Le Secret du Bonheur : Vivre à Poil !
Ah ! qu’il serait bon de s’émanciper des contraintes de notre monde automatisé, de s’affranchir de toutes ces directives, de toutes ces lois, de tous ces règlements qui nous enserrent dans un étau normatif toujours plus étouffant. Ah ! qu’il serait jouissif de tourner le dos à cette société aseptisée et formatée pour vivre dans un jardin d’Eden retrouvé, nus et heureux sous un ciel immaculé...
Bref, vivre à poil en se nourrissant de fruits savoureux sous la caresse du soleil, en vivant d’amour et d’eau fraîche, loin des contingences liberticides et castratrices de la vie moderne. La nudité fait rêver. Mais attention : comme un train, un poil peut en cacher un autre...
C’est ainsi que, dans les années trente, un magistrat eut à juger en correctionnelle un homme poursuivi pour escroquerie. L’accusé avait, par le biais des petites annonces du Chasseur Français, vendu au plaignant des cartes postales représentant, dans une rue grise et banale, des villageoises à peu près aussi dévêtues que la reine d’Angleterre.
Le plaignant fut débouté, au motif, souligna le juge avec un sourire malicieux, que le vendeur, qui promettait l’envoi discret de photos de « FEMMES À POIL », avait pris le soin de rédiger son annonce en majuscules. En vertu de quoi le magistrat avait estimé que seule la concupiscence du client l’avait conduit à lire « Vends photos de femmes à poil ». Il ne pouvait y avoir eu escroquerie, estima le juge, les cartes postales représentant effectivement des « femmes à Poil ».
Car Poil existe bel et bien. Niché dans la Nièvre à 325 m altitude, non loin du Creusot et de Château-Chinon, cette modeste bourgade compte 146 habitants qui, chaque année en août, fêtent la « treuffe », nom morvandiau de la nourrissante patate. Curieusement, les autochtones ne sont pas nommés Poilus et Poilues, c’eût été trop beau, mais Pictiens et Pictiennes. Des Pictiens qui, avec l’un des plus faibles revenus annuels moyens par ménage du département ne doivent certainement pas se poiler tous les jours. Mais au moins les mâles du cru ont-ils les génitoires confortablement emballées grâce aux caleçons Au poil, nés dans le village en 2014 à l’initiative de deux jeunes entrepreneurs soutenus dès l’année suivante par le bellâtre virevoltant Arnaud Montebourg.
Si, de nos jours, le nom de Poil n’amuse plus que les rares voyageurs qui pénètrent au cœur de cette campagne verdoyante dotée d’un riche patrimoine architectural, il n’en n’a pas toujours été ainsi. Poil connût même la gloire lorsqu’en 1913 Paul Birault, journaliste à L’Éclair, décida d’utiliser le nom de ce village paisible pour ridiculiser les élus de la République en démontrant l’étendue de leur naïveté, pour ne pas dire de leur sottise. Ce qui, entre nous soit dit, établit un pont avec un certain nombre de nos godillots contemporains. Mais revenons à nos brebis pictiennes :
Birault créa de toute pièce un personnage, Hégésippe Simon, dont il situa la naissance à Poil le 31 mars 1814 (quoi de plus naturel que de naître à Poil ?) et dont il fit le « père du socialisme moderne » avant de s’autoproclamer président du Comité en charge d’honorer la mémoire de ce « grand précurseur ». C’est donc à ce titre que Birault invita, en deux vagues de courriers, une centaine de députés et de sénateurs radicaux à se rendre dans la Nièvre le 31 mars 1914 pour les festivités du centenaire de l’homme qui, dans sa grande sagesse, avait commis cet aphorisme resté dans les mémoires : « Les ténèbres s’évanouissent quand le jour se lève » !
Par malheur pour eux, de nombreux élus de l’époque, pour la plupart issus de la bourgeoisie provinciale, n’avaient pas une très grande culture politique, et très peu disposaient d’un attaché parlementaire rompu à tous les pièges de la fonction. Plutôt imbus d’eux-mêmes, ces notables n’imaginaient pas de surcroît que l’on pût se moquer ainsi de leur éminente fonction.
« J’ai bien connu Hégésippe Simon »
Quelques semaines passèrent et le doute s’insinua dans l’esprit des moins sots. À tel point qu’un ministre, également invité à la commémoration, fit diligenter par ses services une enquête sur ce « précurseur ». Celle-ci démontra l’inexistence d’Hégésippe Simon dont nul n’avait jamais entendu parler, pas même dans son prétendu village natal de Poil. À l’évidence il s’agissait d’un canular, tout droit sorti de l’imagination de l’un de ces scribouillards en mal de papier, prompts à ridiculiser les personnages publics pour mettre les rieurs de leur côté.
Paul Birault, qui espérait tirer sur la corde jusqu’à la prétendue date anniversaire pour publier le lendemain 1er avril les meilleures réponses à ses invitations, avoua donc la supercherie le 21 janvier 1914 dans les colonnes du quotidien l’Éclair. Hélas ! pour eux, 17 parlementaires avaient déjà répondu à l’invitation lancée par le Comité du Centenaire, et le journaliste se fit naturellement un plaisir de citer les meilleurs passages de leurs courriers. Parmi eux, deux magnifiques perles :
La première est à mettre à l’actif d’un futur Président du Conseil (Premier ministre) dont Birault, et c’est bien dommage, ne dévoila jamais l’identité : « J’accepte avec d’autant plus de plaisir que j’ai bien connu Hégésippe Simon, ce grand Français paré de toutes les vertus républicaines. » Ben voyons !*
La seconde est d’une toute autre nature, certes moins significative de la duplicité des hommes politiques, mais tellement plus belle dans sa naïveté. On la doit au Comte Charles d’Aunay, sénateur de la Nièvre : « À mon grand regret, il me sera sans doute difficile d’être à Poil le 31 mars 1914. » Ce diplomate – au propre comme au figuré – s’en trouva habillé pour la fin de l’hiver, ce qui tombait bien, la saison ayant été l’une des plus glaciales de ce début du 20e siècle.
Poil est, depuis cette éphémère médiatisation, retombé dans l’anonymat et les Pictiens ne s’en émeuvent guère. Quant aux Français, ils ne manquent pas d’autres sujets d’amusement avec les noms cocasses de lieudits, de hameaux ou de villages qui, comme Poil, prêtent à sourire ou à s’étonner, à l’exemple de Trécon (Marne) dont les habitants font pourtant preuve avec intelligence d’une solide philosophie, ou bien encore de la picarde Y (Somme) et ses Ypsiloniens et Ypsiloniennes.
Mais comme toujours en France, ce sont les noms liés à l’anatomie sous la ceinture et à l’activité sexuelle qui suscitent les commentaires les plus moqueurs ou les plus égrillards, à l’image de Bèze (Côte d’Or), de Condom (Gers) – le préféré des touristes britanniques –, ou bien encore de La Turlurette (Nièvre) au nom si guilleret. Sans oublier ces communes ou lieudits nommés Anus (commune de Fouronnes, Nièvre), Bourg-la-Reine (Hauts-de-Seine), Deux Verges (Cantal), La Trique (commune de La chapelle-Largeau, Deux-Sèvres), Le Fion (commune de Chevenoz, Haute Savoie) ou Sainte-Verge (Deux-Sèvres).
Cela dit, le morceau de choix en matière de toponymie « poilante » reste quand même la charmante petite ville normande d’Eu (Seine-Maritime) rendue célèbre par la suscription des lettres adressées à son maire. Par chance, c’est un homme et non une femme qui est actuellement maire de la commune d’Houilles (Yvelines) ! Un élu qui, du fait de la proximité géographique, a sans aucun doute des contacts avec les « fils de Puteaux » et les « filles de Garches ».
Pour terminer, une petite pensée coquine pour les Savoyardes de Bellecombe-en-Bauges, si joliment nommées « bellecombaises ». Et qui sait ? peut-être se trouve-t-il, parmi elles, des fondues de la glisse dont le rêve est de « faire Lamoura-Mouthe »**, après avoir absorbé, cela va sans dire, une petite grolle pour se mettre en train.
* Je me suis amusé, dans une série d’articles, à compiler des aphorismes et citations propres à révéler la duplicité d’interlocuteurs, tel ce Président du Conseil, imbus de leur immense culture – fût-elle aussi fausse qu’une dent en céramique – ou simplement soucieux de ne pas passer pour des buses :
40 citations pour piéger les pédants (septembre 2013)
40 nouvelles citations pour piéger les pédants (novembre 2013)
40 autres citations pour piéger les pédants (décembre 2013)
40 citations pour piéger les pédants (4e volet) (septembre 2017)
** Allusion à la Transjurassienne, course de ski de fond qui, sur un parcours de 38 km, relie le village de Lamoura à celui de Mouthe.
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