Les aristocrates à la Lanterne
Comme dit la sagesse populaire, si tu ne t’occupes pas de politique, c’est la politique qui s’occupe de toi. Par curiosité, je suis allé voir deux livres qui sont depuis quelques semaines dans les listes des meilleures ventes, et qui tous deux proposent une critique acerbe (quoique dans des genres forts différents) de la nouvelle présidence.
Le premier est celui de Patrick Rambaud, Chronique du règne de Nicolas Ier.
Il contient quelques jolies perles, des passages savoureux (un portrait
hilarant du général Rondot, la description des tics et de l’agitation
de "Son Impétueuse Majesté"), même si le procédé perd de sa force sur
la longueur. En le refermant, quelques éclats de rire plus tard, on se
dit que la satire est une bouffée d’oxygène bienvenue. Il est heureux -
et sain - qu’on se moque des puissants. Il y a dans ce genre
d’illustres étrangers, Swift ou Cervantès. Chez nous, Rabelais - et,
aujourd’hui, pourquoi pas, le Canard Enchaîné et les Guignols de l’info ! On songe aussi, lisant Rambaud, et toutes proportions gardées, aux Lettres persanes.
On se souvient du procédé employé par Montesquieu : prétexter un
narrateur venu de loin, un étranger, pour décrire la société du temps,
et montrer ainsi, ce que, l’ayant tous les jours sous le nez, nous ne
voyons plus. Question de "lunettes", dirait-on, d’exotisme du point de
vue. Patrick Rambaud est un écrivain prolifique dont je n’avais rien lu
avant cette pochade. Sa réussite, ici, est d’avoir trouvé une langue
qui colle magnifiquement à son projet. En choisissant de donner cette
chronique des premiers mois de règne de M. Sarkozy dans un Français
pré-révolutionnaire d’une cocasse étrangeté, il éclaire d’un jour cru
la comédie du pouvoir, la Cour et les honneurs. Si le roi est nu, avec
Rambaud au moins, il est habillé pour l’hiver.
Le second livre est "le" Badiou,
De quoi Sarkozy est-il le nom ?
Un pavé aux arêtes tranchantes jeté dans la vitrine du nouveau pouvoir.
Radical, tonique, c’est l’implacable réquisitoire d’un opposant sans
concession. Alain Badiou,
redouté professeur de philosophie à Normale Sup, dénonce dans le
sarkozysme un retour du refoulé réactionnaire français, un programme
hyperconservateur (les riches plus riches, les pauvres plus pauvres, et
une politique sécuritaire en guise de lien social) maquillé dans la
confusion d’une rhétorique de rupture. Badiou revendique, avec un
certain panache, son engagement marxiste, et ne perd jamais de vue son
point de perspective, une "politique d’émancipation" qui a certes plus
à voir avec le "Grand soir" qu’avec tout autre chose. Badiou
souscrirait sans doute à ce proverbe arabe : "l’honneur d’un homme se
mesure au nombre de ses ennemis". Dans la fin de l’ouvrage, il desserre
le corset et l’on entr’aperçoit alors sa crainte fondamentale : qu’au
final les intérêts particuliers l’emportent sur tout le reste. A
désespérer, en somme, de l’humanité et de la Révolution ! La rigueur de
la pensée, la tenue de la langue, l’ironie mordante, font de ce petit
livre dense un manifeste très stimulant. Quelles que soient les
convictions du lecteur, il trouvera là un contre-poison aux discours
fluets et mal étayés qui composent le brouet de l’actualité
politicienne. Je recommande. La liberté de controverse n’est-elle pas
l’honneur de la démocratie ?
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