Le Hobbit : un succès attendu mais un naufrage artistique prévisible
Retour sur Le Hobbit : Un Voyage Inattendu, premier épisode d'une toute nouvelle trilogie adaptée de l'œuvre de J.R.R. Tolkien et labellisée Peter Jackson. Le film est sur le point d'atteindre le milliard de dollars de recettes à l'échelle du monde entier. Mais faut-il pour autant se réjouir de ce retour de Peter Jackson en Terre du Milieu ?
De l'eau a coulé sous les ponts depuis l'immense trilogie Le Seigneur des Anneaux au cinéma. Et Peter Jackson a pris dix ans. Nous espérions voir la Terre du Milieu fidèle à elle-même mais réinventée ? Nous nous sommes retrouvés devant un film paresseux reprenant les ressorts de la précédente trilogie, mais en beaucoup moins bien. Du réchauffé, rien de plus. Et surtout, nous avons découvert d'un oeil attristé un pseudo-film de guerre trahissant l'essence même du roman d'origine…

There and back again. Retour en Terre du Milieu. Adaptée du célèbre roman de J.R.R. Tolkien paru en Grande-Bretagne en 1937, l'histoire se penche cette fois-ci sur les aventures de Bilbon, le Hobbit par qui tout a commencé. C'est en effet Bilbon qui, au cours de son périple, croisa par hasard le chemin de Gollum et lui déroba l'anneau fabriqué des siècles auparavant par Sauron. C'est aussi Bilbon qui ramena le « précieux » à la Comté pour le transmettre quelques décennies plus tard à son neveu, un certain Frodon, provoquant du même coup le départ de celui-ci pour un voyage initiatique amené à changer le cours de l'Histoire de la Terre du Milieu. Tout cela par un concours de circonstances.
Un peu d'histoire
Également par une sorte de concours de circonstances, c'est en fin de compte Peter Jackson, réalisateur de la trilogie Le Seigneur des Anneaux au cinéma, qui prend les commandes du projet Le Hobbit. A l'origine, ce dernier devait être réalisé par Gillermo del Toro, auteur du magnifique Le Labyrinthe de Pan, et aurait dû prendre la forme d'un seul et unique film, dont Peter Jackson aurait été le producteur. Le problème, c'est qu'une partie des droits est alors détenue par la MGM. Or, au cours de l'année 2009, alors que la préparation du film est en pleine ébullition, la situation de la MGM se dégrade considérablement pour se solder par une faillite. Le projet est alors constamment reporté pour être finalement mis en suspens. Pendant quelques mois, l'avenir de Le Hobbit apparaît sérieusement compromis, tout comme celui de Skyfall, le dernier James Bond, qui se trouve pris dans la même tourmente. A la mi-2010, Guillermo del Toro, qui a beaucoup travaillé sur les croquis préparatoires du Hobbit, n'en peut plus de ces multiples reports et déclare forfait. Plus tard, Le Hobbit revient à l'ordre du jour. Mais il lui manque son réalisateur, parti se consacrer aux Aventures de Tintin aux côtés de Spielberg.
Ainsi, lorsque le projet revient sur les rails, Peter Jackson n'a d'autre choix que de le diriger lui-même. A contrecœur semble-t-il. Peut-être était-il lucide sur lui-même : en dix ans, de l'eau a coulé sous les ponts et le cinéaste a eu le temps de tourner la page. Mais il se motive et s'attèle à parachever le montage du projet. Débute alors pour lui un parcours semé d'embûches : entre les multiples reports cités plus hauts, le boycott orchestré par le syndicat néozélandais des acteurs pendant le tournage, l'incendie d'un atelier du studio… Peter Jackson a de quoi se faire des cheveux blancs. En janvier 2011, il fait d'ailleurs un détour par l'hôpital pour cause d'ulcère !
Dans ces conditions, faut-il blâmer le cinéaste s'il n'a pas su retrouver la flamme ? Bien sûr que non. Mais on ne s'étonnera pas de découvrir un film à l'image de son processus de production : chaotique et sans passion.
La même chose, mais en moins bien
Oubliez la poésie qui imprégnait la découverte de la Terre du Milieu à travers les yeux émerveillés de Frodon. Oubliez les chevauchées mythologiques des cavaliers noirs, la poésie des paysages grandioses cerclant Fondcombe tel un écrin fantastique, les majestueuses galeries souterraines de la Moria, les arbres surnaturels aux reflets hypnotiques de la forêt de la Lorien. Oubliez les images bibliques de Gandalf et des Rohirrims fondant sur les Orcs dans le Gouffre de Helm, l'arrivée en fanfare des oliphants sur les champs de Pelennor. Bref, oubliez le lyrisme qui frappait l'imagination dans la saga du Seigneur des Anneaux. Enfin presque… Car les décors et accessoires de la trilogie d'origine sont bel et bien ré-exploités dans Le Hobbit : Un Voyage Inattendu. Mais la première déception qui saisit tout fan de la trilogie qui se respecte, c'est la tentative de rejouer à peu près tous les moments phares qui ont fait le succès du premier opus, La Communauté de l'Anneau, au début du millénaire. Les rejouer, oui, mais en beaucoup moins bien !
There and back again. On espérait s'immerger dans une Terre du Milieu réinventée, on se retrouve dans une pâle copie du monde dépeint dans Le Seigneur des Anneaux. Le film commence très mal en reproduisant dès son introduction le procédé narratif de La Communauté de l'Anneau, à savoir un rappel des faits historiques expliquant le pourquoi du comment à grand renfort d'images de bataille utilisant le logiciel Foule développé à l'époque par WETA Digital. Des images gâchées par une texture numérique trop lisse et un feu de synthèse trop visible : en 10 ans, le cinéma a évolué et les effets qui rendaient superbement avec la texture d'image de l'époque n'offrent pas du tout un rendu aussi élégant avec les procédés d'aujourd'hui. De plus, il est difficile de ne pas se sentir irrité par cette redite, comme par toutes celles qui vont suivre : grands travelings aériens sur la compagnie marchant dans des paysages grandioses, plans lumineux sur Fondcombe avec exactement la même musique que dans La Communauté de l'Anneau, scène-pivot du film en mode conseil de guerre… Peter Jackson va jusqu'à reproduire certains plans à l'exactitude, comme celui de Bilbon âgé, vu de dos rédigeant ses mémoires. Sauf que les effets de style qui conféraient une poésie unique à la trilogie d'origine apparaissent, dans Le Hobbit, aussi lourdingues que la troupe de mutants nains qui, au début du film, envahit le domicile de Bilbon – et que l'on sait devoir se farcir jusqu'à la fin, c'est-à-dire pendant près de trois heures. Des nains qui pour certains, épouvantables à regarder, semblent rescapés d'un mauvais téléfilm des années 80, ou qui au contraire ressemblent à s'y méprendre à des humains (comme Thorin, trop grand pour être un parent éloigné de Gimli).
Le Hobbit comme introduction au Seigneur des Anneaux : la mauvaise idée du film
Mais faut-il vraiment chipoter sur le design des nains ? En vérité, ces derniers ne semblent nullement avoir intéressé Peter Jackson. Pas plus que Bilbon, d'ailleurs. Soulignons à ce titre que pour un film qui s'intitule Le Hobbit, Bilbon s'avère étonnamment absent de la plupart des scènes clés. Dommage car avec ses yeux expressifs lui conférant un capital sympathie immédiat, Martin Freeman se révèle parfait dans le rôle et prend joliment le relai d'Elijah Wood, sans l'imiter. L'oncle de Frodon ne ressort que dans sa confrontation avec Gollum, l'une des meilleures scènes du film même si elle aurait gagné à bénéficier d'une atmosphère plus marquée et surtout à ne pas être interrompue par les bavardages insensés du chef Gobelin qui, pendant ce temps, retient les nains prisonniers. Un chef gobelin tout puant qui semble quant à lui semble tout droit sorti d'un dictionnaire médical.
De toute manière, Peter Jackson est bien trop occupé à imposer Le Hobbit comme une véritable préquelle au Seigneur des Anneaux pour se consacrer au développement de ses personnages.
Or c'est précisément cette volonté de faire le lien entre les deux sagas qui plombe le film et trahit l'œuvre d'origine. En choisissant d'étirer l'histoire sur trois longs métrages, non seulement Peter Jackson s'égare dans des ajouts inutiles et barbants, mais il perd de vue l'essence du roman. Surtout que les trois longs métrages risquent fort de durer 3h chacun : ce qui représentait une prise de risque et une marque de liberté dans la première trilogie devient ici un canevas imposé.
L'autre choix critiquable, car trahissant l'œuvre d'origine, est celui du genre. De par son univers complexe et ses joutes guerrières, la trilogie littéraire du Seigneur des Anneaux appartient bel et bien au genre de l'heroic fantasy. Mais il n'en va pas de même pour le roman Bilbo le Hobbit, conte merveilleux et plein d'humour destiné au jeune public et s'étalant sur à peine plus de 300 pages. Certes, l'apparition de l'Anneau augure des conflits qui éclateront dans la trilogie écrite par la suite par J.R.R. Tolkien et publiée dans les années 50. Mais il y a fort à parier que l'auteur, qui avait la réputation d'inventer au fil de l'écriture sans faire de synopsis précis au préalable, n'avait à l'époque pas encore une idée précise de l'intrigue du Seigneur des Anneaux, les deux histoires prenant racine dans un univers en perpétuel développement depuis les premiers récits qu'il rédigea dans les tranchées pendant la Première Guerre Mondiale.
Ainsi, lorsque Bilbon rencontre Gollum et découvre l'Anneau, les jeux ne sont pas encore faits et tout peut arriver. La dimension maléfique de l'Anneau est déjà perceptible à travers la noirceur de Gollum, mais le récit conserve une certaine innocence et ne ressemble pas franchement à une épopée guerrière, si ce n'est dans son final. A ce stade, ni Bilbon ni même Gandalf ne se doutent de l'impact de la réapparition de l'Anneau. La voix profonde de Galadriel l'explique très bien dans l'introduction du film La Communauté de l'Anneau : « Mais il advint un événement que l'Anneau n'avait pas prévu. Il fut récupéré par la plus improbable des créatures. Un Hobbit. Bilbon Sacquet de la Comté ».
La découverte de l'Anneau par Bilbon a tout de l'accident du destin, et c'est ce qui fait son intérêt. Un intérêt que Peter Jackson, Fran Walsh et Philippa Boyens, scénaristes du film, ont complètement perdu de vue dans Le Hobbit : Un Voyage Inattendu.
Dès lors, si l'on aborde la saga sous l'angle « historique », une scène comme celle du conseil de guerre ajoutée au milieu du film Le Hobbit : un Voyage Inattendu, relève de l'anachronisme le plus total – en plus d'être excessivement ennuyeuse et répétitive par rapport au Conseil d'Elrond dans La Communauté de l'Anneau. Au passage, pourquoi infliger au spectateur une scène entière dont il connaît déjà tous les tenants et les aboutissants, et qui n'a donc aucun intérêt (en plus de faire apparaître Galadriel comme une parfaite malpolie qui n'écoute pas ce que disent ses interlocuteurs) ?
Bilbo le Hobbit entretient certes un lien puissant avec Le Seigneur des Anneaux, mais ne saurait se résumer au statut d'introduction à la trilogie qu'il a acquis a posteriori. De ce fait, il était primordial de respecter le format d'origine et donc de faire de son adaptation filmique un one shot. C'est d'ailleurs ce qui était prévu au départ, avant que les impératifs financiers n'en décident autrement - il fallait bien rentabiliser ces retards - et que le projet ne prenne la forme d'abord d'un diptyque puis d'une nouvelle trilogie. Outre la perte d'insouciance découlant de ce parti-pris, le format a pour conséquence logique un rythme poussif et une lourdeur que l'on ne parvient à oublier que le temps de deux ou trois scènes. Pour le reste, Le Hobbit se subit sans réel déplaisir mais sans aucune passion – et a fortiori sans nécessité d'être revu. There and back again ? Pas cette fois-ci.
Bref, quand on a rêvé devant la trilogie du Seigneur des Anneaux, il y a de quoi être attristé par ce premier opus de Le Hobbit. Le pire, c'est que le film étant un succès commercial incontestable (déjà 287 M$ de recettes aux USA et plus de 600 M$ dans le reste du monde), il n'y a aucune raison que ses instigateurs se remettent en question.
Elodie Leroy
PS : cet article a été rédigé après une projection en 2D du film Le Hobbit : un Voyage Inattendu.
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