« Gloria » en reprise au Champo : champagne !

A propos de Gloria, Seymour Cassel, l’un des acteurs fétiches de Cassavetes, dit ceci à Thierry Jousse (in John Cassavetes, éd. Cahiers, 1992) : « [Gloria était un scénario que John voulait vendre ?] C’est ce qu’il a dit mais je ne le crois pas. Il disait qu’il voulait vendre le scénario pour gagner de l’argent et faire un autre film. Mais à partir du moment où il écrivait lui-même le scénario d’un film, il aimait le tourner. Il ne voulait pas laisser à quelqu’un d’autre le soin de réaliser ses propres projets. Il était heureux que le film soit un succès commercial. Mais il ne le considérait pas comme un très grand film. Il ne mettait pas Gloria au même niveau que Shadows, Faces ou Husbands. » Revoir Gloria (1980, Cassavetes) dans une salle pleine, via sa réédition exclusive en copie neuve*, est passionnant. Tout d’abord parce que c’est un grand film (du 5 sur 5 pour moi), n’en déplaise à son auteur qui ne le considérait pas ainsi (mais les artistes ne sont pas toujours les personnes les plus aptes à analyser leurs œuvres) et, d’autre part, parce qu’il permet de se replonger dans l’œuvre cassavetienne, d’une pulsion de cinéma et d’un appétit de vivre incroyablement contagieux. John Cassavetes (1929-1989) est un mythe. En seulement douze films, ce bad boy du cinéma américain a marqué de son empreinte indélébile la cinématographie mondiale. Je me souviens que 1989 fut une année noire pour le 7e art. On perdait, à quelques mois d’intervalle, deux cinéastes importants : Cassavetes, le 3 février, et Sergio Leone (1929-1989) le 30 avril. Ce n’est pas un hasard si j’évoque le cinéaste transalpin des westerns-spaghettis - autre mythe du cinéma, autre manière de faire des films - car celui-ci n’a jamais caché son admiration pour le cinéma « vagabond » du grand Cassavetes, pourtant aux antipodes de son cinéma maniériste qui visait une folie des grandeurs lyriques à
Carnage dans le Bronx : la famille du jeune Portoricain Phil, 6 ans, vient d’être assassinée par
Gloria répond à une demande de sa femme-muse Gena Rowlands, qui souhaitait que son mari écrive quelque chose sur l’enfance - « Tu n’écris jamais rien sur les enfants… J’aimerais que tu écrives un truc sur les gosses. » Avec Gloria, il s’agit, mais en apparence seulement selon moi, d’un virage à 180°. Car derrière le film de genre, carré, bien mené et servi classiquement par la musique hollywoodienne du professionnel Bill Conti, auteur du score de Rocky, se cache en fait une histoire de couple double, en soi fidèle à l’univers de Cassavetes. En même temps que s’instaure une relation d’amour platonique entre Gloria et Phil, relation oscillant non stop entre amour maternel et désir de vie à deux, le film revient en filigrane sur la relation sexuelle, et semble-t-il sentimentale également, entre l’ex-call girl et le boss de
Dès le générique, constitué par des plans sur des peintures fluides très colorées, entre abstractions et figurations, de Romare Bearden, on sent qu’on est entre de bonnes mains. Sous couvert de faire un film de genre, Cassevetes, c’est plus fort que lui !, signe un film d’artiste. Mais attention, pas un film esthétisant pour autant. Pour l’acteur-réalisateur Cassavetes, à des années-lumière de l’art pour l’art, le cinéma était avant tout un moyen d’expression qui permet l’affirmation de la vie. L’art et la vie confondus, c’est ça Cassavetes. New York, ville bouillonnante et haute en couleur, est admirablement filmée dans Gloria. Les 1er plans nous font passer de vues touristiques (
Et au voyage géographique du couple Phil-Gloria, répond en parallèle leur jeu, physique puis mental, du chat et de la souris. Comme le remarque Thierry Jousse dans son remarquable Cassavetes (à mes yeux, un des plus grands livres sur le cinéma), les deux protagonistes expérimentent là-dedans un « voyage intérieur » qui les révélera à eux-mêmes. Ils se fuient, se retrouvent, s’attendent, et s’envoient des piques pour mieux s’adorer par la suite. Il s’agit d’amour-haine, d’attraction-répulsion, comme dans un vrai couple, en proie aux zigzags psychiques et aux orages affectifs. Il faut voir là-dedans le petit Phil, macho méditerranéen par excellence, tour à tour insulter Gloria (« Je te déteste, t’es bête. Sale personne ! ») et lui faire, au final, une grande déclaration d’amour : « Tu es ma mère, mon père. Tu es toute ma famille. Tu es mon amie Gloria. Tu es ma petite amie aussi. » ; il faut voir aussi Gloria rejeter au début ce gamin (« J’ai horreur des gosses. ») pour finir par le célébrer : « Moi, j’aime Phil ! Ce gosse est tellement futé, tellement débrouillard. Je n’ai jamais couché avec un type plus formidable. » (couché au sens de dormir dans le même lit, précisons-le pour éviter tout malentendu). En ce sens, malgré son statut de film de genre, Gloria est bel et bien un film d’auteur. A travers les histoires des couples Phil/Gloria et Tanzini/Gloria, Cassavetes, comme dans tous ses autres films, est à la recherche de la sagesse de l’amour, « Tout ce qui m’intéresse, c’est l’amour ! Le manque d’amour. La fin de l’amour. Et la douleur que cause la perte des choses qu’on nous enlève et dont nous avons tellement besoin. » (Cassavetes).
Enfin, c’est un véritable film d’auteur car, à travers l’histoire d’une femme libre et indépendante s’opposant au Système (ici
* En salle au cinéma Le Champo, Paris 5e, depuis le 9 juin 2010. Précisons qu’une Nuit Gena Rowlands est organisée au Champo le samedi 19 juin à minuit (3 films + 1 petit déjeuner) avec en Salle 1 Gloria, Love Streams, Broken English et, en Salle 2, She’s so lovely, Mikey & Nicky et Gloria.
** Les citations de cet article proviennent du superbe album photographique John Cassavetes, Autoportraits, éd. Cahiers du cinéma, 1992.
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