Il n’a peut être plus besoin de référence ni de patronage. Il porte à lui tout seul un nom qui fait aujourd’hui figure de proue dans la culture africaine en général. Le chorégraphe et chercheur Alphonse Tiérou n’a peut être plus rien à dire car il est devenu au fil des années l’expression même de ce qu’il transmet dans ses enseignements. Casquette toujours vissée sur la tête, marchant regard hagard comme s’il cherchait encore à résoudre sa propre énigme, cet homme « bizarre » au possible touche, intéresse et étonne parfois dans sa grandeur étrange…
Chorégraphe, chercheur en danse africaine et écrivain, Alphonse Tiérou s’attèle depuis plus de 15 ans à enseigner la danse africaine sous ses formes artistiques, sociales ou encore philosophiques. Quand la danse devient tout expression pour être identité, quand elle s’impose comme une valeur même de reconnaissance sociale. Comment de ces différences culturelles qui varient d’un pays africain à un autre, l’on peut arriver à capter des similitudes criantes, des mouvements de base communs à toutes les danses ? Et c’est là justement qu’il fait intervenir le « dooplé », le premier des dix mouvements de base observé dans toutes les régions et chez tous les peuples africains. Savante philosophie artistique qui joint à la danse, des valeurs tour à tour sociales, esthétiques et identitaires communes à toute l’Afrique.
« La danse véhicule notre vision du monde et conditionne toute notre existence. Ses mouvements de base sont tous porteurs d’une forte charge symbolique. Ils expriment le rapport de l’homme à la Terre, à Dieu, à la communauté des vivants, à celle des morts... » (1)
Si la danse africaine a longtemps été réduite à sa simple notion folklorique à travers notamment l’exploitation de clichés dont elle a été victime par le passé, elle est aujourd’hui perçue comme la représentation même d’une culture africaine en pleine reconnaissance universelle..
PAROLES DE MASQUES » : DE LA DANSE EN LITTERATURE...
Des masques qui communiquent, s’écoutent parler avec des procédés incohérents, qui partent souvent en éclats, et se dissolvent sous le regard admiratif du public. « Il n’y a pas nécessairement de rapport entre deux propos consécutifs de deux masques, ni entre les sujets abordés par les différents orateurs (…) Des réflexions de Masques au cours d’un spectacle peuvent se suivre sans cohésion apparente. Selon les Masques, la lumière peut jaillir de la discussion, de la contradiction, comme de la contestation. » explique l’auteur dans son dernier ouvrage « Paroles de Masques ».
C’est l’adaptation d’un spectacle ancien qui se déroulait tous les ans, en janvier avant la seconde Guerre mondiale dans la région de Duekoué à l’Ouest de la Côte d’Ivoire qu’il retranscrit avec brio dans le début de son livre. Un silence, une musique douce qui précède le tambour parleur qui lui, accompagne la sortie des Masques. Le silence apparaît une fois de plus mais se fait plus profond cette fois comme pour annoncer une « voix aux vibrations puissantes » qui interpelle le village. Les danseurs agitant des torches et des flambeaux investissent les lieux, le tout enrobé d’une ambiance sans pareil qui captive au possible l’attention du public…
Dans ce perpétuel spectacle sans précédent, Alphonse Tiérou parvient à capter à travers la description d’infimes détails, toute l’attention du lecteur. Tout est prétexte à une explication. L’origine des peuples de l’Ouest, la vie sentimentale (et sexuelle) des porteurs de Masques, leur vie professionnelle, la spiritualité, la philosophie qu’ils incarnent, etc...Une œuvre luxueuse et sincère qui tourne le dos aux facilités et aux laisser-aller. Un livre d’un inflexible bon goût à lire…absolument. (1).