« Le Démon de Hannah »

Si la passion ayant accouplé Hannah Arendt et Martin Heidegger dans les années 25 pouvait, soudain, ressusciter dans les années cinquante, après tout ce qui s’était passé entre deux, Elsa Zylberstein et Didier Flamand se posent, en comédiens engagés sur les planches, la question idéologique qu’Antoine Rault, l’auteur et Michel Fagadau, le metteur en scène, ont tenté de conceptualiser et théâtraliser à cet égard.
Tout d’abord le décor, deux cubes juxtaposés symbolisent côté cour, le Berlin dévasté d’après-guerre, côté jardin, le New-York triomphant de l’« American way of life ».
Dans l’un, Hannah face à son mari (Jean-Marie Galey) alors que dans l’autre, Martin opposé à son épouse (Josiane Stoleru), se préparent aux retrouvailles des deux ex-amants qu’il va, ainsi, falloir expliciter aux partenaires respectifs, en justifiant, professionnellement, cette rencontre et, ainsi, la rendre crédible, vingt-cinq années plus tard, dans une petite chambre d’hôtel à Berlin.
L’étudiante et disciple étant devenue l’égale du maître sur le plan philosophique ; l’une étant désormais reconnue par ses pairs, l’autre en situation d’interdiction d’enseigner, vont se retrouver comme aimantés par une force indicible, en état d’implosion implicite.
Ce n’est pas tant la différence d’âges, qui s’est nécessairement accusée, que la dialectique des motivations et reproches qui servira de tremplin à cet élan d’amour-haine que le temps n’aura fait qu’exacerber.
Ainsi, au coeur du conflit amoureux, se dresse comme une montagne infranchissable, l’adhésion au National-Socialisme et ses lois anti-juives auxquelles Martin Heidegger se défend d’avoir souscrit si ce n’est par simple échappatoire administrative.
Comment donc restaurer une confiance apparemment trahie au nom des serments fusionnels d’antan ?
En tout cas, ce n’est pas Madame Heidegger qui sauvera des cendres, le souvenir de cette passion intransgressible, car telle une diablesse sortant d’une boîte à mauvaises surprises, celle-ci fera irruption, dans la chambre des amours retrouvés, pour vider le sac des tromperies et autres lâchetés conjoncturelles que Martin, son mari ne semblera pas en mesure de récuser.
Didier Flamand se présente effectivement fort touchant dans la sincérité des sentiments contrariés ; face à ce débordement maîtrisé, Elsa Zylberstein apparaît sur un fil d’équilibriste qui tantôt sermonne, tantôt abandonne le quant-à-soi pour s’en remettre à un jeu instinctif où se discerneraient des enjeux contradictoires, dirigés à l’emporte-pièce par Michel Fagadau.
Ainsi, au vu des premières représentations, la comédienne, dans son souci d’identification au personnage, semble se faire la proie consentante d’une forte interrogation subjective.
Gageons, dans cette perspective, que le démon d’Elsa serait une feinte ingénieuse de l’Actor Studio.
photos affiche © Pascalito
LE DEMON DE HANNAH - *** Theothea.com - de Antoine Rault - mise en scène : Michel Fagadau - avec Elsa Zylberstein, Didier Flanand, Josiane Stoleru & Jean-Marie Galey - Comédie des Champs Elysées
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