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Gonnord et Winship, regards croisés en Arles

En passant d’un pas lent et forcément mesuré devant les photographies exposées dans les grands ateliers de la SNCF, en Arles, où se tiennent les précieuses Rencontres internationales de la photographie, le touriste à l’oeil flâneur comme le marathonien du cliché, remarqueront peut-être, comme ce fut mon cas, un « raccord par le regard » entre deux séries de portraits qui se répondent d’un site d’exposition à l’autre, en ce qu’elles s’appuient paradoxalement sur la répétition comme manifestation de la différence et de la singularité (qui est comme l’on sait le meilleur moyen d’accéder à l’universel).

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Photographie de Pierre Gonnord

En passant d’un pas lent et forcément mesuré devant les photographies exposées dans les grands ateliers de la SNCF, en Arles, où se tiennent les précieuses Rencontres internationales de la photographie, le touriste à l’oeil flâneur comme le marathonien du cliché, remarqueront peut-être, comme ce fut mon cas, un « raccord par le regard » entre deux séries de portraits qui se répondent d’un site d’exposition à l’autre, en ce qu’elles s’appuient paradoxalement sur la répétition comme manifestation de la différence et de la singularité (qui est comme l’on sait le meilleur moyen d’accéder à l’universel).

Les travaux de Vanessa Winship, photo-reporter anglaise déjà très primée et ceux de Pierre Gonnord, brillant photographe français travaillant en Espagne, se rejoignent en effet en ce qu’ils proposent chacun une série de portraits pris selon un protocole précis, répété, dans lesquelles les sujets photographiés regardent l’objectif et prennent une pose codifiée, offrant cependant, au coeur du même, la nudité singulière de leurs visages humains.

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Photographies de Vanessa Winship

Dans les photographies de Vanessa Winship, des fillettes d’Anatolie orientale vivant dans des zones frontalières de l’Irak, de l’Iran, de la Syrie et de l’Arménie, sont photographiées en pied dans leurs uniformes d’écolières ; des robes bleues aux cols blancs, sur lesquelles sont brodées des phrases célébrant l’Etat turc. Elles sont saisies dans leur environnement immédiat, seules ou avec leur(s) sœur(s), dans une rue terreuse de village ou dans une salle de classe de fortune où apparaît parfois un portrait du père de la Turquie moderne, sans qui elles ne seraient certainement pas là. La photographe les a enveloppées dans un noir et blanc d’une grande subtilité, offrant une nuance de gris et une précision des contours qui aèrent la représentation, ouvrant un espace minéral dans lequel “s’envolument” les silhouettes des jeunes filles. Elles apparaissent alors, calmes et dignes, comme les sentinelles fragiles de la liberté, celle de s’instruire, celle d’échapper, peut-être, aux déterminismes de toutes sortes qui pourraient peser sur leurs existences. Elles sont figées ainsi, dans leur devenir d’écolières, éternellement en marche sous l’uniforme de l’avenir, leurs tenues signifiant ici leur appartenance à un grand projet, elles offrent chacune un regard singulier, qui en dit long sur ce qu’elles imaginent au-delà de l’objectif, chez nous.

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Photographies de Pierre Gonnord


Le travail photographique de Pierre Gonnord, lui, propose une série de portraits, en gros plans, généralement pris de face ou de trois quarts, et qui montrent des personnes aux visages éloquents, aux regards prolixes. Ce sont des membres de communautés marginales ; des gitans, des Harkis des foyers de la Sonacotra, des sans domiciles… des personnes qui selon l’auteur des prises de vue sont « des gens pas forcément en marge, mais un peu à l’écart du troupeau urbain dans lequel nous vivons, Ils appartiennent souvent à des groupes sociaux particuliers, comme le peuple gitan, les moines bouddhistes, les yakuzas, les Harkis de la Sonacotra, les sans-foyer… » Mais loin de faire un travail de recensement éthno-sociologique rappelant l’oeuvre magnifique d’August Sander, Pierre Gonnord ne s’intéresse pas aux groupes sociaux à travers l’individu représentatif, c’est la singularité des êtres qui l’attire vers leur universalité, au-delà des groupes sociaux, comme il le précise ; « ce qui m’intéresse, c’est avant tout l’individu. Même à l’intérieur d’un groupe, chaque personnage est singulier de par son parcours. » Il photographie ses modèles en studio, sur un fond noir, ne s’intéressant qu’à leur visage, et dans leur visage, à leur regard ; « Pour moi, la règle du portrait, c’est la rencontre, dans le silence et la pénombre du studio. La personne est debout devant moi, raide, figée. Je la laisse à ses libres pensées et j’essaie de capter avec la plus grande économie de moyens ce qu’il y a sous son regard, sous sa peau, de percer le mystère. Les séances de prises de vue sont courtes pour éviter de la transformer en modèle. » Mais les visages ne sont pas pour lui les faces visibles d’âmes invisibles, nulle approche platonicienne qui tendrait à réduire la chair humaine à de la pâte à modeler de l’intérieur, la chair apparaît comme absolument souveraine dans ces clichés, elle est le terrain d’une histoire, elle porte les traces d’un parcours, un récit intime et universel qui affleure lorsque les traits se relâchent et se confient à l’objectif accueillant du photographe. « Le visage de l’homme n’est pas le miroir de l’âme, c’est une histoire, une œuvre qui appartient à l’inconscient collectif. Chaque individu est une part de l’humanité ; Et c’est cette part d’humanité commune à tous que je recherche dans mes rituels photographiques. » Le spectateur voit donc des visages presque aussi grands que lui, dont il peut percevoir les plis et les rides, les plaies et les fentes, lui permettant d’accéder à ce qui palpite sous la peau. Mais ce qui le travaille peut-être le plus dans la répétition de ces visages, c’est la position que lui assigne chacun des regards de ces personnages. Il est soudain, au-delà de ce que l’objectif pouvait représenter pour ces personnes photographiées, celui qui regarde dans la rue, le passant généralement fuyant, coupable, peu attentif à ces personnes en marge dont le regard prend soudain une dimension qui l’écrase littéralement. Ils sont les témoins du regard et de l’existence du spectateur-passant qui ne peut que se considérer à leurs côtés. Cette fois-ci. D’ailleurs, c’est peut-être le fruit du hasard, peu importe, les portraits sont recouverts d’une plaque de plexiglas qui donne à leur fond noir des vertus spéculaires, si bien que le spectateur se voit dans « le tableau », il apparaît dans le fond noir, fragile silhouette sur l’épaule d’un géant. Il est littéralement happé par ce face à face avec ces hommes et ces femmes, souvent misérables, qui l’accueillent à leurs côtés et devant les quels il peut très concrètement se dévisager.

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Bien plus qu’une expérience esthétique, la confrontation de l’œil du spectateur à ces photographies donne tout son sens au mot « Rencontres » qui est utilisé par les organisateurs de ce festival qui fêtera l’année prochaine sa quarantième édition. C’est en effet dans l’attente formulée par ces regards, ceux des fillettes ancrées dans leur Anatolie orientale et ceux de ces marginaux sortis de tout contexte, comme les vedettes des Studios Harcourt, que réside le punctum de ces clichés. C’est parce qu’elles témoignent de la qualité de nos regards que ces photographies peuvent nous rencontrer et nous apprendre quelque chose de leurs « sujets ». Elles nous arrêtent dans l’acte de regarder notre propre regard. La répétition des rituels qui ont présidé à leur épiphanie efface ce qui appartient au genre, au groupe, aux autres, pour mettre à nu, au cœur de la variation, la singularité des regards, des visages qui les prolongent, et qui sont comme les reflets de nos propres visages, forcément nus devant ces regards-là.


Exposition de Vanessa Winship, Sweet nothings, les écolières des régions limitrophes d’Anatolie orientale. Atelier de maintenance, Parc des ateliers. Arles. 8 juillet/14 septembre 08.

Exposition de Pierre Gonnord, Atelier des forges, Parc des ateliers. Arles. 8 juillet/14 septembre 08.

Les citations de Pierre Gonnord sont tirées du magazine Exporama, n°10, spécial Rencontres d’Arles.


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2 réactions à cet article    


  • mikaboom 17 août 2008 01:03

     STOP les expressions de bobo.

    On dit à Arles pas EN Arles.


    • punctum 17 août 2008 08:52

       Arles étant la commune la plus étendue de France, avec 758 KM2, et en tant qu’ancien Royaume, il est admis, dans la région, d’employer la préposition en à la place de à, c’est une survivance et j’aime les survivances. C’est aussi un petit régionalisme qui ne manque pas de charme et permet d’éviter un hiatus un peu désagréable, en l’occurrence dans ce titre : é a a...
      Je ne vois pas le rapport avec les bobos, cette nouvelle classe imaginaire inventée par des publicitaires, honnie par le bon peuple, et je m’interroge sur l’autorité de ce "on" que vous utilisez... 

      Pour finir un petit poème de Paul-Jean Toulet

      En Arles

      Dans Arle, où sont les Aliscams,
      Quand l’ombre est rouge, sous les roses,
                  Et clair le temps,
       
      Prends garde à la douceur des choses.
      Lorsque tu sens battre sans cause
                  Ton cœur trop lourd  ;
       
      Et que se taisent les colombes  :
      Parle tout bas, si c’est d’amour,
                  Au bord des tombes.

       

      Cordialement

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