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Le 5e Balbec Normand de Marcel Proust

Depuis 2005, tous les deux ans, les stations balnéaires de Trouville et de Cabourg s'unissent pour célébrer l'oeuvre du grand écrivain dans des lieux où il séjourna et qui lui inspirèrent quelques-unes des plus belles pages de la Recherche.

Lieux de villégiature appréciés de l’écrivain, Trouville et Cabourg, réunis dans la Recherche sous le nom de Balbec, célébraient ces samedi et dimanche 29 et 30 juin 2013 le "5ème Balbec Normand de Marcel Proust", avec la participation de personnalités unanimement reconnues, Messieurs Carter, Tadié et Yoshikawa entourés d’une très nombreuse et brillante assistance. Le programme de ces deux journées s’est révélé remarquable avec l’ouverture, au musée Montebello de Trouville, d’une exposition « Impressions photographiques » évoquant le charme des stations balnéaires à la Belle Epoque. L’après-midi, Michel Blain dans « A la recherche des lieux proustiens », titre d’un ouvrage qu’il a récemment publié aux éditions de l’Harmattan, nous a entrainés au pays de Balbec et à Paris où l’écrivain a vécu la plus grande partie de sa vie, y est né et mort, et rappelé qu’au-delà de leur propre matière les lieux proustiens restent de pure fiction, si bien qu’aller à leur recherche est l’assurance d’un voyage dans le texte avant même de l’être dans les lieux. Il est vrai que la puissance de vision et d’évocation de l’auteur est supérieure au regard du promeneur et nous confirme que l’art est définitivement plus fort que la réalité.

Monsieur Jean-Yves Tadié prenait la suite avec une évocation orale et photographique des affections proustiennes qui furent principalement masculines et, avec humour, conté ces amours passagères ou durables qui marquèrent son existence d’homme et d’écrivain. C’est ainsi que défilèrent les premiers amours du lycée Condorcet, ceux de l’âge adulte et de la maturité avec, posés sur nous et venant de leur lointain passé, les regards jamais éteints de ces amis, surpris en un instantané qui perdure, grâce à l’art du photographe. Et, pour clôturer cette journée trouvillaise, avait lieu dans le hall de la mairie un concert Reynaldo Hahn avec la participation de Claude Baumann dans le rôle de Reynaldo, relatant les moments forts de sa vie qu’illustraient les mélodies du musicien interprétées magistralement par l’excellente pianiste Marie-Pascale Talbot et la délicieuse soprano Laura Rabia. La mélodie « Mon cœur s’ouvre à ta voix » de Camille Saint-Saëns, ami de Hahn, fut un moment magique bissé à la grande joie d’un public enthousiaste.

La journée du 30 juin à Cabourg commençait par la visite documentée du Grand-Hôtel où Proust passera ses étés de 1908 à 1914, appréciant le bienfait que le climat exerçait sur sa santé fragile, au point qu’il se sentait revivre et ne se lassait pas d’admirer les lumières sans cesse changeantes sur la mer. Cette visite était suivie de la conférence du professeur Kazuyoshi Yoshikawa dont le sujet était « La lanterne magique de Geneviève de Brabant », titre mystérieux qui allait progressivement se dévoiler au fur et à mesure des propos, ô combien éclairants du conférencier ! Car cette lanterne est dans « Le côté de chez Swann » - dont on fête le centenaire de la publication cette année - le prélude au drame du coucher et du baiser maternel. L’histoire qu’elle raconte en projection constitue, par ailleurs, la première étape qui conduit l’enfant Proust à la lecture littéraire, celle de « François le champi », de même qu’elle précède la découverte des vitraux de l’église Saint-Hilaire qui, curieusement, sont pleins d’allusions à Geneviève de Brabant, ancêtre des Guermantes. En quelques pages, la lanterne magique figure les thèmes essentiels de la Recherche et semble résumer, en survolant les siècles, l’histoire de l’homme telle que Proust la concevait. Grâce à cette étude fouillée et d’une extrême subtilité, c’est un pan du roman qui s’éclairait et se mettait en perspective pour les lecteurs que nous sommes.

L’après-midi réunissait une assistance nombreuse à la sall’in de Cabourg, dont c’était l’inauguration, et où la compagnie « Le bruit du monde » nous offrait un spectacle théâtrale à partir d’extraits de la Recherche dans une mise en scène de Michel Azama. L’interprétation admirable de Camille Devernantes, avec l’accompagnement de la jeune violoncelliste Céline Barricault, fut époustouflante, car l’essentiel était là en ce décor volontairement dépouillé où le livre monumental et surdimensionné représentait la célébration de la lecture et l’ascèse de l’écriture, tandis que le comédien, seul en scène, nous livrait avec humour, désespoir, poésie, ironie, fougue ou sobriété quelques-uns des passages de la Recherche où l’âme de l’auteur est à jamais enchâssée et présente. Difficile de traduire ce que le phrasé des mots, souligné par le phrasé du violoncelle, avait d’émouvant et de célébrant, une rumeur contre l’oubli certes, une rumeur contre la mort, contre le temps qui passe, mais une rumeur qui ne cesse plus de nous habiter.

Avant le dîner de clôture, qui avait lieu dans la salle-à-manger/aquarium du Grand-Hôtel, l'endroit qui vit Marcel Proust passer tant d’heures à contempler les couchers de soleil et le mouvement des vagues, le professeur William Carter nous conviait à une conférence sur «  Proust et le livre  ». Grâce à lui, nous respirions à nouveau l’odeur de la terre natale, écoutions les mots célébrer le passé, Proust enfanter le monde qu’il entendait créer et la vie sourdre avec ses arborescences par le simple pouvoir de l’évocation littéraire. Ainsi l’écrivain devenait-il une sorte de Protée, capable de prophétiser et de vivre ses personnages et les choses qu’il évoquait, de même que les fulgurations de la mémoire faisaient surgir le passé dans son présent, un présent qui contenait déjà le futur d’une œuvre inaltérable.

Armelle BARGUILLET HAUTELOIRE


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4 réactions à cet article    


  • Emin Bernar Emin Bernar Paşa 4 juillet 2013 14:12

    je suis content d’apprendre que cabourg célèbre marcel proust ; cela n’a pas toujours été le cas ; il y a des années on pouvait lire sur la place derrière le grand hôtel sur une sorte d’écriteau une phrase admirable extraite d’à l’ombre des jeunes filles en fleurs : une description des jeux du soleil sur la mer ; un jour la phrase de proust a été remplacée par une phrase pompeuse d’un critique, journaliste de télévision, j’ai oublié son nom !


    • Armelle Barguillet Hauteloire Armelle Barguillet Hauteloire 5 juillet 2013 10:43

      Merci de votre message. Il y a plus de dix ans que le Cercle littéraire proustien de Cabourg-Balbec existe afin de perpétrer la mémoire du grand écrivain dans des lieux qu’il a aimés et qui l’ont inspiré.


    • jack mandon jack mandon 4 juillet 2013 15:07

      Bonjour Armelle,

      Dans les pas du petit Marcel, témoin de l’art intérieur flottant et mouvant.
      Vision sensible d’un labyrinthe. Sur la terre, des hommes de bonne foi,
      s’arcboutent dans les huis verrouillées, pendant que vous découvrez
      un fond de ciel, où des lucarnes en croissant de lune,
      s’entr’ouvrent, ludiques, secrètement pour votre fortune.
      A défaut de vous accompagner dans la réalité, j’en appelle à l’imaginaire.

      J’ai le sentiment que vous êtes la gardienne des lieux.
      Merci

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