« Le Trio en Mi Bémol » d’Éric Rohmer & Hommage séculaire à Tulle
Si l’année 2020 restera, dans les mémoires, comme celle de l’apparition de la Pandémie, elle perdurera par ailleurs comme celle du centenaire de la naissance de Maurice Shérer alias Éric Rohmer, enregistrée le 21 mars 1920 à Tulle.
La préfecture de Corrèze a donc décidé de présenter durant ces douze mois toute une série de témoignages célébrant le metteur en scène natif avec notamment la projection d'un best of de ses films en présence de techniciens et artistes ayant travaillé ou collaboré avec lui.
Le point d’orgue de ces hommages serait la création de l’unique pièce de Théâtre que Rohmer n’ait jamais écrite et que celui-ci avait eu l’occasion de mettre en scène en 1987 au Théâtre du Rond-Point Renaud Barrault avec Pascal Greggory & Jessica Forde pour alors plus d'un mois de représentations ayant donné lieu à une précieuse captation.
Comme la musique pouvait être considérée en tant que personnage à part entière du spectacle, les deux comédiens de Rohmer furent alors impliqués dans l’interprétation des plages pianistiques.
En ce qui concerne l'anniversaire actuel, la mise en scène de Véronique Lesergent a opté pour une valeur ajoutée en réunissant au duo initial, Paul (Ugo Broussot) et Adèle (Eléonore Dupraz), l’ensemble musical « Ars Nova » constitué en l’occurrence d’une clarinette (Éric Lamberger), d’un piano (Michel Maurer) et d’un alto (Alain Trésallet).
Si donc dans la version originelle, les prestations musicales s'intégraient au fil du dialogue, la préférence ici serait donnée à des intermèdes spécifiques suscitant en quelque sorte les jalons ponctuant les étapes du récit ainsi transformé en véritable aubade.
Dans ces deux réalisations, on retrouvera comme décor a minima, le canapé à deux places mais aussi un siège tiers permettant la configuration évolutive de l’espace se muant au gré des saisons.
Celles-ci identifiées par des bouquets de fleurs encadrent une succession de rencontres entre les deux protagonistes se déroulant selon sept séquences à intervalles de deux mois.
Ainsi les jeunes ex-conjoints séparés depuis un an auront-ils le loisir, dans un marivaudage contemporain fort savoureux, de se retrouver à fréquence régulière avec le souci de préserver leur indépendance existentielle ainsi que leur manière spécifique de se percevoir réciproquement.
Si des reproches mutuels affleurent leurs schémas de pensée respective, c'est pour mieux signifier leur attachement affectif patent dont il semblerait, après réflexion concertée, que celui-ci puisse être influencé de manière significative par une attirance latente aux mêmes transports musicaux.
Cette option potentielle étant supputée, il faudrait désormais la prouver par une démonstration de l’entendement en pleine recherche d’indices.
Sous l'emprise psychologique d'un quiproquo survenant au sujet d’un « cadeau d'anniversaire » et selon l’enjeu crucial de susceptibilités avivées au plus haut point, se développera un bras de fer récurrent autour d'une « parole non dite » mais dont l'implosion finale aura la vertu de démultiplier l’impact de sa résolution totalement inattendue.
Voilà de fait une sorte de bijou façonné en vertu d'une dialectique dédiée aux témoignages d'amour oeuvrant au bénéfice d’un moment exceptionnel du spectacle vivant !
Si, sur les planches de l'Empreinte à Tulle, c'est le jeu très stylisé d'Eléonore Dupraz selon une gestuelle sophistiquée et des intonations délibérément évocatrices du cinéma Rohmérien que par échos, en retrait, Ugo Broussot catalyse en adoptant le rôle du faire-valoir, il est intéressant par contrastes d'observer qu'à la création en 1987, la parité de jeu interactif fut essentiellement mise en valeur grâce à la subtilité fluide de Pascal Greggory et au charme fougueux de Jessica Forde.
Au demeurant ce décalage relatif à la direction d'acteurs plus de 30 ans après, est révélateur d'une mise à distance signifiante entre l'oeuvre originelle et ses multiples répliques forcément différenciées selon par exemple, présentement, un registre davantage illustratif plutôt que subjectif.
En tout cas l'autre soir (vendredi 23 octobre 2020), ce fut réellement un véritable régal de découvrir ce huis clos intimiste sur les planches tullistes que le trio d'Ars Nova venait parfaire comme la performance théâtrale qu'une baguette magique aurait transformée à la vue et à l'ouïe en Comédie Musicale… telle la citrouille corrézienne en carrosse princier !
photos 1, 3 à 5 © Olivier Soulié
photo 2 DR.
photos 6 à 8 © Theothea.com
LE TRIO EN MI BEMOL - ***. Theothea.com - de Eric Rohmer - mise en scène Véronique Lesergent - avec Eléonore Dupraz & Ugo Broussot (Compagnie du Domaine Théâtral) / clarinette Eric Lamberger, piano Michel Maurer & alto Alain Trésallet (Ensemble Ars Nova) - Théâtre de L'Empreinte (Scène Nationale / Tulle)
Programme musical (Ensemble Ars Nova)
1) Wolfgang Amadeus Mozart : Le Trio des Quilles K.498, Andante
2) Robert Schumann : Histoire de conte de fées (Märchenerzählungen), Opus 132, mouvements 1 & 2
3) György Kurtàg : Hommage à R.Shumann, mouvements 1 & 2 et Doloroso
4) Alexandros Markéas : Mi Trio
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