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Accueil du site > Culture & Loisirs > Culture > La ville est ma maison

La ville est ma maison

Betùn de la compagnieTeatros Trappato mise en scène de Vene Vieitez, avec Cecilia Scrittore et Vene Vieitez, masques d'eux-mêmes. (L'accent du « u » de Betùn est tourné de l'autre côté, je n'en vois pas de semblable sur mon clavier). Betùn veut dire bitume, si j'ai bien compris, les enfants du bitume... Théâtre du Passage à 22h15

On a fort mal dormi de Guillaume Barbot, d'après Patrick Declerck avec Jean-Christophe Quenon, Compagnie Coup de Poker, Théâtre de la Manufacture 16h15.

Deux spectacles sur un même thème : les sans-droits, sans-abris, les prolétaires absolus, qui n'ont jamais la parole. Le mot prolétaire signifie ceux qui n'ont que leur progéniture pour subvenir à leurs besoins, ils ont intérêt à être prolifiques (le « prol » de prolétaire et celui de prolifique est le même). Au début du capitalisme, que Marx a décrit et analysé, les ouvriers étaient prolétaires. Cependant, ouvrier et prolétaire, ce n'est pas la même chose. Deux spectacles sur la débrouille quotidienne de ceux qui n'ont rien, absolument rien. Ils vivent en ville mais n'ont pas de maison, la ville est pour eux comme une forêt, ils y dénichent des recoins pour dormir, ne pas trop subir le froid, le vent, la pluie. Ils rusent pour croquer quelque chose quand même, car la faim leur serre le ventre de ses mâchoires d'acier...

 

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Betùn est une fantaisie poétique sans texte, une pantomime disait-on autrefois qui reprend des moments de la vie d'enfants des rues de Bogotá. L'enfant est joué par l'actrice. Son costume et son masque changent peu. Il est la permanence de cette situation d'extrême misère. Jouée avec douceur, dans des moments différents, le lever du jour, il sort d'un sac poubelle comme un papillon d'une chrysalide, moment intense de doute : dehors vaut-il la peine, avec sa violence et toutes ses horreurs ?... Les personnages qu'il rencontre sont joués par le comédien, qui change à vue de costume et de masque, dans une certaine théâtralité. La musique signifie ce changement des moments, très caractérisée à chaque foi. Quatre rêves et cinq réalités : les couteaux, les petits larcins, les trop gentils messieurs, le cireur de chaussures, le trafic d'organes, la drogue... de quoi les jours sont faits quand on n'a rien et qu'on ne veut pas en mourir, cependant... Esthétisant, comme une position angélique sur cette survie pour donner connaissance du problème.

Le Teatro Strappato est très investi dans l'aide à ces enfants. Ils les connaissent de près et tiennent d'eux toutes les histoires qu'ils nous racontent... Ils travaillent à créer une maison d'aide et d'accueil pour ces enfants de la rue, dans la banlieue de Bogotá. Ces enfants du bitume seraient cent millions dans le monde, dont quarante en Amérique Latine.

 

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On a fort mal dormi est à l'opposé. Réalisme cru et sociologique. Détails obscènes en sus. Paris, Nanterre en 1985 et de nos jours... Nos déjections quotidiennes dont l'évacuation est si bien organisée qu'on y pense à peine ordinairement... forment une suite atrocités, les odeurs sont lourdes, présentes et gravement problématiques. Elles peuvent aussi être utiles pour éloigner les agresseurs. Rien ne nous est épargné, car ces clochards, il vaut mieux dire clochard que SDF qui vient de l'administration des impôts, clochard est un franc mot, ces clochards n'ont aucune solidarité, ils sont violents entre eux. Jean-Christophe Quenon est d'une très grande proximité avec le public, avec le texte, avec les personnages. Il en joue plusieurs, les clochards, un psychiatre qui les aide et parfois les déteste (que faire devant un homme dont les blessures sont infestées de gangrène jusqu'à la cuisse et qui ne veut pas qu'on l'examine, quand bien même il sait qu'il va mourir si on ne l'opère pas en urgence ?) et... l'auteur. Peu de choses dans ces transformations, ça marche à plein. On ne le voit pas jouant, et pourtant, il joue dans une délicatesse forte et invisible.

Il nous raconte l'histoire de Raymond qui fait usage de sa liberté pour n'en point faire usage précisément et retourne à la rue pour y mourir, après un semblant de reprise d'une vie normale. Nombre d'hommes sont à la rue après une déception, un divorce... Évelyne Sullerot, grande féministe, en a parlé, mais... c'est tellement à contre-flot des idées reçues...

Il faudrait un revenu d'existence... certes... et s'aimer à tort et à travers, comme le dit Julos Beaucarne) quoique l'amour ne suffise pas et que ceux qui aiment subissent les agressions-privations des volontaires-autoritaires-sans scrupules, les pousse-toi-de-là-que-je-m'y-mette, on le voit tout du long du spectacle.

C'est un spectacle éprouvant qui nous fait ressentir cette épreuve de l'exclusion pour ces « fous de l'exclusion » que sont ces clochards. Théâtre de témoignage. Du grand art.


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