« Le Voyage de Paula S. » La poignante Odyssée filiale de Marc Citti
Conjointement à la captivante déclaration d'amour picturale de la pièce ''Les Collectionnistes'', le Théâtre du Petit Montparnasse propose un bijou de tendresse décalée avec ''Le voyage de Paula S.'' de Marc Citty dans une mise en scène de Stéphane Cottin. Marc Citty qui, à 18 ans avait intégré l'école des Amandiers de Nanterre, a plus d'une corde à son arc, comédien, compositeur, musicien, dramaturge et auteur.
L'ancien élève de Patrice Chéreau récidive avec les aventures de Mathieu Scarifi, personnage mythomane et inconséquent depuis ''Le Temps des Suricates'', véritable fugue drolatique et mélancolique d'un acteur de seconde zone ou ''Les Vies de Swann'' où il affronte maladroitement et anxieusement la paternité qui le transporte dans des péripéties mouvementées, transgressives et comiques.
Cette fois-ci, Mathieu Scarifi, cinquantenaire toujours un peu à côté de ses pompes, plein de doutes, d'angoisses et d'interrogations autrement dit une sorte d'avatar de Marc Citty qu'il interprète lui-même, va affronter la mort de sa mère et, comme dans les pièces pré-citées, le contexte réaliste du départ va peu à peu glisser dans la fantasmagorie prenant au fur et à mesure une allure totalement surréaliste dans un besoin absolu de réinventer sa vie pour éviter de souffrir.
Complètement abasourdi par un coup de fil reçu de la maison de retraite à 6 h 00 du matin, en état de choc, le coeur brisé, il s'adresse frontalement au public, le prenant à témoin de sa détresse. Il soliloque, désarçonné, semblable à un petit garçon soudainement orphelin, il se rend dans la chambre où sa mère, Paula, est étendue au fond de la scène, son corps recouvert d'un drap.
Par un étrange mystère, celui du Théâtre, tel Lazare de Béthanie, mort depuis 4 jours et enseveli dans un sépulcre, sortant vivant de la tombe sur ordre de Jésus ''lève-toi et marche...'', elle se réveille, rayonnante de jeunesse. Elle se tient assise sur le lit et refusant le statut de défunte, elle décide de marcher en entraînant sans ambages et refus possible son fils Mathieu dans une fuite funambulesque où s'exprimera le lien fort qui les unit.
Tous deux entrent dans une voiture, l'invraisemblable est désormais de mise, tout en conduisant elle donne des conseils à son fils et l'avise contre ses mauvaises fréquentations, celle en particulier de sa prof de dessin, Mme Tréfou. Elle veut qu'il se consacre au Théâtre et à la Musique. Mathieu pour faire diversion met l'autoradio et entendant ''Ashes to ashes '' ( titre bien opportun ! ) de Bowie se met à chanter à tue-tête.
Il accepte les volontés de sa mère qu’il voit partout. Jouant avec ses névroses, est-elle le fruit de son imagination, est-il en proie à une hallucination ? Cette résurrection magique est-elle le fruit de l'Amour exclusif d'une maman pour son enfant chéri qu'elle surprotège ou ne serait-elle pas plutôt, tel un miroir reflétant la filiation indéfectible, la projection mentale d'un fils qui ne parvient pas à briser le cordon ombilical et revoit tous les souvenirs le rattachant à cette femme tant adulée et ainsi renouer le dialogue interrompu avec elle.
Bref, une re-création psychique afin de sortir d'une situation émotionnelle intolérable pour lui. Ce vivre ensemble le temps d’un rêve éveillé, celui recto verso d'une même médaille parentale, prend l'allure d'une improbable cavale post-mortem les envoyant dans des stratosphères oniriques voire ésotériques d'un monde d'outre-tombe peuplé de figures fantastiques.
Les comédiens Julie Delarme et Marc Citti forment un charmant duo qui fait vibrer le plateau par leur remarquable énergie. Julie Delarme incarne à merveille la mère qui se révolte, sa diction parfaite au timbre chaud fait résonner son caractère vigoureux et indomptable.
Marc Citti est d'une sincérité bouleversante et attendrissante. Accédant, en renâclant parfois, aux desiderata de sa génitrice, il chante, court, fait tout son possible pour repousser l'inéluctable. Très physique, il a son moment d'héroïsme lorsque la défunte lui demande de danser sur différentes musiques, il s’exécute avec souplesse sur le tango argentin, la polka, la country et les danses écossaises ou bretonnes.
La mise en scène raffinée de Stéphane Cottin, magnifiée par les vidéos ingénieuses de Léonard créant sur des panneaux colorés des décors fabuleux ( même vidéaste que ''les Collectionnistes'' ), illustre à la perfection cet extravagant road-movie parcouru sous les lumières soignées de Moïse Hill ( idem ''les Collectionnistes'' ) et la musique aux accents rock d'Alexandre Meyer.
Cette pièce nous interroge sur la mort qui sépare les êtres. Comment dire adieu à ceux qui restent ? Comment laisser partir l’autre dans l’au-delà ? Le théâtre et la fiction permettent de ressusciter les chers disparus qui vous hantent et vous tourmentent. La pièce de Marc Citti devient un conte miraculeux où l'humour va donner des ailes à Mathieu pour braver la mort et tenter de dompter l'abyssal vide qu'elle engendre.
Ici, le deuil devient une aventure farfelue, un voyage cocasse où le burlesque et la fantaisie égrènent la douleur en notes délicates pleines de poésie. Toute l'attitude débonnaire de Marc Citty tient dans ce spectacle.
Beaucoup de tendresse, l'humain et l'intime au cœur de tout. Parfois des maladresses mais des sentiments vrais, intenses, sortis du plus profond de son être en mal de deuil, en mal de mère au sein d'une Odyssée lumineuse, rocambolesque et poignante.
photos 1 à 5 © Fabienne Rappeneau
photo 6 © Theothea.com
LE VOYAGE DE PAULA S. - ***. Cat'S / Theothea.com - de Marc Citti - mise en scène Stéphane Cottin - avec Julie Delarme & Marc Citti - Théâtre du Petit Montparnasse
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