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Héros éphémères

Dans l’inconscient collectif des peuples, il n’est pas si loin le temps des jeux romains. Cet événement hautement politique était organisé par l’élite sénatoriale pour satisfaire le peuple qui réclamait comme aujourd’hui : "du pain et des jeux"

Des arènes imposantes, somptueuses et aériennes rivalisent aujourd’hui avec celles de l’empire romain et de sa ville éternelle. Le Colisée, gigantesque amphithéâtre fait pourtant figure d’ancêtre pour les foules bariolées et bruyantes.

Aujourd’hui, le « pain » symbolique venant à manquer, l’exigence ludique est plus grande mais elle peine à canaliser l’énergie des masses populaires et des médias confondus. Et la confusion de surenchérir.

L’idéal projectif prend la forme quelquefois des héros de l’adolescence. Les adultes retrouvent le niveau de la maternelle, ils se passionnent pour des personnages à l’allure étrange et aux capacités hors normes. Des figures plutôt destinées aux élucubrations romanesques et dont bien souvent ils ignorent tout ou presque. Leur imaginaire fait la différence. La fascination pour ces héros dotés de pouvoirs ou d’aptitudes extraordinaires déferlent dans les médias et se prolongent dangereusement dans leurs consciences bouillonnantes pour atteindre les paroxysmes du pouvoir et de la puissance.

Il faut croire que les anges sont à l’œuvre pour retenir les vents apocalyptiques quant au cœur de l’évènement des milliers d’esprits échauffés et tonitruants s’entassent sous les hospices « du grand soir » ou peut être du grand jour.

Des incidents, pourtant fréquents, ne sont pas encore à la mesure de la divine messe. Le grand entraineur céleste demeure sans doute vigilant.

Jadis, des prisonniers de guerre, condamnés, professionnels ou simples aventuriers, étaient entraînés par de véritables imprésarios qui les louaient très chers aux organisateurs. Les combats pouvaient durer la journée entière.

Les acteurs d’aujourd’hui sont dans l’addiction d’un système financier qui transforme leur esclavage en illusoire et clinquante célébrité. Un système subtil bien rôdé est né de l’action conjuguée de la foule multiforme et capricieuse et de la manipulation de quelques « empereurs et sénateurs » de la ville éternelle.

Les imprésarios sont les dignes successeurs des mafieux antiques, nous sommes les héritiers légitimes de ces mondes engloutis.

Les foules de supporters sont d’autant plus sensibles à ces représentations qu’elles éprouvent un sentiment de puissance ou de faiblesse au gré du score dans la confrontation spectaculaire du grand jeux de cirque.

Les supporters carnavalesques et bariolés aux couleurs patriotiques plongent dans l’illusion et le rêve pour un temps hors du temps. La foule s’enracine dans des lois spectaculaires et imprévisibles.

Des modèles flamboyants à la chorégraphie guerrière et changeante se déploient dans un écrin rectangulaire de pelouse apprêtée. Ces figures héroïques et mouvementées incarnent un idéal lumineux qui aide à supporter les frustrations et les manques d’un destin aux lendemains qui souvent déchantent.

Des souffles gigantesques agrémentés de bruits puissants, des gesticulations océanes anticycloniques et dépressionnaires rivalisent avec la météorologie des lieux. La nature est encore confrontée à la culture.

L’énigmatique alchimie qui façonne la foule de tous les temps.

« La relation entre esthétique et politique est ancienne. Dans la République, Platon thématise la formation politique en utilisant une métaphore artistique, la glaise façonnée par les mains d’un artiste-dieu. Le peuple sera à partir de là considéré comme l’oeuvre d’art ultime. Il faudrait retracer cette lignée aussi à travers l’héritage d’Aristote, le peuple est virtuel, il attend sa forme, c’est une matière encore désorganisée mais qui potentiellement contient, appelle déjà une forme à venir. C’est l’idée de destin politique. »

Le stade devient alors une source abondante d’adrénaline mais aussi une mégapole titanesque qui absorbe instantanément sa production.

Ce monstre tragicomique de rassemblement passionnel et instinctif, de consommation boulimique et gargantuesque se replie sur lui même le temps d’une digestion laborieuse..

A huis clos, des phénomènes aux impacts contrastés vont engendrer de nouveaux imaginaires et de nouvelles articulations entre l’être-solitaire et l’être-ensemble.

Cependant, depuis ce centre d’animation, les médias diffusent l’évènement en temps réel sur toute la terre...et peut être dans la galaxie.

La communauté humaine, dans une alchimie imprévisible, connait tous les émois contradictoires comme un immense poumon qui inspire et expire naturellement, sans le savoir.

Quelle confiance, quelle harmonie...l’être-solitaire et l’être-ensemble cultivent un équilibre immémorial autour des jeux du stade.

J’aimerais que l’issu du mondial soit pleine et joyeuse. J’ai volontiers occulté les travers et les dérives de l’ego et de l’argent,oublié les personnes et les équipes malheureuses ou maladroites car demain est un autre jour.

Cependant, même si je suis un ignorant du ballon rond, j’ai trouvé des attitudes et des enthousiasmes atendrissants et touchants qui m’ont tirés les larmes.

Maradona à l’allure juvénile, demi-dieu et ancien coquin, un homme quoi, embrassant ses joueurs comme une mère étreint ses enfants, sautant comme un petit diable en-costumé dans tous les bras ouverts, allant et venant étirés et victorieux, le cœur débordant d’amour...au risque de l’infarctus.

J’ai compris la religion populaire quand je l’ai vu se signer les yeux au ciel puis éperdu et rivé sur la chorégraphie joyeuse de son équipe et de son « Messi » enthousiaste et créatif.

J’ai compris que le football doit être aérien et joyeux pour engendrer demain.

Je souhaite que l’Argentine ou bien une équipe de même nature, comme le Brésil ou le Ghana, triomphent.

Je veux oublier les jeux d’antan, romains, barbares et cruels et les jeux modernes dans le mimétisme des travers revenus parce qu’éternels.

Je veux oublier la confusion des genres et la politique pour croire de toutes mes forces à la beauté et à la noblesse de l’humanité du stade retrouvée et instaurée dans le partage et la joie du sport.


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14 réactions à cet article    


  • robert 29 juin 2010 17:42

    Excellent éclairage du grand phare smiley merci jack et si bien écrit...


    • jack mandon jack mandon 30 juin 2010 07:04

      Robert,

      A chacun son imaginaire et sa sensibilité.
      Ce qui me semble important, c’est d’entrer dans l’arène en restant soi-même,
      et surtout d’en ressortir dans des conditions d’intégrité acceptables.
      Canaliser l’émotion pour éviter de taper sur son voisin quand il ne pense pas comme nous.
      Nous avons souvent l’occasion de perdre les pédales, pas la peine d’en rajouter.
      Merci pour le clin d’oeil courtois


    • Le Gros Caillou Le Gros Caillou 29 juin 2010 23:48

      Très beau texte inattendu -

      Frustration ou orgasme quant au résultat, peu d’entre nous subliment l’instant pour en prélever la poésie... 

      Est-il possible de ressentir réellement le présent, avoir conscience du maintenant, de l’instant lorsqu’on regarde un match de football, nous ne sommes jamais bien loin de la mi-temps, ou de la fin du match, il reste un bon quart-d’heure, dix minutes pour marquer etc... Il faut se qualifier, défendre le résultat...

      Je repense au jeu ancestral « La soule », se disputer la balle vessie d’un village à l’autre sans limite de temps ou de gestes pour un rendez-vous dans une mare finale, les champs et chemins comme arène, il faudra la journée peut-être si l’un des protagonistes possède un costaud.
      Le spectacle n’est pas pré-digéré, calibré à la seconde près, divisé de manière parfaitement symétrique pour des séquences binaires, bicolores, bizones ou le sublime s’inscrit forcément dans un espace controlé... On hurle au génie devant un geste, une passe, un geste artistique en oubliant que celui-ci ne pourra jamais passer outre les règles du logiciel qui l’avait déjà anticipé.

      J’ai cependant aimé comme vous ce Maradona sautillant dans son costume trop grand, il faut lui ouvrir les portes du stade à cet enfant qui se cogne depuis trop longtemps aux parois de son personnage contraint depuis toujours par les strictes règles du jeu...


      • jack mandon jack mandon 30 juin 2010 07:18

        Le Gros Caillou,

        Le solitaire que je suis vit naturellement en marge en prenant comme tout le monde les évènements dans la figure.
        Votre texte est pour moi inattendu, l’effet du miroir de la communication sans doute.
        C’est peut être parce que l’impression est forte que l’on a besoin de canaliser l’émotion pour s’y retrouver.
        Vos remarques sensibles me touchent beaucoup, comme de la pure poésie.
        Merci pour l’intermède animé.
        Au plaisir sur l’antenne du partage.
         


      • King Al Batar King Al Batar 30 juin 2010 00:41

        Je n’arrive pas à comprendre le point de vue de l’auteur....

        J’ai l’impression qu’à la fin d’un match de football, le joueur de foot de l’équipe qui a perdu est en vie et c’est déjà une évolution conséquente. Ce qui est réellement condamnable dans les jeux Romains, c’est que les spectateurs prenaient plaisir à voir des humains mourir. Après le fait de divertir et de capter l’attention, ce n’est pas non plus un crime...

         Ils me font marrer tous ses mecs à prendre les personnes qui aiment le foot pour des abrutis. Je suis sur que leur passions ne valent pas mieux que le football, mais ils ont besoin de se sentir supérieurs. Ils s’imaginent que l’on es trop con pour ne pas s’apercevoir de ce qu’ils dénoncent, alors que c’est réellement eux qui le sont de nous penser aussi stupide. Justement nous on sait prendre du recul !


        • jack mandon jack mandon 30 juin 2010 06:56

          King Al Batar,

          C’est un point de vue hors du temps linéaire.
          Pas de prétention, mais un recul, une remise à plat.
          Les évènements, la vie, les êtres existent à travers l’imaginaire de chacun.
          Comme vous le dites, contrairement à la Rome antique, les perdants restent
          en général en vie...mais dans quel état psychologique.
          Même les gagnants sont perturbés, souvenez vous Noah dans la tourmente
          médiatique et le prisme idéologique et projectif des foules.
          C’est un peu comme s’il était mort à lui même pour renaitre au spectacle
          de la chanson, de la danse et de l’humanitaire.
          En un mot, c’est la métamorphose...et la mort psychologique.
          Souvenez vous Erton Séna...pulvérisé en pleine gloire.
          Je voulais simplement saisir la poésie de l’instant, sans plus.

          Merci de votre visite.


          • Fergus Fergus 30 juin 2010 09:20

            Bonjour, Jack.

            Pour ce qui est de ces jeux modernes que sont les grands rendez-vous sportifs, je crois que, bien que béotien (c’est vous qui le dites), vous avez compris une chose essentielle : il y a des moments dans la carrière des joueurs où les intérêts, aussi importants soient-ils, laissent la place au jeu et au plaisir de la compétition. Et cela vaut pour tous les niveaux de pratique.

            Ne pas comprendre cela, c’est n’avoir jamais chaussé les crampons, n’avoir jamais participé à un tournoi ou à aux phases fianles d’une coupe. Et c’est en partie pour cela que certaines équipes de ce mondial sombrent : leurs joueurs payent là le fait d’être restés prisonniers de leurs calculs mesquins et de leurs plans de carrière au lieu de se livrer à leur activité sportive avec l’enthousiasme des premiers temps.


            • jack mandon jack mandon 30 juin 2010 10:14

              Fergus,

              Quand on est passionné la vie globalement est un immense défi sportif.
              Nous nous rejoignons pour l’essentiel.
              Quand l’avoir envahit l’être, comme vous l’exprimez si bien...
              En d’autre circonstance notre grand Charles épique appelait cela
              un naufrage.

              • la vieillesse comme la fin d’un idéal est une espèce de naufrage.
              Serions nous des idéalistes ?
              Votre passage m’est toujours un enseignement

              • Maman_La_Terre Maman_La_Terre 30 juin 2010 15:53

                Bravo !!


              • jack mandon jack mandon 30 juin 2010 11:38

                Musima,

                Tout à fait, rien à rajouter, sinon d’une manière plus générale, j’aurais aimé que tous les articles proposés,
                soient l’occasion de mieux comprendre.
                En prenant appui sur les pratiques de la Rome antique, je voulais montrer que nos ancêtres avaient parfaitement compris l’intérêt politique des jeux sportifs.
                En cela, nos politiques de toute sensibilité et de tous horizons connaissent la musique et accompagnent de près ou de loin, techniquement ou intuitivement cet évènement « opium du peuple »
                Merci de votre intervention


                • zelectron zelectron 30 juin 2010 13:59

                  ...et comme si ça ne suffisait pas, on offre les plus belles femmes à ces héros de la déchéance...


                  • jack mandon jack mandon 30 juin 2010 14:59

                    zelectron,

                    Des femmes que l’on paye...ce n’est pas glorieux mais c’est conforme à l’image
                    accidentelle et provisoire que l’on véhicule.


                    • Maman_La_Terre Maman_La_Terre 30 juin 2010 15:40

                      Je veux oublier les jeux d’antan, romains, barbares et cruels et les jeux modernes dans le mimétisme des travers revenus parce qu’éternels.

                      Mais le football EST un sport barbare.

                      Analysons ce qui se passe, sans craindre la redondance :

                      Le sportif, qui est un être humain, utilise deux points d’appuis pour trouver son équilibre. Hors, il projette son corps à grande vitesse, ce qui provoque une situation d’équilibre précaire.
                      Jusqu’ici, rien d’anormal. Le problème est que ce sont les même pieds, responsables de l’équilibre, qui sont également utilisés pour la dispute du ballon, provocant des pressions et contorsions antiphisiologiques sur les membres inférieurs.

                      70% des footballeurs ont la déformation « génu varum », plusieurs études indiquent qu’ils se détruisent le genou et la cheville en pratiquant ce sport à haut niveau.

                      Le football en lui-même n’est pas le plus gentil des sports :

                      Mécanismes en porte à faux appuyées en valgus ou varus, genou en extension : responsables d’accidents graves  : déchirure des plans capsulo-ligamentaires internes
                      - choc appuyé de face sur le genou  : lésion Ligament Croisé Postérieur
                      - Mécanismes en valgus rotation externe  : lésion du Ligament Latéral Interne et/ou du Ligament Croisé Antérieur
                      - Mécanismes en varus rotation interne  : lésion du Ligament Latéral Externe

                      Chez l’adolescent :

                      Pathologies traumatiques
                      Fractures
                      Lésions ligamentaires
                      Décollement épiphysaires

                      Ostéochondrites et Ostéochondroses
                      Apophysites :
                      Osgood Schlatter
                      Sinding Larsohn Johansson (pointe de rotule)

                      Anomalies congénitales
                      Syndrome rotulien - dysplasies

                      Chez l’adulte jeune

                      Pathologies traumatiques

                      Ruptures LCA
                      Luxations rotule
                      Fractures ostéochondrales
                      Fracture, contusion luxation rotule
                      Lésions méniscales
                      Entorses
                      Contusions osseuses et fractures sous-chondrales
                      Ruptures tendineuses : tendon quadricipital : chirurgie
                      Rupture tendon rot

                      Pathologies micro-traumatiques
                      Tendinite :
                      Patte d’oie
                      Tenseur du Fascia Lata
                      Poplité (compartiment externe)

                      Mais le plus impressionnant à mon avis, ce qui fait en partie le succès de ce sport, ce sont les fameux tacles, où nous pouvons admirer les chevilles et pieds de nos héros soumis à des contorsions antinaturelles... de quoi cultiver un désir de vengeance pour le reste de la partie...

                      Mon avis personnel, c’est que pour assouvir nos désir de chauvinisme au niveau international ; nous pourrions utiliser un sport plus beau et majestueux, comme le volley, pas exemple !!


                      • jack mandon jack mandon 30 juin 2010 18:06

                        Maman La Terre

                        Belle icône, la nature à l’état pur comme avant l’arrivée des conquérants et adeptes des jeux brutaux.
                        Ne pourrions nous pas évoquer la dangerosité de tous les sports de compétition ?
                        Pratiqué dans le respect des limites humaines et pour le plaisir tout est bon.
                        Merci pour cet exposé qui replace l’évènement dans son contexte le plus raisonnable.
                        Les mobiles qui transforme l’homme en esclave conscient ou inconscient de sa vie sont nombreux.
                        Le besoin de puissance à l’origine d’une misère humaine, psychologique ou sociale, avec à la clé
                        un sentiment de frustration, un complexe d’infériorité, un handicap...etc.
                        Tous les jours, sur la terre, des milliers d’hommes se suicident d’une manière ou d’une autre.
                        Cependant votre développement nous parle en miroir de tous les spectateurs qui prennent plaisir
                        à la contemplation des prouesses dangereuses et destructrices.
                        Cela nous ramène à Rome...unique objet de mon ressentiment, c’est cornélien.
                        Merci encore de votre intervention instructive.

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