Le compte n’y est pas !
Le conte non plus !
Désespérance.
Dans un petit village de Beauce dix conteurs se sont réunis pour rencontrer des professionnels de la production : des bibliothécaires, des producteurs de spectacles, des représentants de services culturels. Ils ont obtenu le prêt gracieux d’une salle des fêtes et, pour renvoyer l’ascenseur à la généreuse municipalité, ils proposent un spectacle gratuit le soir en clôture de leurs rencontres.
Curieux de tout et avide de rencontres, je me suis déplacé pour découvrir les différentes formes de cet art auquel je m’essaie depuis quelque temps. Je suis un spectateur parmi tant d’autres ; c’est du moins ce que j’espérais. Me promenant dans le village, je ne vois aucune affiche pour attirer le chaland, les rues sont désertes ; le risque est grand de ne pas réunir les foules !
Comme à son habitude, notre cher journal local brille par son silence. La culture régionale, les artistes du cru peuvent brûler des cierges, cela risque d’être plus efficace que les articles qui ne viendront jamais dans cet organe de presse, prompt à se faire servile pour les grosses pointures parisiennes et incapable de soutenir la création départementale. C’est si désolant que je ne cesse de m’enrager de ce comportement indigne mais je ferais mieux de pisser dans un violon : plus je m’en plains et plus je récolte mépris et indifférence de la part de ce merveilleux support de presse.
L’heure approche et la grande salle des fêtes est désespérément vide. Les gens du village ont sans doute préféré rester chez eux, bloqués devant des conneries à la télévision. « La culture, mon bon monsieur, c’est une cause perdue ». La curiosité n’est plus de ce monde, l’envie de s’élever un peu au-dessus de la médiocrité ambiante est désormais si rare …
On va me rétorquer le prix, les difficultés économiques. L'argument s’effondre : les conteurs ont proposé une entrée gratuite pour donner un peu l’envie de se déplacer à ceux qui aiment tant rester dans leurs charentaises. Nul représentant de la municipalité : la culture c’est un état d’esprit et, manifestement, ce n’est pas la tasse de thé de l’endroit. Je sais deux ou trois villages du département où la salle eût affichée complet : ils deviennent des exceptions dans un département marqué par le conservatisme et l’inculture.
Le spectacle va débuter ; nous sommes dix-sept spectateurs pour quinze artistes et organisateurs. C’est désolant ; c’est significatif d’une nation qui sombre dans la morosité, l’inculture et l’indifférence. Ce n’est pas ainsi que le nécessaire rebond aura lieu dans ce pays. Restez casanier, frileux, cossards : vous ne risquez ni la déception ni l'enthousiasme.
J’enrage, tout en constatant, impuissant, le désastre. Que faut-il faire pour bouger ces gens ? Le spectacle proposé est pourtant de nature à satisfaire le plus grand nombre ; encore faut-il n’avoir aucun préjugé, être capable d’ouverture et de curiosité, d’audace et de tolérance. Ce ne sont certes pas les qualités dominantes dans une société qui se replie sur elle, qui se perd dans des idées régressives et souvent haineuses.
Mes amis conteurs semblent ne pas soucier de l’absence de public. Ils ne trichent pas, se donnent pleinement pour les rares spectateurs présents. Ils nous entraînent dans leurs imaginaires, dans des mondes merveilleux, étranges, fantastiques ; bien loin des séries télévisées sans surprise ni inventivité. Dire qu’il n’y a pas si longtemps, nos veillées accueillaient tous les membres de la communauté villageoise.
France qu’as-tu fait de ton intelligence ? Seules les vedettes qui passent à la télévision vont faire bouger les masses. La soirée offerte ici sera sans lendemain. Demain ou dans quelques jours, des braves gens déploreront qu’il ne se passe jamais rien près de chez eux. Ils ont simplement perdu l’envie de savoir ou de découvrir et, quand il en est ainsi, le pire est à craindre.
J’ai passé un bon moment, j’ai découvert des artistes de qualité qui mériteraient de tourner dans toute la région, je devrais m’en contenter égoïstement. Je suis stupide de croire encore en l’autre, de vouloir l’élever au-dessus de sa triste condition. Je crois que la culture est de nature à nous faire ouvrir les yeux, à nous transformer, à nous placer au-dessus de la fange dans laquelle pouvoir et médias veulent nous enfermer. Mais cela est une utopie, un désir absurde : le temps est à l’embrigadement, à la peur à la stupidité. Ne changez rien ; vous y êtes presque. Votre compte est bon !
Casanièrement vôtre.
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