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Accueil du site > Culture & Loisirs > Culture > Le langage sans bagage

Le langage sans bagage

Segpa ... Utile

Passée cette limite, votre ticket n'est plus valable.

Chaque jour, je déplore le glissement langagier qui touche les chers élèves que j'ai l'honneur de prendre en charge. Bien sûr, le public avec lequel je travaille n'est pas représentatif de la jeunesse de ce pays, et c'est tant mieux. Néanmoins, il atteste d'une tendance qui concerne un nombre non négligeable de jeunes mais aussi d'adultes, incapables de saisir les nuances de la langue.

Pire, ces élèves-là ont perdu totalement le sens des limites. Pour une proportion significative d'entre eux, les niveaux de langue ne sont plus identifiables. Le juron, la grossièreté, le terme scatologique ou indécent, tout cela est prononcé ouvertement, sans retenue ni compréhension de la transgression qu'ils supposent.

Il faut les écouter pour comprendre l'horreur ordinaire de ce langage sans bagage, de cette langue sans barrière. Combien de fois pouvons-nous entendre non seulement dans la cour de récréation mais encore en classe, ce terrible et effroyable « Ça me casse les couilles ! » qui est devenu formule incontournable de l'exaspération ! Garçons et filles, de manière indistincte, recourent à cette magnifique métaphore si explicite. Imaginez l'effet de ce genre de réplique dans le monde professionnel !

Je vous ferai grâce des autres abjections émaillant les interventions indésirables qui jalonnent nos journées. Les invectives sont monnaie courante ; elles se plaisent à qualifier les mères, toujours aussi peu respectées quand il s'agit de celles des autres. C'est devenu d'une telle banalité que nous ne prenons même plus la peine de relever cette indignité absolue.

Car, voyez-vous, si vous osez une remontrance, le locuteur distingué vous répond « Mais on rigole ! » Comme si, banaliser de telles insultes était inodore et incolore ! Les immondices s'accumulent sur des langues chargées de jurons et de gros mots. Il n'y a plus de place pour des mots ordinaires, mots justes, révérencieux.

Je dois avouer que cette langue ne s'embarrasse plus des fioritures de la grammaire et de la syntaxe. Il faut aller à l'essentiel par le chemin le plus court. Ces jeunes gens se font les champions de la concision et de l'économie. Le lexique moyen est limité au minimum et comporte maintenant bien plus de mots bancals que de termes savants.

La pauvreté langagière condamne plus sûrement encore que l'absence de diplôme, même s'il y a forcément une corrélation entre les deux maux. Comment sortir de ce trou noir du vocabulaire nauséeux, servi avec un accent de quartier qu'il n'est pas possible d'évacuer ? Nous avons perdu la bataille des mots et de la langue. C'est la première raison de la faillite de notre système scolaire.

Naturellement, quand la langue n'est plus que le véhicule de la haine, de la violence, de la médiocrité, il n'est pas étonnant que l'apaisement soit désormais impossible. Une telle cacophonie empêche d' installer dans la classe, la concentration et l'écoute, le respect et le calme qui conviendraient à un véritable travail.

Le brouhaha est la règle, l'explosion sonore, l'issue la plus probable au bout de quelques heures de ce régime insensé. Le niveau de décibels est incroyablement élevé ; on ne murmure plus, on gueule sans jamais écouter l'autre ou même le professeur, obligé de répéter dix fois la même consigne sans la certitude qu'elle soit entendue et surtout comprise.

La langue est devenue une arme de destruction massive pour des pans entiers de nos cohortes scolaires. Les parents et les modèles sociaux parlent cette langue excrémentielle qui est devenue la référence de bien des adolescents. Ce que l'on qualifie de socle commun se gargarise de compétences qui ne sont tout simplement plus atteignables par des élèves pris dans ce tourbillon tragique. Je vous dispense du commentaire sur la langue écrite qui, dans bien des cas, n'est simplement plus lisible, voire indéchiffrable par son auteur lui-même.

Le discours officiel sur l'école occulte cette réalité, pourtant si présente sur les copies mais que des consignes strictes recommandent aux correcteurs d'éliminer, lors des examens. Il faut faire semblant, maintenir des statistiques qui créent une totale illusion. L'école ne fait plus son travail sur les fondamentaux de la langue avec la complicité active et hypocrite de notre administration.

Mais qu'importe ! La langue étant un enjeu de pouvoir, la situation actuelle arrange les tenants d'une société à plusieurs vitesses dont les enfants sont bien protégés. Le constat que je vous impose une fois encore, concerne uniquement ceux qui sont destinés à devenir la variable ajustable du chômage et des petits boulots. Tout va bien ! Monsieur Peillon mène une réforme indispensable pour la jeunesse, priorité du président actuel ! Ceux qui me préoccupent ici, échappent totalement à la connaissance de ces grands hommes car ces derniers n'ont certainement jamais mis les pieds dans l'une de nos classes !

Vulgairement leur.


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35 réactions à cet article    


  • Laurenzola Laurenzola 27 novembre 2013 11:47

    Ces jeunes au langage grossier sont vraiment casse-couille.


    • L'enfoiré L’enfoiré 27 novembre 2013 12:36
      • Ah ! dit-il exaspéré, tu me casses les couilles.  (Jean-Paul SartreLa mort dans l’âme, Gallimard, 1949, p. 152)
      • Si nos vies sont aussi tristes, c’est à cause de la pluie qui toujours tombe, et de ce putain de vent du nord qui mouille et qui nous casse les couilles.  (Bernard Suisse, Motus et babouches cousues, Le Manuscrit, p. 218)

    • C'est Nabum C’est Nabum 27 novembre 2013 12:39

      L’enfoiré


      Entre une exception littéraire et une pratique exclusive et permanente, il y a une marge.

    • Prudence Gayant Prudence Gayant 27 novembre 2013 14:40

      Ah bahhhhhhhhhmincealors si l’Enfoiré ne peut plus rigoler là !!


    • C'est Nabum C’est Nabum 27 novembre 2013 12:00

      Laurenzola


      Il est aisé de s’en moquer quand on maîtrise les différents niveaux de langue

      Vous ne vous rendez pas compte qu’ils ne le peuvent pas et parlent ainsi dans toutes les circonstances. C’est beaucoup moins facile ...

      • Prudence Gayant Prudence Gayant 27 novembre 2013 14:51

        La faute à qui ??? A Vincent Peillon qui ne viendra jamais leurs enseigner la langue de Molière tiens ! 

        ON se couche comme on fait son lit ou à peu près. Qui a appris à vos enfants à bien parler ?
        Vos élèves de segpa sont exécrables, vous rejetez à chaque fois la faute sur les autres. 
        Je dirai que c’est la vôtre puisque vous êtes leur professeur à vous donc de les éduquer. 
        Voyez-vous depuis la rentrée scolaire une lueur d’intelligence ou une envie réelle de travailler briller dans leurs yeux ? 
        Que feront-ils en quittant le segpa ? ils pleureront de regrets d’avoir perdu leur ultime chance d’apprendre ? ou s’en prendront-ils une fois de plus à la société qui refuse de leur donner un diplôme d’ingénieur comme on achète un appareil à X euros ?
        Chacun de balayer devant sa porte s’en pour autant aller « emprunter » le balai du voisin.
        Pas de réponse bateau de la Loire pour une fois, merci.

      • L'enfoiré L’enfoiré 27 novembre 2013 12:33

        Le Dictionnaire de Laurent Baffie

        C’est aussi décoiffant.

        Si ce n’était que les cohortes scolaires...
        Chez les grands, on appelle cela des « noms d’oiseaux »
        C’est-y pas beau comme formule ?
        Ce n’est pas les mots qui sont en cause, mais ce qu’ils représentent dans l’esprit de celui qui les reçoit sans préparatif. 
         

        • C'est Nabum C’est Nabum 27 novembre 2013 12:38

          L’enfoiré


          Les mots blessent et parfois ils tuent

          On évoque le harcèlement à l’école, la grande nouveauté c’est qu’il ne s’arrête plus avec le téléphone et internet des monstres peuvent harceler un camarade vingt quatre heures sur vingt quatre.
          Et les mots sont orduriers
           
          S’il la victime est habituée, elle ne sera jamais préparée à supporter celà

        • L'enfoiré L’enfoiré 27 novembre 2013 13:50

          « S’il la victime est habituée, elle ne sera jamais préparée à supporter cela »


          Bien d’accord. 
          Quelle est la différence par rapport à avant ?
          Simple, il n’y avait que la radio et la télé comme médias et, le langage était surveillé entre le couple de parents.
          Les enfants sont comme des perroquets. Ils n’inventent rien, ils enregistrent, c’est tout. 

        • claude-michel claude-michel 27 novembre 2013 13:02

          Je me pose une question sur votre intéressant billet...Comment peut il y avoir autant de diplômés en fin d’année..avec aussi peu de mots dans leur vocabulaire..(sans parler des gros mots)... ?


          • C'est Nabum C’est Nabum 27 novembre 2013 13:05

            Claude-Michel


            Parce que les diplômes sont bradés au nom de la statistique.
            Il faut fermer les yeux, surnoter, ne plus regarder l’écriture, comprendre ce qu’ils n’ont pas toujours voulu dire ... Ce sont les consignes officielles pour cacher la misère.

            Et désormais à l’université on organise de sessions de mise à niveau ... (Pourtant ils ont tous leur bac ???)

            Voilà la triste vérité

          • claude-michel claude-michel 27 novembre 2013 13:30

            Par C’est Nabum ....C’est bien triste d’en être arrivé là..et la dégradation continue hélas.. !

            Jusqu’ou ira t elle..nous sommes au fond du trou.il me semble.. ?

          • C'est Nabum C’est Nabum 27 novembre 2013 13:40

            Claude michel


            Au fond du trou on a encore la possibilité de creuser.

            Nous en sommes là ...

          • claude-michel claude-michel 28 novembre 2013 07:53

            Par C’est Nabum ....heu je disais que nous étions « Au fond du trou »....donc il n’y a plus de possibilité de creuser.. ?..il me semble...


          • L'enfoiré L’enfoiré 27 novembre 2013 14:02

            Cher Nabum,

             En tant qu’enseignant, vous devez vous souvenir que vous devez préparer le futur d’un jeune et pas son passé. L’enseignement est toujours en retard d’une guerre avec ses programmes.
             Si les mots ont changé d’épaisseur et de sens profond, c’est parler de leur dérapage non contrôlé, de leur non réajustement, après une remise en contexte qui lui aussi changé.
             Poser leur la question, à vos élèves de manière candide, du pourquoi ils ont utilisé une formule plutôt qu’une autre, plutôt que de tenter d’imposer votre formule qui n’est plus dans le coup et donc ringarde.
             Les mots tuent, c’est évident, parce qu’ils sont lourds de passé, mais manquent d’avenir.


            • C'est Nabum C’est Nabum 27 novembre 2013 14:09

              L’enfoiré


              Alors il me faut changer de métier !


            • L'enfoiré L’enfoiré 27 novembre 2013 14:25

              C’est bien possible ou retourner sur les bancs de l’école pour voir comment cela se passe, de l’autre côté du miroir. 


            • L'enfoiré L’enfoiré 27 novembre 2013 14:31

              Vous avez pu lire ce qu’il y avait dans la vidéo :


              Une école qui dispense de façon plaisante un enseignement efficace, ça existe ? Dans une école de confession protestante en plein cœur de Berlin, la « evangelische Schule Berlin-Zentrum », ce rêve est devenu réalité. C’est un modèle à suivre, même les élèves en sont convaincus. Huit d’entre eux, accompagnés de leur directrice et d’un spécialiste en neurosciences, sont allés présenter ce concept pédagogique à d’autres établissements scolaires. qui illustre le foisonnement de structures et de concepts d’enseignement en Europe : entre d’une part le cours magistral assorti de contrôles continus, source de stress permanent, et d’autre part les pédagogies alternatives sans notes et sans emploi du temps, la palette est large. Parents et élèves ont donc le choix. Mais quelle pédagogie encourage vraiment l’apprentissage ? Et peut-on se passer complètement de l’école ?


              Des questions qui n’ont rien d’anodin.


            • C'est Nabum C’est Nabum 27 novembre 2013 15:09

              L’enfoiré


              Passer de l’autre côté d’un miroir brisé n’est pas chose simple !

              Même pour un lapin bleu 

            • Xenozoid 27 novembre 2013 15:22

              il y a tellement a dire, sur la domestication, on ne sait plus ou commencer,alors on eduque le domestiqué, et on domestique l’educateur,d’une pierre 2 coups,avec les ricochet, léducation commence par les parent, mais sans victimisation,juste du regret


              • C'est Nabum C’est Nabum 27 novembre 2013 15:27

                Xenozoid


                Ne suis-je donc qu’un vulgaire domesticateur ?

                Montreur d’ours avec un fouet quo n’est même plus compris par sa ménagerie ...

              • Xenozoid 27 novembre 2013 15:35

                non, mais tu est un acteur, et face a la domestication ambiante, tu es perdu,il faudrait un changement de paradigme, pour changer « l’éducation »,tous le reste c’est de l’accompagnement, désolé

                merci pour l’effort
                je suis spw au pays bas, pédagogique social,j’ai quitté, je ne supporte plus...
                on a tous des solutions,maintenant sans casser le systeme on n’y arrivera pas


              • C'est Nabum C’est Nabum 27 novembre 2013 16:16

                Xenozoid 


                Je suis perdu ! 

              • Xenozoid 27 novembre 2013 16:37

                oui tu es perdu dans le sens , que tu ne changera pas le fait , que tu fais plus dans l’accompagnement, qu’autre chose,car si une idee germe,elle ne sera jamais seule,,vu le pouvoir tu ne peux qu’échanger un bemole, pas plus,désolé


              • C'est Nabum C’est Nabum 27 novembre 2013 16:40

                Xenozoid 


                Pourtant j’ai toujours pensé que la subversion c’était agir contre un système à l’intérieur de celui-ci.

              • Xenozoid 27 novembre 2013 16:42

                c’est a dire ? tu veux des valeur ?


              • Yohan Yohan 27 novembre 2013 16:43

                Même les filles disent maintenant « je m’en bats les couilles » c’est d’un classe....


                • C'est Nabum C’est Nabum 27 novembre 2013 16:50

                  Yohan


                  C’est la faute du professeur de biologie ! 
                  Il ne fait pas son travail 

                • Renaud Bouchard Renaud Bouchard 27 novembre 2013 19:23

                  @Cher Nabum


                  Superbe billet ! Ne désespérez pas. Il y aura une fleur qui poussera sur ce tas de décombres.

                  Que faire ?Le choix est difficile.
                  Face à la sympathique ambiance portée aux nues dans le film de L. Cantet intitulé « Entre les murs » http://www.youtube.com/watch?v=5ftLgbUXqNU, faut-il essayer la manière préconisée par K. Fukasaku dans son film intitulé « Battle Royale » ?

                  En réalité, vous êtes un héros.

                  Avec moi, ces jeunes gens disposeraient de deux mois pour lire, recopier, calligraphier, mémoriser et me réciter sans faute aucune « La Princesse de Clèves ». En cas d’erreur, ce serait, la réclusion, le temps de lire et étudier la liste complète des ouvrages suivants :

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