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Accueil du site > Culture & Loisirs > Culture > Le centenaire de Guillevic

Le centenaire de Guillevic

2007 est l’année du centenaire du poète Guillevic et le dixième anniversaire de sa mort. Connu dans le monde entier (il fut traduit en quarante langues), Guillevic fut surnommé le « menhir vivant ». Son centenaire est inscrit aux Célébrations nationales du ministère de la Culture. C’est l’occasion de le redécouvrir et, avec lui, deux autres poètes bretons dont Armand Robin, « considéré comme le premier poète du web... à une époque où celui-ci n’existait pas encore », et le dénonciateur de la « fausse parole » des médias qui mourut dans de bien étranges conditions.

Si Guillevic fut traduit en quarante langues, Armand Robin en comprenait une vingtaine.

Eugène Guillevic est né à Carnac (56) en 1907.

Le "menhir vivant" nous a quittés le 19 mars 1997. Cette année 2007 est une commémoration prévue par les "Célébrations nationales" du ministère de la Culture. Poète prolifique et mondialement connu, Guillevic était pourtant un poète simple et humble. Il rejette toute tentation de lyrisme, préférant interroger les choses, jusqu’à vouloir s’identifier à elle, à la pierre en particulier. Il est vrai qu’il est habité par Carnac autant qu’il habite Carnac. Il a pris, comme Francis Ponge, "Le Parti des choses". C’est d’ailleurs l’année de publication de ce recueil de Ponge, 1942, qu’il entre en poésie, timidement et sous un pseudonyme (Serpières, presque "serpilière" !) et avec son premier recueil tardif (il a 35 ans  !) : Terraqué. Modeste, discret, il signait toutes ses oeuvres de son identité incomplète, Guillevic en escamotant son prénom. Simplicité la plus parfaite du style, économie des adjectifs et pas de métaphores. Humilité toujours : "Les mots, les mots ne se laissent pas faire comme des catafalques. Et toute langue est étrangère". Pourtant, Guillevic maîtrisait parfaitement l’allemand et l’alsacien. Il traduisit l’intraduisible Hölderlin, comme il avait adapté Goethe, Georg Trakl, Bertolt Brecht, c’est dire ! En dépit de ce style épuré qui cherchait peu à se faire remarquer, le succès prit le poète et ne le quitta plus. Grand Prix de poésie de l’Académie française en 1976, Grand Prix national de poésie en 1984, Traduction de son oeuvre en quarante langues et dans une soixantaine de pays, présence dans toutes les anthologies de poésie et dans les livres d’école.

"Il avait quelque chose de Robert Hue dans le visage, qu’accentuait encore le collier de barbe", dit Fabrice Gaignault dans la revue Lire de juillet. Guillevic a été communiste ! Sympathisant communiste d’abord, au moment de la guerre d’Espagne, puis adhérent au parti en 1942. C’est à cette époque qu’il se lie à Paul Éluard et participe aux publications de la presse clandestine (Pierre Seghers, Jean Lescure). Critique à l’égard du parti, il lui demeure, malgré tout fidèle jusqu’en 1980.

Carnac célèbre l’enfant du pays en cette année 2007, année de son centenaire et du dixième anniversaire de sa disparition : site officiel ici.

C’est l’occasion de parler de deux autres poètes, peut-être moins connus, mais fascinants : Victor Segalen, pisteur de Gauguin et de Rimbaud, quêteur des civilisations exotiques, et le surprenant Armand Robin, journaliste rebelle, traducteur polyglotte et féru jusqu’à l’addiction des nouvelles technologies de son époque.

Victor Segalen, pisteur de Gauguin et de Rimbaud :

Il est né à Brest (29) en 1878. Un jour de mai, l’année1919, alors qu’il était de retour de la guerre pour cause de grave maladie, le poète Victor Segalen se reposait dans la forêt de Huelgoat, encore hantée des légendes du roi Arthur et de l’enchanteur Merlin. Les aubergistes ne le voient pas rentrer. Trois jours plus tard, il est découvert au pied d’un arbre, semblant assoupi, avec Hamlet à la main !

Avant, il mena une vie riche et passionnante sur les traces de Gauguin, Rimbaud, puis en Chine où sa découverte en 1914 d’un site funéraire permettra soixante ans plus tard de mettre à jour la fameuse armée composée de 7 000 soldats et cavaliers de terre cuite. Segalen était aussi médecin de marine, ethnographe et archéologue français. En Polynésie française, il sauve, en les achetant, les derniers croquis de Gauguin, mort trois mois avant son arrivée. Il interroge également les traces de "l’homme aux semelles de vent" : à Djibouti, il rencontre les frères Rhigas qui ont connu Arthur Rimbaud, le négociant.

En Océanie, il est frappé par l’effroyable gâchis causé par la civilisation blanche chez des peuples qui avaient une culture très riche, adaptée à leurs besoins et à leurs mentalité. Il constate que l’apport des Européens se limite aux maladies, comme la tuberculose, la rougeole, et aux conceptions chrétiennes inadaptées à la société maorie. De retour en France, il se glisse dans la peau d’un maori récitant pour écrire les Immémoriaux (1907), sorte de poème en prose qui retrace la vie et les croyances dans les îles et dénonçant les ravages commis par les missionnaires protestants. En 1908, il part en Chine pour soigner les victimes de l’épidémie de peste de Mandchourie. En 1910, il décide de s’installer en Chine avec sa femme et son fils.

Mort en 1919, le poète aura son nom inscrit sur les murs du Panthéon en tant qu’"écrivain mort pour la France pendant la guerre de 1914-1918".

Site sur Victor Segalen.

Arman Robin, le dénonciateur de la fausse parole des médias :

Armand Robin, né en 1912 à Plouguernével près de Rostrenen (22), mort le 30 mars 1961 à Paris, était également traducteur, journaliste et homme de radio. Patrick Modiano trouva le personnage Armand Robin tellement étonnant qu’il l’intégra comme personnage dans son roman de La Petite Bijou.

Sa langue maternelle était le breton. Ce qui ne l’empêcha pas d’être brillant élève et de monter à Paris, en 1929, pour préparer l’entrée à l’École normale supérieure. S’il échoue à l’agrégation, il continuera ses études de lettres. Il apprendra notamment le russe. En 1933, il effectue un voyage en URSS, d’où il revient complètement désenchanté du communisme. Très doué pour les langues (il en comprendra plus d’une vingtaine !), il est embauché dès le début de la guerrre par le ministère de l’Information comme collaborateur technique au service des écoutes de radios en langues étrangères et rédige des "bulletins d’écoutes". Il reprend son bulletin d’écoutes à titre personnel en mai 1944 notamment pour la presse issue de la Résistance, Combat et L’Humanité. Il passera, jusqu’à la fin de sa vie, des heures jour et nuit à ses écoutes et publie en 1953 La Fausse Parole, point d’aboutissement de sa réflexion sur ses écoutes de radios et sur la propagande. Dans le même temps, il continue ses travaux de traductions, qui aboutiront à Poésie non traduite, et anime au début des années 1950 une série d’émissions de radio bilingues sur les poètes du monde entier.

Sa fin est tragique : à la suite d’une série de fâcheux événements, il est embarqué par la police, et meurt, dans des conditions mal élucidées, à l’infirmerie spéciale du dépôt de la préfecture de police. Une partie de ses écrits aurait disparu dans l’affaire. Ses poèmes survivants donneront lieu à diverses éditions.

Ma vie sans moi (1940) poésie
Le Temps qu’il fait (1942) roman

Un site sur Armand Robin.

« L’armoire était de chêne
Et n’était pas ouverte.

Peut-être il en serait tombé des morts,
Peut-être il en serait tombé du pain.

Beaucoup de morts.
Beaucoup de pain
. »

Guillevic. Terraqué


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16 réactions à cet article    


  • La Taverne des Poètes 12 juillet 2007 12:03

    on supprimera les écrits

    au nom des commentaires

    puis on supprimera

    les commentaires

    dit Armand Robin en 1945. Le « premier poète du web » avait-il anticipé Agoravox ?


    • La Taverne des Poètes 12 juillet 2007 12:06

      je faisais là un essai de mise en forme des strophes pour éviter la catastophe. Voici le poème complet :

      On supprimera la foi au nom de la lumière puis on supprimera la lumière

      on supprimera l’âme au nom de la raison puis on supprimera la raison

      on supprimera la charité au nom de la justice puis on supprimera la justice

      on supprimera l’amour au nom de la fraternité puis on supprimera la fraternité

      on suprimera l’esprit de vérité au nom de l’esprit critique puis on supprimera l’esprit critique

      on supprimera le sens du Mot au nom du sens des mots puis on supprimera le sens des mots

      on supprimera le sublime au nom de l’art puis on supprimera l’art

      on supprimera les écrits au nom des commentaires puis on supprimera les commentaires

      on supprimera le saint au nom du génie puis on supprimera le génie

      on supprimera le prophète au nom du poète puis on supprimera le poète

      on supprimera l’esprit au nom de la matière puis on suprimera la matière

      au nom de rien on supprimera l’Homme on supprimera le Nom de l’Homme Il n’y aura plus de nom Nous y sommes

      Armand Robin, 1945.


      • Adama Adama 12 juillet 2007 12:20

        Ar taverned, on va vous accuser de communautarisme ! smiley

        Cela étant dit, Guillevic est un très très grand poète français Breton.

        A-t-il écrit des poèmes en Breton ?

        A quand un article sur le plus grand, à savoir Corbière ?


        • La Taverne des Poètes 12 juillet 2007 12:27

          Adama, j’ai parlé du grand Corbière dans mon article d’hier « Brialy est Max Jacob » consacré principalement à Max Jacob parce que les articles doivent toucher à l’actualité. J’essaie cependant de couvrir la totalité des grands poètes bretons. Il reste René Guy Cadou, Xavier Grall, et les poètes d’adoption (Georges Perros, Saint-Pol Roux) mais il me faudra trouver un lien direct avec l’actu ! Je cherche. j’ai une petite piste...

          Hélas ! Corbière n’a vécu que trente années et n’a pas eu le temps d’écrire tous les chefs-d’oeuvre attendus. Mais Verlaine l’a apprécié à sa juste valeur et l’a sorti de l’ombre.


        • masuyer masuyer 12 juillet 2007 13:47

          Ne pas oublier Louis Guilloux ni Anjela Duval.

          Benn ar wech all An davarn


        • La Taverne des Poètes 12 juillet 2007 14:12

          Masuyer, les écrivains bretons sont nombreux et il faut faire un choix. J’ai préféré les poètes de langue française assez connu au-delà des frontières de l’Armorique. Louis Guilloux, il aurait fallu en parler quand la télé a diffusé, il y a quelques semaines, sa célèbre pièce de théâtre « Le sang noir ».

          En plus, il faut que les articles accrochent le lecteur du web que la culture mondialisée n’incite pas à venir voir ce qui se passe dans nos régions.


        • La Taverne des Poètes 12 juillet 2007 14:15

          - poètes
          - de langue française
          - assez connu au-delà des frontières de l’Armorique
          - et 4 ème condition : décédé ! Sans quoi il y aurait trop de choix et des jaloux. smiley


        • masuyer masuyer 12 juillet 2007 14:15

          La Taverne,

          il faut savoir ne pas toujours accrocher le lecteur, sinon je ne vois pas l’intérêt du « média citoyen ».

          Désolé


        • La Taverne des Poètes 12 juillet 2007 14:22

          Moi, je dis qu’au contraire il faut chercher à accrocher le lecteur mais pas par tous moyens ni sur des sujets trop ressassés ou trop raccoleurs. Il faut l’accrocher pour lui faire découvrir autre chose. Les trois poètes présentés dans cet article sont incroyables de vie et étonnants par leurs personnalités. Il faut mieux les faire connaître. Les trois poètes précédents « voir mon article d’hier »Brialy est Max Jacob) aussi. Ce n’est pas « Emile Schombier, ma vie, mon oeuvre ». Ce sont des grands !

          Il faut accrocher le lecteur par le col et lui dire : regarde par ici ! Après il fait ce qu’il veut. Il va troller sous le dernier article people ou politique, c’est son choix...


        • La Taverne des Poètes 12 juillet 2007 13:25

          L’homme qui jamais n’eut personne pour lui (extrait)

          « Si quelqu’un vous a volé, Dites-lui : »Il me reste encore ceci que vous n’avez pas volé. Vous êtes très négligent, venez me le voler."

          Si quelqu’un, très affaibli de mal, vous fait du mal, Demandez-lui de vous faire davantage de mal Pour que vous puissiez lui faire davantage non-mal. Quiconque veut vous détruire, Dites-lui : « Je veux vous reconstruire ! » Si vraiment il est trop faible, aidez-le à vous faire du mal.

          Armand Robin, « Le monde d’une voix ».


          • Marie Pierre 12 juillet 2007 13:40

            Ah ! J’attendais bien un article sur Guillevic... Certains poèmes ont été mis en musique par Hélène Martin et le Morbihan célèbre son poète qui ne parlait pas breton.

            Sa ressemlance avec R. Hue ? on pourrait plutôt dire l’inverse vu la différence d’âge.

            Bon, un lien sur la chanson vannetaise


            • La Taverne des Poètes 12 juillet 2007 14:07

              Marie-Pierre, merci pour les liens . Je découvre.

              C’est la revue « Lire » qui a évoqué cette ressemblance avec Robert Hue et je l’ai relayée pour être bien dans l’actu (comme c’est un journal ici). Ou plutôt dans l’act’Hue ! C’est vrai que le petit Hue était encore en culottes courtes quand Guillevic écrivait déjà et était au P.C.


            • La Taverne des Poètes 12 juillet 2007 22:01

              Merci Marie-Pierre d’avoir répondu à la question posée par Adama en disant « le Morbihan célèbre son poète qui ne parlait pas breton ».


            • La Taverne des Poètes 12 juillet 2007 14:39

              "Le coeur de l’homme, je veux l’apprendre en russe, arabe, chinois. Pour le voyage que je fais de vous à moi Je veux le visa De trente langues, trente sciences.

              Je ne suis pas content, je ne sais pas encore les cris des hommes en japonais.

              Je donne pour un mot chinois les prés de mon enfance, le lavoir où je me sentais si grand."

              Armand Robin, « Le monde d’une voix » (« Signes des hommes », extrait)


              • La Taverne des Poètes 12 juillet 2007 20:29

                Que faire de ce plein jour ? Vienne une nuit d’ombres amies Où nul tyran ne puisse m’épier !

                Je veux parler ! au plus humble je veux parler ! Les pleurs de l’homme à neuf m’ont créé, Les temps, les lieux Petit Poucet de la Charité, je laisse mes chants Derrière moi d’arbre en arbre au fond des bois tomber.

                Armand Robin, « Fifres, trompettes... » extrait.


                • Marsupilami Marsupilami 13 juillet 2007 18:42

                  @ Taverneux

                  Merci pour avoir essayé de faire découvrir l’immense Armand Robin, un poète visionnaire à la fois humble et fabuleux.

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