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Accueil du site > Culture & Loisirs > Culture > Inland Empire : coup de génie ou imposture ?

Inland Empire : coup de génie ou imposture ?

Le dernier film de David Lynch, « Inland Empire », a de quoi dérouter même les propres fans du réalisateur, par le style narratif du réalisateur. Une marque déposée qui, toutefois, peut finir par rebuter certains fans.

J’admire beaucoup David Lynch pour l’ensemble de son oeuvre. Capable de réaliser des films emprunts d’une grande émotion, comme Elephantman ou Une histoire vraie, capable de réaliser des polars extrêmement violents comme Blue Velvet, Sailor et Lula, et Twin Peaks, capable de réussir une adaptation à peu près correcte (même si les fans sont très partagés sur le sujet) d’un best-seller de la science-fiction, Dune, malgré de multiples galères de tournage, mais surtout détenteur d’un style narratif rare : raconter une histoire vécue par un personnage qui mélange le réel, le rêve et ses névroses.

C’était le cas de son tout premier film, Eraserhead, sorti en 1976. David Lynch craignait alors que son style non conventionnel fasse de lui un paria d’Hollywood, alors qu’au contraire il lui ouvrira les portes de la gloire, le grand Mel Brooks tombera en admiration de ce style et offrira à Lynch la réalisation de Elephantman, son premier grand succès public. 20 ans après Eraserhead, devenu réalisateur confirmé, Lynch revient à ce style si particulier avec Lost Highways, film dans lequel un mari schizophrène (Bill Pulman) se retrouve embarqué dans une série de meurtres, sans que le spectateur n’arrive à se repérer dans un film où toute notion de temps et d’espace a disparu, perdu dans les tourments du personnage principal.

En 2001, Lynch signe peut-être son film le plus abouti des trois consacrés aux tourments de l’âme : Mulholland Drive, ou le destin tragique d’une starlette hollywoodienne confrontée d’un côté à la vie passionnée qu’elle aurait rêvé d’avoir, et de l’autre à la réalité moins idyllique de son existence.

Si pour Mulholland Drive et Lost Highways, il pouvait être possible de trouver une certaine logique à l’intrigue (avec parfois une bonne dose d’aspirine), pour Inland Empire, c’est impossible. D’où une question qui vient en substance : assiste-t-on à un coup de génie ou à l’escroquerie d’un réalisateur qui se demande jusqu’où il peut aller dans son style ’autre’ ?

Pour Inland Empire, David Lynch avoue par exemple, entre autres provocations, qu’il a commencé le tournage sans avoir de scénario précis en tête. De quoi choquer pour un réalisateur ordinaire. Mais Lynch n’a jamais été quelqu’un d’ordinaire. Et une belle brochette d’acteurs a signé pour ce film sans hésiter : des habitués du réalisateur, comme Harry Dean Stanton, Justin Theroux, Naomi Watts (qui double maman lapin en VO), Grace Zabriskie, Diane Ladd, Laura Harring, des nouveaux comme Jeremy Irons ou William H. Macy (très brèves apparitions d’ailleurs), et surtout Laura Dern, qui, révélée à 20 ans par le réalisateur dans Blue Velvet et Sailor et Lula, réapparaît quadragénaire dans le rôle d’une actrice en plein doute. Et il faut avouer que le film repose en très large partie sur ses épaules. On ne sait jamais si son personnage de Nikki Grace est dans le monde réel, dans le film qu’elle est en train de tourner, ou simplement larguée dans la brume de ses pensées, tiraillée entre un mari jaloux et un partenaire d’écran fort séduisant.

Mais par moments, la méthode de David Lynch semble trouver certaines limites. Par une volonté de désorienter le spectateur, Lynch greffe des séquences, comme par exemple le sketch télévisé de la famille lapin, qui semblent arriver sans aucune raison si ce n’est celle de faire un clin d’oeil à un des premiers courts-métrages de Lynch. Et à un moment est presque montée l’envie de hurler que trop, c’est trop, qu’à force d’ajout de sous-séquences, Lynch va finir par rebuter le spectateur, par attirer la foudre de ses détracteurs, de ceux qui (comme moi) ne savent pas toujours faire la différence entre une oeuvre abstraite réussie et une imposture artistique.

Dans Inland Empire, la moindre certitude vole en éclats dès la scène suivante. Alors, certes, j’aurais tendance à déconseiller ce film à qui n’a pas vu Mulholland Drive et Lost Highways auparavant, car la rupture comparée à ce que l’on voit ordinairement sur grand écran est totale (à part La Moustache d’Emmanuel Carrère, rares sont les films qui se risquent à une telle complexité dans la narration). Pour moi, c’est encore une preuve que Lynch peut faire plus dément que ce qu’il a fait jusque-là, et l’expérience est a priori réussie. Mais il ne faudrait toutefois pas que cela devienne une habitude car Lynch ne m’a jamais semblé aussi proche de l’autoparodie...


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22 réactions à cet article    


  • JP (---.---.242.204) 12 février 2007 12:55

    Et ceux qui ont vu Mulholland Drive et y ont deja vu un enorme canular peuvent-ils s’abstenir ?


    • Julot (---.---.208.241) 12 février 2007 13:53

      Non, mulholand drive n’est pas un canular, bien que je trouve légitime que la question soit posée.

      Je vois les choses de la sorte. Mulholland drive ets au cinéma ce que l’impressionisme est à la peinture.

      Si Lynch en arrive à faire du Klein (toile entièrement bleue), on trouvera des gens pour le qualifier de génie absolue (il ferait du non-cinéma, c’est génial smiley

      Et on trouvera des gens qui résisteront à ce qu’il considèreront comme de la fumisterie.

      Dans la mesure ou Lynch n’est pas aussi subventionné qu’il le serait s’il vivait en France, il aura du mal à monter ses films si le public ne suit plus.

      A moins, bien sur, qu’il les simplifient à outrance.

      Et on en arrivera à ses films à la Wharrol, qui filmait, faut-il le rapeller, un homme en train de dormir pendant 8h.


    • levoisin (---.---.84.10) 12 février 2007 14:13

      La Moustache aussi est presque une arnaque, tant le film est mal monté, puisqu’il est incapable de faire autre chose que de tourner sur lui-même. La seule conclusion du film est que soit le scénariste n’a pas fini d’écrire le synopsis et le réalisateur a improvisé, soit le réalisateur a coupé des scènes clés qui vident le film de son sens.

      A moins que comme David Lynch, ce ne soit l’orgueil d’un réalisateur qui veut renouer avec la période Godard.


      • Shawford (---.---.17.187) 12 février 2007 14:32

        Auto-parodie ou auto-thérapie ?

        ca ramène à un autre article récent tout ça smiley


        • Droopy (---.---.199.139) 12 février 2007 16:30

          Ces films, à mon avis, sont juste réalisés pour montrer que le réalisateur est super intelligent ... tellement plus intelligent que le spectateur si bête qu’il ne comprends pas le génie. Environné de groupies qui acclament le génie même si eux non plus n’y comprennent rien. Mais l’essentiel n’est il pas de se croire ainsi appartenir à une élite....

          Heureusement que ces films ne sont pas subventionnés ... j’espère. En tous cas, ils l’auraient été en France vu la navettitude des films actuels.


          • yoyo (---.---.215.238) 15 février 2007 15:57

            salut belle analyse et sympa j’adhère mais saches tout de même que ciby 2000 (qui appartenait à feu Mr TF1) a produit qques films de Lynch..comme quoi le temps de cerveau vendu à coca mène aussi à D.Lynch smiley petit clin d’oeil


          • Etienne (---.---.74.134) 12 février 2007 16:51

            Inland Empire, empire intérieur littéralement, pénombre et dédale. Que de détours pour que le personnage de fiction accorde un baiser au spectateur dans une bulle de lumière évanescente.

            En fait, ce n’est pas l’art seul qui console de tout. C’est la combinaison qu’il forme avec l’imagination. L’imagination qui se glisse dans les interstices du récit ou de l’oeuvre, cette espace dédié ou abandonné au lecteur, au regardeur. De cet entre-deux, né de la maladresse, de la paresse ou de la volonté du créateur peut surgir l’ineffable, la rencontre entre plusieurs mondes, les projections multiples, le divertissement mais aussi la connaissance de soi ou la rencontre avec soi.

            Le film de David Lynch prouve une fois de plus qu’il vaut mieux montrer que dire.

            Même si la vie n’est pas un rêve halluciné, les êtres vivants, aussi ’freaks’ soient-ils, méritent un redoublement d’indulgence et s’immiscer dans leur rapport à la fiction pour en écrire une symphonie atonale s’avère une bien belle expression du capharnaüm intime de leurs pensées.

            David Lynch nous invite à faire l’expérience de nos empires intérieurs. Pourquoi diable chercher une trame narrative ? L’expérience plastique à laquelle produite par le film est un autre dialogue, une autre langue.

            Après avoir vu Inland Empire, je me posais une ou plus exactement je brodais l’hypothèse, quel(le) personnage de fiction aimerais-je embrasser ou être, ou, pour me livrer aux écarts amusés du film de David Lynch, tamponner ?

            Dans l’absolu, j’aime mieux embrasser. L’étreinte peut évacuer ou perdre un ’s’ et les territoires à explorer diserts et infinis.

            Merci à David Lynch.


            • nasko (---.---.209.75) 12 février 2007 19:41

              Ok etienne. Tu as l’air sympa, j’aimerais bien que tu donnes ton avis sur le dernier roman que je viens d’écrire....Le voici : Le caca. Voila, c’est un livre qui donne une grande place à l’imagination. Tu as aimé ?


            • (---.---.74.206) 12 février 2007 19:56

              merci , merci nasko j’ai eu la joie de de mettre en image ton roman ;http://lendemaindefetecacaquifouette.hautetfort.com/

              mais je préfère le joli texte d’étienne qui laisse plus d’ouvertures ! je m’y sens mieux .


            • nasko (---.---.209.75) 12 février 2007 23:37

              lol et lol encore


            • Comité Cicéron 12 février 2007 22:20

              Moi personnellement je ne regarde plus Lynch depuis Twin Peaks (le film). J’y ai emmené ma copine et elle a failli me larguer en se disant que j’étais vraiment bizarre.

              Plus sérieusement, Blue velvet et Sailor et Lula étaient vraiment de grands films, passionnés, étranges, mais depuis j’ai le sentiment que Lynch nous refait Twin Peaks (la série), qui est peut-être ce qu’il fit de mieux, et dont il cherche sans fin à retrouver l’inspiration.

              Mais sur grand écran ça ne marche pas je trouve.


              • dagom (---.---.21.78) 13 février 2007 08:08

                tu devrais penser a larguer ta copine....pour te sortir un truc comme ca, elle doit pas etre tres finaude la meuf. ya taxi 4 qui sort bientot, emmene la smiley


              • dagom (---.---.21.78) 13 février 2007 08:15

                David Lynch, c’est du LSD sur grand ecran. Je sens que celui ci va etre puissant. Je cours le voir !!


              • yoyo (---.---.215.238) 15 février 2007 16:02

                Sorry mais pour moi tout Lynch est contenu dans Eraserhead... La peur d’enfanter, de grandir, l’effroi des tourmants intérieurs, l’amour (jamais la haine) comme moteur de la vie... J’ai même trouver dans Inland Empire des références à Fellini : les femmes d’abord et le cirque (je sais plus si c’est dans 8 et demi ou la traviata ou la dolce vita)...et puis le doute aussi : 8 et demi et mastroiani qui et en plein questionnement intérieur.


              • glanestla (---.---.161.156) 28 février 2007 09:10

                Depuis Lynch a juste réalisé les films suivants : Lost Highway, The Straigth story, Mulholland drive et Inland Empire qui sont des films au moins aussi passionnés et étranges que les premiers.


              • Comité Cicéron 12 février 2007 22:27

                Je trouve que depuis Twin Peaks (le film) Lynch nous refait Twin Peaks (la série) mais sur grand écran.

                Autant la série était exceptionnelle autant les films qui se succèdent depuis me paraissent par comparaison peu inspirés.

                Pourtant Elephant man, Eraserhead, Sailor et Lula, Blue velvet étaient vraiment bons ! Lynch me fait penser à Greenaway, génial au départ, et répétitif au bout d’un certain temps.


                • Kanu (---.---.246.41) 13 février 2007 12:37

                  Je me suis dit en regardant Inland Empire, pourquoi vouloir comprendre une histoire que le réalisateur ne veut pas lui meme dévoiler. On peut se laisser porter par les images et l’inquiétude de ce film.


                  • BuZy (---.---.25.114) 15 février 2007 15:07

                    Et c’est là que c’est marrant. Les critiques ne peuvent même pas critiquer l’histoire car ils ont évidemment pas compris chose. Donc, ils se rabattent sur la beauté étrange du film, comme ça ils sont sûr de ne pas se tromper.

                    Par contre, merci à l’auteur pour l’explication de MD. Epoustouflant de limpidité.


                  • Pour avoir une grille de lecture(Cliquez ici !) (---.---.119.243) 14 février 2007 17:51

                    J’ai poste sur l’article precedant ma grille de lecture, qui pourra, je pense, faciliter l’entree de certain dans l’univers de Lynch . A+JP


                    • dom (---.---.60.33) 21 février 2007 13:55

                      ce film n’a rien d’une imposture. c’est une plongée dans la folie. une plongée qui part d’un acte simple. et juste pour information la moustache est tirer d’un roman écrit par le réalisateur lui même 20 ans plus tot. il faut se renseigner avant de baver.


                      • sishtick (---.---.231.32) 24 février 2007 12:04

                        Inland Empire ne me semble pas si compliqué que ça . Pour ma part j’y vois juste un laboratoire de recherche narrative. J’y vois une réflexion sur le montage, le fait que lors du tournage d’un film, toute suite logique est perdue, les scenes sont filmées dans le désordre et reliées seulement à la fin par le montage, d’où le présent se mélangeant au futur et au passé.

                        Il perd ainsi les personnages de son film à ceux du scénario polonais, dont ils tournent le remake, dans leurs histoires l’un l’autre, et dans son cinéma (d’ou les scenes avec les lapins etc...).

                        En fait j’y ai vu une intrigue des plus banals (une femme trompant son mari malgré les mise en garde, ...) complètement déconstruite par les codes du cinéma.

                        Il n’y a donc pas d’histoire à proprement parler, juste un essai théorique...

                        On ne peut jamais se dire « ah ui ce personnage en fait se trouve dans la réalité, et là il joue un rôle ». Tout les acteurs jouent des rôles, il n’y a aucune réalité, toute les scenes font partie d’un film, le film de lynch ou le film polonais.

                        L’histoire est juste une excuse pour permettre toute sorte d’experimentation sur les codes cinématographiques.

                        Donc lynch est une sorte de Dieu de son film et lui seul décide du sort des perso devant sa table de montage. Le scénario est le maitre du film, c’est lui qui trace la vie des personnages.

                        Que se passerait il si le héros voyait le dénouement de son histoire à son début ? Que se passerait il si après le montage, les personnages du film gardent des souvenirs du tournage, perdant ainsi toute notion de temps dans le film lui même car sachant tout de la suite ?

                        le cinéma nous permet ce genre de réflexion.

                        Je vois ce film comme une pure réflexion théorique pour cinéphile, un peu comme un Godart en fait...

                        Sauf que godart, en bon intello aigris, ne se permettrait pas une seul seconde de sortir de son sujet sérieux pour 3 sous et de nous lacher quelques feintes, scenes absurdes et dialogues sans intérêt.

                        Il resterait dans son ton sérieux de bout en bout et finirait par plus nous emmerder qu’une chorale de jésuite devant notre porte.

                        En fait je vois ce film comme le film d’auteur de lynch mais baigné par sa passion de la croute.

                        De la nouvelle vague au nitro, écrite par des piliers de comptoire.

                        De la nouvelle vague enfin agréable !

                        Par contre ce film me semble effectivement moins abordable que ses anciens car purement destiné à certaines personnes s’interessant a ce genre réflexion.

                        Alors que dans mulholland drive, lost highway, ... en plus de ces recherches purement théoriques, on retrouvait tout de même un fil narratif qui permettait de s’intéresser à son film meme si tout ces réflexions nous passaient par dessus la tête.

                        Ici l’histoire n’est que l’histoire de ces experimentations.


                        • jules (---.---.46.186) 26 février 2007 10:47

                          « ici l’histoire n’est que l’histoire de ces experimentations »...voila c’est bien vrai et pour ma part il fera ses futurs experimentations sans moi. Je me suis attaché a penser que le film tourné autour de la psychologie propre d’une actrice... bon c’est dur a suivre car on y perd ces reperes,c’est sympa mais avoir la meme chose sur 3h bah la je pense que regarder une suite de sequences sans liens donnent exactement la meme sensation. Voila mon probleme et meme la fin ma parut vide de sens. Peut etre est ce le but rechercher du realisateur mais quand j’en ai mangé pdt de longues heures la fin comme on dit c la petite goutte qui fait qu’on en vomit. J’ai adoré la plupart de tous les films de Lynch, certains pas eut l’occasion de les regarder surtout les premiers, mais celui la j’en suis sorti un peu décu de m’etre cassé la tete et surtout les yeux pour voir un film qui me parait plus comme un montage d’images en faisant croire que c un genre.

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Brady


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