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Le Cercle des Poètes disparus : « sucer toute la moelle secrète de la vie »

« Deux routes s’offraient à moi, et là, j’ai suivi celle où on n’allait pas, et j’ai compris toute la différence. » (Robert Frost, "The Road Not Taken", 1916).

Le Cercle des Poètes disparus

Carpe diem, quam minimum credula postero ! Exaltation de l’individualisme (choisir sa voie), promotion de l’épicurisme par ce vers d’Horace (jouir du temps présent), en clair, faire de sa vie une vie riche et intense, unique et trépidante. Bref, comme disait le philosophe Henry David Thoreau, « sucer toute la moelle secrète de la vie » ("Walden ou la vie dans les bois", 1854). C’est un peu ce genre de message que cherche à faire passer le film américain de Peter Weir, "Le Cercle des Poètes disparus" ("Dead Poets Society" aux États-Unis), sorti dans les salles en France il y a trente ans, le 17 janvier 1990 (sorti aux États-Unis le 9 juin 1989). Avec une musique de Maurice Jarre.

Inutile de dire que ce film est devenu un "film culte", une expression qu’on met généralement à toutes les sauces et souvent galvaudée, mais ici, elle garde son sens. Ce fut un véritable phénomène de société. Sortir des sentiers battus, s’épanouir, vivre libre, rejeter le conformisme ambiant. Opération rentable pour les producteurs puisque, à partir d’un budget de près de 16 millions et demi de dollars, les recettes ont été de 236 millions de dollars dans le monde (dont 96 millions de dollars rien qu’aux États-Unis), ces informations pour donner la mesure du grand succès commercial du film.

Ce film pourrait être considéré comme un peu léger, tant l’exaltation ressortie aujourd’hui pourrait être un peu périmée, un peu surannée. Il y a même des scènes que j’appellerais "culturellement violentes" et intellectuellement scandaleuse, comme lorsque le professeur de littérature arrache les pages d’un manuel scolaire. Certes, au nom de la liberté de création, il n’apprécie pas le formalisme d’écriture de la poésie qui y est traité (moins non plus) mais faut-il pour cela détruire l’œuvre d’un autre auteur ? Comme si les autodafés ne faisaient pas référence à d’autres faits nauséeux dans l’histoire récente ?

On peut donc évidemment maugréer et mépriser ce succès comme la plupart des succès cinématographiques, le sentiment d’être embarqué dans une sorte de manipulation géante avec dose de moraline et stock de mouchoirs en papier.

Mais imaginez-vous à l’âge de ces personnages, étudiant d’une vingtaine d’années, quand vous avez regardé pour la première fois ce film. Vous étiez plutôt heureux de regarder un film sur le sujet, sur les étudiants, sur les études en général, ils sont plutôt rares et il y a un phénomène naturel d’identification. Chaque étudiant du film a son caractère, vous pouvez choisir celui qui vous est le plus proche.

L’institution est très rigide, c’est une école à la discipline très stricte et à la réputation excellente (l’une étant la conséquence de l’autre, ou la cause). Il y a l’étudiant timide (Todd Anderson joué par Ethan Hawke), il y a au contraire celui qui est leader, sûr de lui, qui découvre l’amour et le théâtre (Neil Perry joué par Robert Sean Leonard). Et puis évidemment, il y a le professeur de littérature, John Keating, admirablement interprété par Robin Williams.

Peut-être d’ailleurs ne le connaissiez-vous pas auparavant, cet acteur ? Vous aviez peut-être "raté" sa prestation mémorable dans "Good Morning, Vietnam" (sorti en France le 7 septembre 1988) et c’était encore trop tôt pour regarder "Madame Doubtfire" (sorti en France le 9 février 1994) ou encore "Jumanji" (sorti en France le 14 février 1996).

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Robin Williams a été l’étincelle de ce film, éblouissante, irradiant les autres (jeunes) acteurs et le public, mais malgré sa nomination, il n’a pas été récompensé par un Oscar (le film a eu l’Oscar 1990 du meilleur scénario écrit par Tom Schulman et le César 1991 du meilleur film étranger en France). Il a eu un Oscar (du meilleur oscar dans un second rôle) en 1998 pour "Will Hunting". L’acteur pourtant synonyme de vie dans son rôle de Keating s’est suicidé il y a cinq ans, le 11 août 2014 à son domicile californien, plongé dans une grande dépression.

Ce n’était pas ce suicide qui vous a ému en regardant "Le Cercle des Poètes disparus", mais celui de Neil Perry qui voulait faire du théâtre et qui était trop impressionné par son père pour le lui avouer ou plutôt, pour le justifier, car son père tient absolument à ce qu’il fasse des études de médecine à Harvard. John Keating, ancien membre influent d’une ancienne organisation secrète, va conduire ses élèves ébahis à faire renaître cet ancien Cercle des Poètes disparus avec tous les rites d’une société secrète, réunions la nuit (contre le règlement de l’école), lectures de poèmes, etc.

Les méthodes pédagogiques de John Keating ont évidemment été peu comprises de ses collègues et surtout, de son directeur, M. Nolan, joué par l’acteur Norman Lloyd qui est sans doute l’acteur américain le plus âgé du monde puisqu’il est toujours vivant alors qu’il est né le 8 novembre 1914 (il vient d’avoir 105 ans), deux ans plus âgé que Kirk Douglas (Norman Lloyd a réalisé quelques épisodes de la série de son ami Alfred Hitchcock).

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Ce directeur renvoie l’enseignant original considéré comme le responsable indirect de la mort de Neil Perry, qui, en lui insufflant le vent de la liberté, s’est trouvé partagé entre l’obéissance et le respect dus à son père et l’envie et le besoin de suivre sa voie personnelle. Ce renvoi est possible à cause de lettre de dénonciation de ses élèves. À ce moment de l’histoire, on a un nœud de trahison ou fidélité, qui est quasiment le clivage entre collaboration et résistance.

Vous comprenez vite que, étudiant comme Neil Perry et Todd Anderson, si, quelques mois avant d’avoir regardé ce film pour la première fois, vous aviez vécu un deuil particulièrement traumatisant d’un camarade de promo, forcément, vous seriez alors peut-être très ému par ces quelques minutes de sentimentalisme à la fin du film. Vous revivriez alors votre cauchemar collectif en direct devant un écran géant, les gouttes de larmes glissant sur les joues. Tout serait remonté. Tristesse, sentiment d’injustice, d’impuissance et de colère.

C’est ce choc géant, cet écart entre cette vie à cent à l’heure, dans l’exaltation intellectuelle et collective, et même physique, et ce point de non-retour, cette irréversibilité, ce "aut cesar, aut nihil" si suicidaire dans les jeunes esprits. C’est ce fossé du retour au réel, entre grande illusion et brutal mur des réalités qui se confond au mur des lamentations, qui tétanise le cœur. Vous en viendriez peut-être jusqu’à vous dire que finalement, rentrer dans le rang, faire ce qu’on vous demande, gentiment, sagement, sans se poser de question, rester dans le conformisme confortable d’une vie déjà toute tracée par d’autres, vos parents, vos professeurs, vos amis, serait le moindre mal, moindre mal que le nihilisme total, angoissant et surtout, inutile. En clair, la tombe.

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Et si vous vous étiez identifié à Todd Anderson, vous en ressortiriez renforcé, de cette séance de cinéma si prégnante, avec plus d’audace et de courage à affronter la vie, et prêt à vous hisser les pieds sur la table pour crier "Ô Capitaine ! Mon Capitaine !", les jambes certes un peu tremblotantes.

Cette devise du Cercle, à l’origine, est le titre d’un poème de Walt Whitman pour rendre hommage à Lincoln après son assassinat en 1865 :

« Ô Capitaine ! Mon Capitaine ! Notre effroyable voyage est terminé.
Le vaisseau a franchi tous les caps, la récompense recherchée est gagnée.
Le port est proche, j’entends les cloches, la foule qui exulte,
Pendant que les yeux suivent la quille franche, le vaisseau lugubre et audacieux.
Mais ô cœur ! cœur ! cœur !
Ô les gouttes rouges qui saignent
Sur le pont où gît mon Capitaine,
Étendu, froid et sans vie. ».


Aussi sur le blog.

Sylvain Rakotoarison (12 janvier 2020)
http://www.rakotoarison.eu


Pour aller plus loin :
"Le Cercle des Poètes disparus".
Robin Williams.
Suzy Delair.
Michel Piccoli.
Gérard Oury.
Pierre Arditi.
"J’accuse" de Roman Polanski.
Roman Polanski.
Adèle Haenel.
Michel Bouquet.
Daniel Prévost.
Coluche.
Sim.
Marie Dubois.
Brigitte Bardot.
Charlie Chaplin.

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3 réactions à cet article    


  • Mélusine ou la Robe de Saphir. Mélusine ou la Robe de Saphir. 17 janvier 2020 11:28

    Je pense surtout au suicide de l’acteur qui n’a pas réussi à sucer la substantifique moelle,....de la vie.


    • Jjanloup Jjanloup 17 janvier 2020 17:22

      Magnifique symbole, magnifique film, magnifique acteur...


      • scorpion scorpion 18 janvier 2020 10:15

        Question sucer il en connait un rayon le Rakototo.... 

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