L’orchestre d’harmonie est-il passé de mode ?
Ils faisaient autrefois la joie des petits et des grands autour des kiosques à musique dans les parcs et jardins. Jadis très populaires, les orchestres d’harmonie ont malheureusement déserté les écrins de verdure de nos espaces verts. Que sont-ils devenus ?
La plupart des sources semblent d’accord sur ce point : l’orchestre d’harmonie est né en 1764. Cette année-là, les responsables de la musique du régiment des Gardes Françaises* ont en effet décidé d’adjoindre des instruments de la famille des bois aux cuivres et percussions qui composaient jusque-là la traditionnelle fanfare militaire héritée des troupes du Grand Siècle. Une initiative prise dans un double but : enrichir les sonorités de la formation et permettre aux musiciens d’étoffer leur répertoire. Si l’on en croit le musicologue Philippe Gumplowicz, l’orchestre d’harmonie des Gardes Françaises issu de cette mutation historique était alors composé de 16 instruments : 6 clarinettes, 3 bassons, 2 cors, 1 trompette, 1 flûte, 1 serpent, 1 cymbale et 1 grosse caisse.
Cette évolution de la fanfare vers l’orchestre d’harmonie, caractérisée par l’entrée en force des instruments à anche, était inscrite dans l’ordre des choses. Les progrès réalisés au cours du 18e siècle par les facteurs d’instruments dans la fabrication des flûtes, des bassons des clarinettes et des trombones, offraient en effet aux compositeurs et aux interprètes une palette de timbres et de nuances d’une richesse inédite. Outre les marches militaires traditionnelles, l’orchestre d’harmonie pouvait, en cette fin du 18e siècle, non seulement puiser dans les musiques de réjouissance écrites, parfois des décennies auparavant, par des compositeurs comme Marc-Antoine Charpentier, Michel-Richard de Lalande, Jean-Baptiste Lully et bien sûr Georg-Friedrich Haendel, mais aussi interpréter les nombreuses œuvres de circonstances qui ont marqué les fêtes et célébrations dont la Révolution française était si friande.
Dès le début du 19e siècle, l’orchestre d’harmonie, détrônant définitivement la fanfare, s’est imposé comme la formation musicale militaire de référence, en grande partie grâce à l’action de Bernard Sarrette, fondateur quelques années plus tôt de la musique de la Garde nationale, ancêtre de la Garde républicaine. Et cela avant même que le facteur d’instruments belge Adolphe Sax, non content d’avoir enrichi la clarinette et créé le saxhorn en améliorant les bugles existants, ne dépose en 1846 le brevet d’un nouvel instrument appelé à connaître un vif succès dans l’orchestre d’harmonie et plus tard dans le jazz : le saxophone. Curieux instrument, soit dit en passant, que cet instrument à vent, cousin trapu de la clarinette basse : un cuivre doté d’une anche et, de ce fait, classé dans la famille des bois**.
Quelques années avant, en 1833, avaient été créés par Guillaume-Louis Bocquillon, dit Wilhelm, les orphéons, des chœurs d’homme dont le succès s’est rapidement étendu à tout le territoire national, au point qu’il en existait plusieurs milliers quelques décennies plus tard, pour le plus grand plaisir des populations. Enrichis, durant la 2e moitié du 19e siècle, par la collaboration avec des orchestres d’harmonie, ces orphéons ont progressivement donné leur nom à l’orchestre lui-même, une appellation qui a perduré jusqu’entre les deux guerres du 20e siècle avant de tomber en désuétude, hormis dans quelques sociétés musicales de province. Mais à ces quelques exceptions près, c’est bien l’appellation « orchestre d’harmonie » qui s’est durablement imposée.
Des musiciens issus des classes populaires
Très répandus jusque dans les années 50, les orchestres d’harmonie, victimes des profondes mutations dans les modes de vie et surtout de la diversification des loisirs dès les années 60, se sont progressivement raréfiés. Ils n’ont toutefois pas disparu, loin de là. Fidèles à la tradition militaire, ces formations sont encore bien présentes dans les armées de l’Air, de Terre et dans la Marine nationale, sans oublier la Gendarmerie, la Police nationale, la Garde républicaine ou les Sapeurs-Pompiers de Paris. Il existe également d’excellents orchestres d’harmonie dans des grandes entreprises, principalement publiques, telles EDF, la RATP ou la SNCF, ainsi que dans des centaines de villes de province, des plus grandes comme Paris, Lyon, Marseille ou Bordeaux jusqu’à de beaucoup plus modestes comme Bapaume, Challans, Imphy ou Nissan-lez-Ensérune.
Dommage que ces orchestres d’harmonie soient devenu si rares sous le dôme des kiosques à musique de nos parcs. Écouter sous les frondaisons des arbres ou dans la suavité printanière des parfums de bosquets en fleurs les suites de Water Music ou des Royal Fireworks Music de Haendel était naguère un ravissement par les spectateurs. Et cela d’autant plus que, comme la majorité des spectateurs, les musiciens appartenaient pour la plupart d’entre eux aux classes populaires, la formation musicale des bourgeois étant orientée vers les instruments nobles comme le piano et les cordes plutôt que vers les cuivres et les percussions, largement réservés aux ouvriers et employés en raison d’un coût d’achat moindre des instruments.
Les orchestres d’harmonie ne se limitaient évidemment pas à Haendel et aux musiques de fêtes héritées d’un lointain passé. Et c’est avec un grand plaisir que le public accueillait les transcriptions d’œuvres classiques spécialement écrites pour ce type de formations, du concerto pour deux trompettes d’Antonio Vivaldi à l’ouverture des Vêpres Siciliennes de Giuseppe Verdi en passant par le concerto pour trompette de Johan Nepomuk Hummel, la célèbre Romance de Ludwig van Beethoven ou les incontournables danses hongroises de Johannes Brahms, pour ne citer que quelques œuvres du répertoire. Présentes également, les musiques spécialement écrites pour l’harmonie, à l’image de la Grande symphonie funèbre et triomphale d’Hector Berlioz (1840) et des nombreuses compositions qui ont vu le jour depuis cette époque. Sans oublier bien sûr les musiques de film ou les morceaux de jazz les plus prisés du public comme les ragtimes de Scott Joplin ou les compositions de Sidney Bechet (Petite fleur, Les oignons, Dans les rues d’Antibes).
Mis à part lors des manifestations comme le 14 juillet ou les fêtes communales, les orchestres d’harmonie ne se produisent plus guère en extérieur, et les kiosques à musique sont trop souvent orphelins de ces musiciens dont les uniformes désuets, pour les sociétés qui n’y ont pas renoncé, prêtent parfois à sourire avec leurs brandebourgs ou leurs casquettes de soldats d’opérette. Voir, écouter et, si la musique est bonne, applaudir l’orchestre d’harmonie est pourtant l’occasion de passer un agréable moment dans un cadre verdoyant. Mesdames et messieurs les responsables de sociétés d’harmonie, pensez à ces nombreux spectateurs qui n’aspirent qu’à être à nouveau séduits par les prestations de vos interprètes pour, au moins le dimanche, tourner le dos aux insipides programmes de la télévision. Mais peut-être l’orchestre d’harmonie est-il définitivement passé de mode ? Ce serait vraiment dommage...
* Unité d’élite, ce « régiment » était directement attaché à la « Maison du Roi ». Il était formé de 6 bataillons comprenant chacun 5 compagnies (1 de grenadiers et 4 de fusiliers). Considérées comme une survivance monarchique, les Gardes-françaises ont été dissoutes en septembre 1789.
** Les instruments à vent fonctionnant avec une anche (simple ou double) étaient jusque-là construits en bois.
Quelques pièces d’harmonie :
Danse hongroise n°1 (Johannes Brahms) – Orchestre d’harmonie de la Flotte de Toulon
Marche slave (Piotr Ilitch Tchaïkovski) – Orchestre d’harmonie de Clermont-Ferrand
L’Arlésienne (Georges Bizet) – Orchestre d’harmonie La Renaissance (Paris)
Concerto d’Aranjuez (Joaquin Rodrigo) – Orchestre d’harmonie de Corfou
Ballade irlandaise (?) – Orchestre d’harmonie de Lannilis
Petite fleur (Sidney Bechet) - Orchestre d’harmonie La Renaissance (Paris)
Rabbi Jacob (Vladimir Cosma) – Orchestre d’harmonie de Calais
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