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« La Cerisaie » de concert autour d’Isabelle Huppert orchestrée par Tiago Rodrigues

Mais que se serait-il donc passé si Lioubov avait fini par accepter de se ranger au projet de Lopakhine en envisageant de transformer La Cerisaie en parc de datchas pour estivants fortunés ?

Car force est de constater qu'au final de la pièce de Tchekhov toute la tribu aristocrate devra quitter la résidence patrimoniale et que seul, en définitive, Lopakhine, l'ancien Moujik ayant escaladé les étages de l'ascenseur social, "héritera" du domaine pour y régner en stratège financier. 

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LA CERISAIE
© Christophe RAYNAUD DE LAGE

  

Or celui-ci avait pourtant bel et bien proposé à Lioubov, la maîtresse de maison endettée, d'endosser cette fonction représentative alors que lui aurait été son zélé régisseur exécutif.

Ainsi à rebours, s’affiche donc un angle passionnant de cette pièce ultime du grand dramaturge russe, mais Lioubov n'est effectivement aucunement disposée à envisager et régenter la métamorphose de La Cerisaie en parc immobilier ; mieux vaudrait, en effet, regretter tout le reste de son existence l'ancien monde avec ses valeurs traditionnelles et son harmonie apaisante plutôt que de céder aux sirènes de la rentabilité économique avec tout son cortège d'aliénation existentielle et psychologique inhérent.

Ainsi le metteur en scène perçoit la démarche sous-jacente de Lioubov non seulement comme une affirmation d'indépendance mais également comme le désir inconscient d’accepter de changer la destinée semblant tracée d’avance par la généalogie. 

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LA CERISAIE
© Christophe RAYNAUD DE LAGE

  

C’est pourquoi celle-là, plongée dans une apparente hébétude bipolaire jusqu'à l'instant d'apprendre l'identité du nouveau propriétaire, retrouvera peu à peu ses réflexes fondamentaux au point d’admettre que désormais elle dort beaucoup mieux.

De là à être enchantée selon l'idée d'une nouvelle vie affrontée grâce au pécule récolté par le fruit de la vente, il y aurait sans doute davantage qu'une résignation assumée mais au moins l'amorce d'un réel optimisme face à l'avenir de tous les membres du clan.

Accompagné de cet enjeu existentiel à la clef, il semble cohérent d'adhérer à la vision de Tiago Rodrigues en concédant que si une page est tournée autant qu'elle le soit radicalement et de ne conserver la nostalgie que comme jardin secret, aussi essentiel soit-il pour chacun.  

 

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LA CERISAIE
© Christophe RAYNAUD DE LAGE

  

En utilisant les vibrations psychédéliques d'une formation rock intégrée à même la scénographie en traveling sur des rails transversales de cour à jardin, le réalisateur donne à chacun de ses comédiens le soin de façonner son rôle à la mesure d’une résolution chorale passant d'un ressenti à l'autre, du monde d'avant au monde d'après.

Dans cet écrin de l’Odéon laissant se profiler l’intégralité du volume scénique sur lequel s’agence, initialement en rangées ordonnées pour devenir monticule, une collection de chaises sous la veille de quelques lampadaires improbables déplaçables sur roulettes, Isabelle Huppert nous apparaît en état d’apesanteur variant de la placidité à la prostration parcourue par des cycles récurrents d’exaltation épidermique mais toujours habitée d’une langueur déterminée comme si le parcours inexorable proposé par Tchekhov loin d'être un chemin de croix pouvait s’apparenter de préférence à une cure de jouvence forcément salvatrice. 

 

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LA CERISAIE
© Christophe RAYNAUD DE LAGE

   

A ses côtés, se dépensant comme un beau diable, Adama Diop prend le taureau par les cornes pour s’efforcer de la convaincre de cette formidable opportunité qui s’offre à elle d’intervenir sur la fatalité de la déchéance gestionnaire en adoptant un point de vue visionnaire adapté à l’air du temps nouveau.

Faisant de Lopakhine un personnage éminemment sympathique et prévenant, Tiago Rodrigues renverse la table de la mélancolie pour en présenter ce tableau futuriste aussi attrayant qu’une maquette immobilière a le don de captiver l’imaginaire de son potentiel acquéreur.

En présence de ces deux attitudes diamétralement opposées semble s'élever non un mur d’incompréhension mais bel et bien paradoxalement un entre-deux magique où la dialectique affective paraît l’emporter sur toute autre considération tant est qu’en définitive chacun est de fait persuadé qu’il y trouvera à terme son compte alors qu'à priori l’avenir aurait pu prendre le visage de la continuité misérabiliste plutôt que la fracture mobilisatrice.

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LA CERISAIE
© Theothea.com

C’est donc ici en « fanfare » et avec une distribution multiculturelle de choc sous la houlette inspirée et inspirante du tout nouveau directeur du Festival d’Avignon que se déroule le processus d’expropriation de La Cerisaie tellement jouée de par le monde pour en parfaire, à l’inverse de la majorité des versions qui en attisent son crépuscule du paradis perdu, le concept de « Changement » vers un ailleurs qui devrait être largement profitable à tous ses ressortissants parvenus en confiance résiliente.

   
photos 1 à 4 © Christophe RAYNAUD DE LAGE      
photos 5 & 6 © Theothea.com 
     
LA CERISAIE - **** Theothea.com - de Anton Tchekhov - mise en scène Tiago Rodrigues - avec Isabelle Huppert, Isabel Abreu, Tom Adjibi, Nadim Ahmed, Suzanne Aubert, Marcel Bozonnet, Océane Caïrat, Alex Descas, Adama Diop, David Geselson, Grégoire Monsaingeon, Alison Valence & les musiciens, Manuela Azevedo et Hélder Gonçalves - Odéon Théâtre de l'Europe

    

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LA CERISAIE
© Theothea.com

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