Histoire du tigre (Montpellier)
Le triomphe qu’ont reçu Grégory Nardella et Henri d’Artois, ovation
debout, est à la mesure de leur talent. Dans cette farce exotique qui
dérape sur l’actualité politico-économique, le prix Nobel italien Dario
Fo a glissé ses inflexions graves où se déploient le rire et l’humour
avec un naturel déconcertant.
L’histoire est celle d’un soldat de l’armée de Mao qui, durant
la Longue Marche, se retrouve blessé par un bandit blanc de Tchang
Kaï-Chek. Le soldat parle à la première personne tout au long de la
pièce et dit descendre des confins de la Mandchourie. Pour mémoire, la
Longue Marche est un périple de plus d’un an, qui a débuté en 1934,
mené par l’Armée rouge chinoise pour échapper à l’armée nationaliste du
Kuomintang de Tchang Kaï-chek. Elle a coûté la vie à près de 100 000
hommes au sein des troupes communistes seulement. Voilà pour le
contexte. Quant à l’histoire, le texte de Dario Fo semble venir tout
droit d’un récit chinois que l’auteur aurait entendu près de Shanghaï.
Arrive le moment où le soldat est touché à la jambe par un tir. Tandis
que ses camarades le laissent pour mort, seul dans la campagne, il se
retrouve face à un ouragan. Il veut résister, et c’est le premier
symbole du conte : lutter même face à la mort. D’autres suivront, comme ne jamais s’en remettre à personne. Dans son combat pour la vie, il
se réfugie dans une caverne, où débute une improbable cohabitation avec
une tigresse et son petit. Une rencontre décisive car « avoir le tigre »,
selon la tradition chinoise, signifie résister. Un mot qui s’ajoute à
la symbolique du texte, après la lutte, la responsabilité, maintenant
la résistance. Et la résistance selon Dario Fo est un duo délectable
d’humour et de provocation.
En tandem, le récit se double de sonorités déposées çà et là par le
compositeur Henri d’Artois, lequel est connu pour avoir composé pour le
chorégraphe Dominique Bagouet. Cette escorte ne donne que plus de
rythme et de souplesse au récit, comme un écho marquant tour à tour les
multiples tonalités du texte.
A cette musicalité de la fable si bien restituée par Henri d’Artois, le
comédien Grégory Nardella ajoute sa hargne de jouer, déployant un jeu
mouvementé de farces dans une scène dénuée de décor, où trône pourtant
un vélo, ce dernier côtoyant les instruments de musiques d’Artois.
De cette mise en scène minimaliste se dégage une grande force, qui n’est
autre que celle déployée par le comédien, un de ceux que l’on affuble
de l’expression « bête de scène », une impression que Pierre Barayre,
le metteur en scène, avoue avoir ressentie lorsque ce dernier lui a
proposé le projet. De cette histoire désopilante et grave
magnifiquement jouée, le public gardera le souvenir d’un discours
positif tendu vers l’espérance et qui soulage nos pensées de bien des
maux de ce siècle. Une très belle performance.
Christelle ZAMORA (Montpellier)
Histoire du tigre, de Dario Fo
Cortizone/Compagnie Pierre Barayre avec Gregory Nardella, comédien et Henri d’Artois, ambiance sonore, percussions.
Du 19 au 21 octobre dans le cadre de la programmation consacrée à Dario Fo qui se déroule jusqu’au 15 novembre 2006 avec La Lune et l’ampoule ; Un peu de sexe, merci, juste pour vous être agréable ; couple ouvert à deux battants et enfin Isabelle, trois caravelles et un charlatan.
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