Houellebecq, le romancier qui fait pschitt ?

Le monde littéraire se prépare à être en émoi. La mère de Michel Houellebecq, agacée d’avoir été croquée comme une libertaire hippie ayant délaissé son rejeton dans le roman des particules, règle ses comptes dans un livre (et soigne son compte en banque). Cette histoire de famille ne présente aucun intérêt (artistique) sauf pour faire vendre les journaux. A retenir, le verdict de cette mère sévère jugeant que son romancier de fils ne fait que surfer d’une non-pensée sur les tendances contemporaines, autrement dit, l’air du temps. Son Michel arrogant qui avec sa pensée nulle se croit en phase avec son époque. Un peu comme Didier Barbelivien qui lui, est moins scabreux, prisé par le président, homérisant les bucoliques promesses d’une France en rupture, mais fière de sa culture populaire qui se gratte d’une guitare bien à la mode ces temps-ci. L’occasion de faire le point sur cet écrivain avec deux points de vue dont l’un paru dans le Chronicart d’avril 2004. Deux points de vue censés être opposés sur le roman contemporain et son avenir.
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Lakis Proguidis mène une réflexion sur le roman depuis dix ans. Il livre sa pensée avec l’aide de Benoît Duteutre. Deux types littéraires sont décrits. Le premier hérite du nouveau roman des années 1960, élaboré à coup d’innovation et de recherches formelles et par ailleurs destiné à être disséqué dans les facultés de lettre. Le second épouse le réalisme du XIXe, se positionnant comme un roman dit « de société ». Les clercs universitaires jugent le second inintéressant tandis que les critiques littéraires ne veulent pas admettre que la forme doit aussi peser dans la balance. Face à cette alternative, Houellebecq incarnerait le mariage entre le contenu propre au réalisme et le style propre à la qualité esthétique. A l’inverse, le nouveau roman se serait perdu dans l’abstraction formelle, refusant de partir à la rencontre d’un contenu, d’une substance. Une note d’Olivier Bardolle situe l’auteur de Plateforme comme le seul habilité à incarner l’esprit de la société contemporaine et pouvoir rivaliser avec d’autres genres ayant contribué à la « prétendue mort » de la littérature, notamment le cinéma et le rock.
L’autre thème abordé est celui du devenir et de la fonction du roman. Duteutre et Proguidis réfutent la posture millénariste prophétisant la mort du roman avec celle de la civilisation bourgeoise et pensent que la forme littéraire servira encore comme miroir des expériences en société. Le roman se maintiendrait alors comme œuvre d’Art capable de représenter la richesse de l’existence sans sacrifier à la platitude documentaire ou formelle. En ce sens, ils n’hésitent pas à dénoncer aussi une littérature instrumentalisée par des revendications communautaristes, féminisme, gays, etc.
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François Meyronnis et Frédéric Badé, animateurs de la revue Ligne de risque, adoptent une posture aristocratique héritée des cénacles parisiens de la IIIe république, mais se veulent les avant-gardistes radicaux du XXIe siècle, prédisant un âge d’or à venir, sans aucune justification, hormis celle de s’affirmer sous forme de boutade comme les sauveurs du roman, en compagnie de Dantec et Volodine. Pour le reste, on retiendra une quête paroxystique sur la substance du roman et la nécessité de penser la littérature avant de l’écrire sous forme de romans. Seule la pensée permet de déployer une authentique vérité servant de levier pour déployer les œuvres dans toute leur splendeur.
Les Particules élémentaires est considéré par Badé comme de la merde, du très mauvais roman, à l’histoire caricaturale bricolée selon les recettes du vieux roman réaliste. De quoi gloser sur le désert nihiliste et l’ère métaphysique renversée. Tout n’est que destruction, dégénérescence sociale. On dirait à les entendre que ce marasme psychique constitue un terreau pour la création à venir. Bref, vive le chaos, courage, fonçons. Certes, si on compare au champ esthétique rock, on notera que les années Nixon avec la guerre du Vietnam, puis les années Thatcher avec la guerre économique, bref, toute cette violence des Etats fut source d’inspiration pour les MC5, Baez, Airplaine, Clash, Joy Division... Et maintenant ? Et le roman ?
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Pour conclure, que penser si ce n’est à une énième querelle entre anciens et modernes, entre les serviteurs de la belle œuvre et les radicaux de l’avant-gardisme. Oui, mais les avant-gardes peuvent-elle encore faire œuvre ? Une œuvre se pense-t-elle, se conçoit-elle ? Ou bien faut-il la laisser s’écrire spontanément avec l’inspiration ? Peut-on combiner les deux, une libre expression qui pourtant, serait canalisée par un cadre architectonique ? Comment situer la grande œuvre et le grand style de l’époque qui vient ? Et si on parlait d’hypersymbolisme ?
En fin de compte, le roman du futur reste à inventer. Le recul semble appuyer l’idée d’un Houellebecq écrivain doué, mais populaire, traçant quelques traits contemporains avec talent, mais sans le génie de celui qui prophétise ou alors qui sonde les profondeurs de l’âme. Bref, un écrivain néo-classique dont le succès mérité tient à une adéquation entre des masses lettrées et un phénomène médiatique bien entretenu par les protagonistes qui sur ce coup ont joué gagnant gagnant. Comme du temps des frères Goncourt et de Léon Daudet.
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