L’épopée du Normandie-Niemen
En ces jours dédiés à la mémoire des combattants et victimes de la seconde guerre mondiale, nous allons revenir sur un épisode assez méconnu de l'histoire militaire française : le régiment Normandie-Niemen. Si l'on évoque souvent dans les grands médias la participation des Forces Françaises Libres au débarquement en Normandie, le rôle des aviateurs français sur le front de l'Est est étrangement négligé.
La genèse de l'escadron
Lorsque l'Allemagne attaque l'Union Soviétique le 22 juin 1941, le régime de Vichy rappelle le personnel de l'ambassade de France à Moscou. Parmi la délégation se trouve le lieutenant-colonel Luguet, attaché militaire de l'air, qui décide de gagner Londres. Il y rencontre le général De Gaulle à qui il expose sa vision du conflit : l'Allemagne ne parviendra probablement pas à vaincre la Russie. Luguet propose à De Gaulle d'envoyer un effectif symbolique de Français combattre aux côtés des troupes russes. Le Général est immédiatement séduit par l'idée. Il est alors en froid avec les Anglais et les Américains, un rapprochement avec les Soviétiques pourrait faire contrepoids à la domination anglo-saxonne. En outre, De Gaulle prépare aussi l'après-guerre où il aura besoin de l'appui du Parti communiste français, rentré en résistance en juin 1941.
Quel appui accorder aux Russes ? Les effectifs modestes des FFL (moins de 50000 hommes) empêchent d'envoyer une unité terrestre et les Anglais y sont opposés. Luguet insiste pour la constitution d'une unité aérienne composée de pilotes et de leurs mécaniciens. Les pilotes français seraient équipés et assistés par les Russes. En février 1942, De Gaulle donne son aval à Luguet pour parler à la mission soviétique à Londres. En mars, Staline approuve le projet ; il espère ainsi que De Gaulle plaidera pour l'ouverture d'un second front en Europe de l'Ouest.
Après quelques semaines de paperasserie soviétique, De Gaulle obtient la création d'un groupe de chasse autonome au sein de l'armée Rouge. Le dénommé " groupe de chasse n°3 " sera composé de 14 pilotes et d'une cinquantaine de mécaniciens tous volontaires. A noter que seuls 7 pilotes totalisent les 150 heures de vol requises ; les autres ont menti afin de pouvoir être acceptés. Par ailleurs, tous les sous-officiers sont nommés officiers, chose indispensable pour piloter en URSS.
Reste à trouver un nom plus clinquant à cette unité... Au sein des Forces Françaises Libres, les groupes aériens portent le nom d'une province française. Le commandant Pouliquen nommé à la tête de l'unité voudrait la baptiser du nom de sa région natale, la Bretagne, mais celui-ci est déjà pris ; on choisira la Normandie.
L'arrivée en Russie
Fin 1942, les membres du nouvel escadron voyagent vers la Russie en passant par les pays du Levant. A leur arrivée sur la base d'Ivanovo, les Soviétiques surprennent les Français en leur laissant le choix entre des chasseurs Yak soviétiques et des Airacobra américains. Les Français optent pour les Yak, ce qui ravit leurs hôtes. Les pilotes seront formés pendant trois mois et demi sur Yak-7 et Yak-1. Après inspection en mars 1943, l'unité est déclarée apte à rejoindre le front et part pour la base de Polotniany Zavod où elle est intégrée à la 303ème division de l'Air soviétique. Dés lors, l'escadron ne cessera de se déplacer, stationnant sur pas moins de 25 bases différentes.
Les Français supportent mal le froid (-30°C) et pestent contre la nourriture et les conditions spartiates d'hébergement. Plus grave, ils rechignent à combattre systématiquement en groupe à la manière soviétique et peinent à se repérer dans l'immensité de la steppe russe ; le pilote Jean Rey est ainsi abattu en août 1943 après s'être égaré en zone occupée par les Allemands.
Les faits d'armes du Normandie-Niémen
Dans un premier temps, l'escadron a pour mission d'escorter des bombardiers soviétiques. Le baptême du feu a lieu le 5 avril 1943 quand une première rencontre avec la Luftwaffe se solde par deux appareils allemands abattus et le retour de tous les chasseurs et bombardiers à la base. Désormais, les combats et les pertes vont se succéder à un rythme soutenu et Londres devra envoyer des renforts dès le mois de mai. En juin, la Pravda évoque dans ses colonnes la bravoure des pilotes français décorés de " L'ordre de la guerre pour la patrie ".
Lors de la bataille d'Orel, du 12 au 19 juillet 1943, les Français aux commandes des nouveaux Yak-9 font 112 sorties, descendent 17 avions ennemis mais en perdent 6. Le commandant Tulasne, tué au combat, est remplacé par le commandant Pouyade.
- Le commandant Tulasne
En signe de reconnaissance de la présence française, le 14 juillet 1943 les Soviétiques acceptent que notre drapeau soit hissé durant quelques minutes au mât des couleurs. Le Groupe de Combat se voit dôté des nouveaux Yak-3 très performants. Les mécanos français, épuisés car trop peu nombreux, partent pour le Moyen-Orient en août. Ils sont remplacés par des mécanos russes, ce qui ne va pas sans poser des problèmes de communication mais permet aussi de tisser des liens forts entre Français et Soviétiques.
Le commandant Pouyade avec ses mécanos russes
Les résultats sont là mais les pertes également : en six mois, 21 pilotes ont été tués, faits prisonniers ou ont disparu, 4 ont été blessés. Le Normandie est donc mis au repos pour quelques temps à Toula, au sud de Moscou. 33 pilotes arrivent d'Afrique du Nord entre décembre 1943 et février 1944, ce qui porte l'effectif total à 61 pilotes qui seront répartis dans 4 escadrilles.
En mars 1944, le Normandie repart au combat. Les pilotes français appuient l'offensive soviétique en Biélorussie et en Lituanie, qui enfonce les lignes allemandes de 400 kilomètres. Le 15 juin, alors qu'il effectue un vol de liaison, l'avion du lieutenant De Seynes s'enflamme. Il a alors ordre de s'éjecter en parachute mais De Seynes, accompagné d'un mécanicien russe qui en est dépourvu, refuse l'ordre et tente un atterrissage. Il s'écrase et les deux hommes meurent. Ils seront enterrés côte à côte. L'évènement fait le tour des journaux qui célèbrent l'amitié franco-soviétique. Le 21 juillet 1944, Staline en personne couronne le régiment du nom d'un fleuve lituanien qui a pu être franchi grâce à son rôle décisif : le Normandie devient alors le " Normandie-Niémen ".
Les pilotes français enchainent les victoires : le 16 juillet, ils abattent 29 avions allemands au cours d'une centaine de sorties, sans déplorer aucune perte. Le 22, 14 avions ennemis sont abattus en 56 sorties, encore une fois sans pertes... Fin novembre, le Normandie-Niémen est la première unité française à pénétrer sur le sol allemand en ancienne Prusse orientale. Le 28, les lieutenants De la Poype et Albert sont faits " Héros de l'Union soviétique ". Le 30 décembre 1944, la 200ème victoire du Normandie-Niémen est homologuée.
Le lieutenant Roland de La Poype (1920-2012) a remporté 16 victoires homologuées
Un bilan glorieux
Début 1945, l'issue de la guerre ne fait plus de doute : l'Armée rouge se bat désormais à 18 contre 1 dans les airs ! Faute d'adversaires, le projet de transformation du régiment en division aérienne, incluant un second groupe de chasse et un groupe de bombardement, est avorté. De plus, tous les pilotes n'ont pas été remplacés et le commandant Delfino dissout 2 escadrilles pour pouvoir en conserver 2 à effectifs complets. Le lieutenant Georges Henry remporte la dernière victoire du régiment le 12 avril 1945.
A l'issue de 5240 missions et 869 combats, le régiment Normandie-Niémen a abattu 273 avions confirmés, 37 probables et endommagé 47 autres. Sur les 96 pilotes engagés, 45 sont morts au combat ou ont disparu. 4 pilotes seront faits " héros de l'Union soviétique " et vingt-et-un Compagnons de la Libération. Le régiment est décoré entre autres de la Légion d'honneur, de la croix de la Libération, de la médaille militaire avec 6 palmes et des ordres soviétiques du Drapeau rouge et d'Alexandre Nevski.
Après la capitulation allemande, Staline décide d'offrir à chaque officier français l'avion Yak-3 qu'il pilote. Les 40 aviateurs décollent le 15 juin et se posent au Bourget le 20 devant une foule immense. Les Yak sont réquisitionnés par l'Armée de l'Air. Le musée de l'Air et de l'Espace du Bourget en conserve le dernier exemplaire. La combativité du Normandie-Niémen n'a jamais été oubliée par les Russes, qui viennent régulièrement fleurir les tombes des pilotes tombés sur leur sol. Comme l'a écrit Max Schiavon, ces pilotes français n'ont certes pas changé le cours de la guerre mais ils ont offert une chose précieuse que la France libre avait alors à donner : des hommes et du courage.
Sources :
http://www.geopolitique-geostrategie.fr/normandie-niemen-un-passe-oublie-78832
http://normandieniemen.free.fr/
https://www.herodote.net/12_novembre_1942-evenement-19421112.php
La Nouvelle Revue d'Histoire, n°84 mai-juin 2016. " Les Français libres sur le front de l'Est. ", Max Shiavon
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