La place de l’art est-elle dans les musées ?
A visiter l’exposition la Force de l’art au Grand Palais, comme à découvrir les nouveaux musées du Quai Branly ou de l’Orangerie, une question me turlupine. Quelle est la place de l’art aujourd’hui ? Est-elle bien dans cette scénarisation croissante qui a cours et qui contraint à un contact avec les œuvres, accrochées comme des objets d’art, à distance de leur contexte d’origine, voire en contradiction avec celui-ci ?
Loin de moi de contester la légitimité et le défi remarquables que constituent ces dernières manifestations artistiques. D’autant que le public est au rendez-vous, ce qui atteste une appétence toujours croissante pour l’art. Pourtant, quelques réflexions. La sublimation des chefs d’œuvre africains ou amérindiens dans un musée-monument d’architecture, par ailleurs particulièrement réussi, n’est-elle pas totalement contradictoire avec leur perception par leurs concepteurs mêmes et leur premier public originel ? La collection Walter-Guillaume présentée (en sous-sol) sur des cimaises de béton est-elle bien à propos pour des œuvres essentiellement figuratives (Douanier Rousseau), expressionnistes (Soutine), voire consensuelles (Marie Laurencin) ? Enfin qu’apparaît-il de toute la création contemporaine, hors du champ de l’objet d’art mais plutôt work in process ou installation interactive dans la force de l’art ?
Si l’on songe que depuis une trentaine d’années, l’art conceptuel ou des artistes, comme Lawrence Wiener, Jean-Baptiste Farkas ou Sylvain Soussan, privilégient une démarche co-créative avec leur public, s’immisçant dans leur quotidien et prenant en compte la suprématie économique de notre environnement, il n’est plus tout à fait acquis que l’œuvre soit réduite à un objet d’art. Chacun de ces artistes invite au contraire à ceci :« dépasser les limites de la réalisation matérielle octroie au collectionneur la responsabilité d’une œuvre en perpétuelle mutation »[1].
Si l’art contemporain s’est coupé du grand public, tout en rencontrant l’appétit de collectionneurs avides de valorisation sociale et financière, on ne peut qu’appeler de ses vœux que cette scénarisation de l’art, toute compréhensible qu’elle soit, issue de l’invention du musée au XIXe siècle, n’empêche pas par ailleurs une réelle visibilité de la création artistique contemporaine. Celle-ci ne trouve pas seulement sa place dans nos institutions, aussi solidement installées que l’avait rêvé André Malraux, mais elle investit notre quotidien. Qui niera qu’elle s’exprime, par exemple, dans la mode, la publicité, le design, avec autrement de vitalité ? D’ailleurs, le développement des activités de jardinage, de décoration, de personnalisation de son look manifeste la volonté d’appropriation d’une créativité plus large par l’ensemble de nos contemporains, quel que soit leur niveau culturel d’ailleurs. Comme de tout temps et dans toute civilisation humaine, l’art est d’abord inscrit dans la vie quotidienne, des grottes préhistoriques aux oriflammes des fêtes du Palio siennois. Sa valorisation marchande et son exhibition spectaculaire ne sont que des phénomènes périphériques, secondaires, et finalement étrangers à la démarche artistique profonde, dans toute son authenticité.
Impossible, pourtant, de condamner ces belles initiatives de mise à disposition du public, et dans des conditions ambitieuses, de l’art. Il s’agit peut-être davantage de préparer davantage nos contemporains à une appréhension de l’art qui abandonne les complexes culturels et privilégie une réflexion intime et libre.
[1] « Quand, comment et où y a-t-il de l’art ? », entretien avec Ghislain Mollet-Viéville, Le Monde des débats, décembre 1998.
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