Les cornichons
Nous nous endormons depuis des lustres, bercés par un discours politique réduit à sa plus simple expression. La communication a remplacé l’information et la réflexion, nous dit le « troisième homme ». Il n’a pas tort, mais lui au moins, il écrit lui-même ses livres. Alors, il m’a paru intéressant d’analyser le débat politique au travers du prisme de la culture. C’est loin des paillettes, mais a-t-on réellement besoin de transformer le débat sur le pouvoir en un show télévisé ?
On se souviendra du débat d’entre les deux tours uniquement à cause de la colère réelle ou feinte de Ségolène Royal face à Nicolas Sarkozy. Une réaction aussi forte pour un thème sinon mineur, mais tout de même non central qu’est celui des handicapés, a dû en surprendre plus d’un. Je pense avoir trouvé la raison de ce courroux, elle suit les affirmations de Sarkozy pour son attrait pour une certaine littérature, réitérée lors de plusieurs interviews. Je veux parler de Louis Ferdinand Céline et de « Mort à crédit ».
Laissons le bénéfice du doute aux deux candidats préférés des Français. Admettons que leur parole est quelquefois sincère et qu’ils sont un tant soit peu cultivés. On peut tout de même en douter en regardant leurs références médiatiques érigées en nouveaux philosophes : Stevie et Johnny pour l’un Diam’s, Debbouze et Noah pour l’autre. Mais Jacques Chirac nous a joué le béotien satisfait pendant des années et s’est finalement révélé un fin connaisseur des arts asiatiques. Alors, avant de juger sévèrement ces deux chantres de la modernité, attendons qu’ils fassent preuve de leur inculture.
Le handicap à l’école, ce n’était pourtant pas un thème qui a priori pouvait déclencher une telle furie. Et pourtant, si l’on veut bien comprendre, il faut remonter à d’autres interviews et à la personnalité qu’ont bien voulu montrer les deux candidats. Royal a toujours insisté sur ce qui est juste, elle en a fait un slogan, si ce n’est un thème de campagne. Elle a toujours traîné derrière elle une réputation de moraliste laïque, attachée à la famille et à l’enfance. Sarkozy, n’a pas été de reste sur le thème social, même s’il a semblé donner plus d’importance à l’effort et au travail. Sur un tout autre registre, il a quelquefois, trop rarement diront certains, abordé le thème de la culture. On a donc eu droit une ou deux fois à l’apologie de « Belle du Seigneur » D’Albert Cohen, mais surtout à l’expression de l’admiration du candidat pour l’œuvre de Louis Ferdinand Céline. On ne peut imaginer Nicolas Sarkozy, ce zélateur de Blum et de Guy Môquet, avoir une vénération sans borne pour les pamphlets antisémites (non réédités) de Céline et pour l’ouvrage « D’un château à l’autre ». Ce qui a dû le passionner, c’est probablement « Mort à crédit ». Or, que trouve-on dans ce chef-d’œuvre ? Un héros, l’auteur lui-même parlant à la première personne, martyrisant un débile mental avec ses condisciples de pension en Angleterre. Un handicapé, violenté, sexuellement abusé et calmé avec des cornichons. Céline avouant en avoir eu en permanence dans ses poches pour apaiser le petit crétin. Cela affirme la préméditation et aggrave le cas de l’auteur. Il s’agit certes de littérature, mais peu-on admirer à la fois ce chef-d’œuvre, que dis-je ce monument de l’écriture française, et en même temps s’apitoyer sur le sort des handicapés en milieu scolaire ? Sarkozy n’a assurément pas abordé en même temps le thème du handicap et de l’internat, mais il a pu créer le trouble puis le courroux de Ségolène qui nous ressort jusqu’à plus soif « jamais sans mes enfants ! »
Donc, de deux choses l’une, Sarkozy n’a cité Céline que pour se placer sur le terrain de la culture, mais n’a qu’une admiration limitée pour l’auteur. Il n’a que parcouru le livre, ou pire, lu une note de lecture rédigée par Brice Hortefeux, soit il a véritablement épousé la thématique de l’écrivain et a été subjugué par la puissance de l’écrit. Dans le premier cas, il a du être totalement surpris de la furieuse réaction de sa concurrente et se demander quelle mouche l’avait piquée. Dans la seconde hypothèse, on s’interroge sur ce que vient faire cette soudaine compassion pour les handicapés, domaine où Royal voulait exceller seule. Il est évident que dans l’Education nationale de la Cinquième, voire de la sCxième République, il n’y a pas de place pour les cornichons dans les méthodes éducatives, ne fusse que pour ceux qui sont trop souvent hélas qualifiés de légumes.
Dans la suite du livre, on se moque aussi d’une femme à barbe. Encore une occasion de défendre à la fois les femmes, les handicapés et les minorités visibles !
J’aspire à ce que la littérature revienne au cœur du débat politique. On pourrait aborder ainsi tous les thèmes de société à travers le prisme des grands romans et des meilleurs écrivains. Relire « Les Raisins de la colère » et promouvoir l’allaitement au sein pour les sans logis serait une première étape. Aborder Gide et « les faux monnayeurs » pour lancer une campagne de prévention en proctologie : « Quiconque à quarante ans n’a point d’hémorroïdes ».
Réfléchissons enfin à cette citation de Céline :
« Je ne m’occupe absolument pas de ce que pense mon lecteur. Je voudrais bien qu’il m’achète, ça me permettra de bouffer. L’homme m’est indifférent ». En remplaçant lecteur par électeur, on comprend mieux l’intérêt que peuvent nous porter certains politiques tant aimés et admirés des Français !
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