme ! Et, à n'en pas douter, le 2 mars prochain, l'Académie des Oscars devrait lui rendre, espérons-le en tout cas, l'hommage qu'il mérite, en tant qu’acteur phénoménal et trésor national. Je laisse le mot de la fin à au critique de cinéma britannique Peter Bradshaw considérant la mort de Gene Hackman comme la marque de « la fin de l’une des plus grands périodes du cinéma américain : la Nouvelle Vague américaine… Il est l’acteur de caractère qui est vraiment une star ; en fait, la star de chaque scène dans laquelle il apparaît – ce visage dur, averti, intelligent, mais peu attrayant, perpétuellement sur le point d’une dérision froidement indifférente, ou plissé dans un sourire paternel et douloureusement émouvant. »
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