Les grands concertos pour basson
Le basson : un instrument méconnu du public non familier des concerts classiques et, disons-le, quelque peu snobé par les mélomanes, mais aussi par les musiciens, souvent enclins à ne voir en lui qu’un simple préposé à l’accompagnement des instruments réputés plus nobles. Les timbres chauds et faussement maladroits du basson en font pourtant un excellent instrument soliste. Peu de grands compositeurs lui ont pourtant rendu un hommage concertant. Grâces en soient rendues à ceux qui l’ont fait...

Né dans sa forme « moderne » à l’aube du 17e siècle et caractérisé par l’usage d’une anche double, le basson est un héritier d’instruments de la Renaissance : la basse de chalumeau et le... cervelas. La juxtaposition de tuyaux contigus, destinée à produire, grâce à la longueur de circulation de l’air, un son de basse, a valu au basson d’être initialement nommé « fagot », une appellation restée en allemand (fagott) et en italien (fagotto). Grâce aux clés dont il a été doté au fil du temps, ses possibilités se sont considérablement élargies, pour le plus grand plaisir des musiciens et des mélomanes.
L’âge d’or du basson concertant a sans conteste été la période classique au cours de laquelle le répertoire s’est enrichi, sous l’impulsion de solistes désireux de s’affranchir du rôle plus obscur de musicien anonyme au sein de l’orchestre. Après qu’il ait été délaissé durant la période romantique, le basson a de nouveau suscité, au 20e siècle, l’intérêt de compositeurs en recherche de timbres alternatifs aux géants de la musique classique qu’ont été notamment le violon et le piano.
Dès l’ère baroque, Antonio Vivaldi (1678-1741), présent dans presque tous les florilèges instrumentaux, s’est tout naturellement intéressé à cet instrument beaucoup moins lourdaud qu’il n’y paraît et capable de belles acrobaties. Considéré comme très masculin, le basson n’est pourtant pas resté à l’écart dans la production du « Prêtre roux », bien qu’elle ait été principalement destinée à être jouée par les demoiselles de la Pièta. On dénombre en effet 37 concertos dédiés au basson et 15 concertos à plusieurs instruments, basson compris, dans le catalogue des œuvres du Vénitien, la plupart de ces œuvres étant destinées à être joués par les orphelines du célèbre Ospedale. Aucun ne se détache véritablement, mais le concerto pour basson en la mineur RV497 constitue un excellent exemple de l’écriture vivaldienne et de la manière dont le maestro a su tirer parti de l’instrument.
C’est probablement vers 1770 que le talentueux Carl Stamitz (1745-1801) a composé son concerto pour basson en fa majeur – peut-être la transcription d’un concerto pour flûte – à l’attention d’un bassoniste du célèbre orchestre de la cour palatine de Mannheim. Une œuvre écrite dans l’esprit qui prévalait alors et dont le père de Carl, le grand Johan Stamitz, avait été le promoteur. Caractérisé par sa richesse mélodique et sa créativité dès l’allegro maestoso, ce concerto se poursuit par un adagio molto cantabile avant d’être conclu par un final poco presto vif et espiègle.
Les talentueux élèves de l’abbé Vogler
Wolfgang Amadeus Mozart (1756-1791) n’avait que 18 ans lorsqu’il composa, en 1774, son concerto pour basson en si bémol majeur. De très jolie facture, cette partition de jeunesse ne peut pourtant rivaliser avec les chefs d’œuvre concertants de Mozart, et notamment le génial concerto pour clarinette, les magnifiques concertos pour violon 3 et 5 ou les sublimes concertos pour piano 20 et 21. Composée dans un style très fidèle à l’écriture du grand aîné Joseph Haydn, cette partition, virtuose sans excès, n’en possède pas moins beaucoup de charme, à l’image de l’andante très cantabile dont le thème sera repris plus tard dans Les noces de Figaro. Le final, un charmant rondo, prend la forme de variations sur un thème de menuet.
Le flûtiste François Devienne (1759-1803), l’un des plus élégants compositeurs français de son époque a écrit, selon les sources, quatre ou cinq concertos pour basson. De facture très classique, on retient parmi eux le concerto n°4 en ut majeur (1793), mais aussi le concerto en si bémol majeur (date inconnue). Longtemps attribué à Mozart, ce concerto est, selon l’excellent bassoniste Eckart Hübner, clairement apparenté aux œuvres de Devienne et son niveau de virtuosité ne colle pas avec le destinataire des concertos pour basson écrits par Mozart pour le « dilettante » baron Von Dürnitz, une conclusion à laquelle était déjà parvenu dans les années 50 le compositeur suisse Ernst Hess. Un argument auquel on peut toutefois opposer les concertos pour flûte écrits par Mozart à l’attention de M. Dejean : leur niveau de virtuosité était là aussi beaucoup trop élevé pour l’amateur qui avait passé la commande.
Élève en composition du remarquable pédagogue que fut l’abbé Georg Joseph Vogler, Franz Danzi (1763-1826) a écrit cinq concertos pour le basson. Le plus réussi, composé aux alentours de 1800, en est incontestablement le concerto en fa majeur, l’un des préférés tant des solistes que des amateurs, et à ce titre l’un des plus joués en concert, ce qui reste toutefois relatif tant le basson fait malheureusement partie des parents pauvres de la programmation. Cette œuvre comprend un allegro dont la grande virtuosité se double d’une superbe inspiration mélodique, puis un adagio tripartite en forme de rêverie pré-beethovénienne, suivi sans transition d’une polacca très enlevée et non moins colorée, tout à fait caractéristique des goûts du temps. Un plaisir toujours renouvelé !
Successeur de Haydn au poste de Kapellmeister du prince Esterhazy, Johan Nepomuk Hummel (1778-1837) est surtout connu pour son fameux concerto pour trompette et sa carrière de pianiste virtuose qui a clairement influencé Chopin, Liszt et Schumann. Musicien de transition entre le classicisme et le romantisme, c’est dans le premier qu’il a puisé son inspiration pour écrire vers 1805 son concerto pour basson en fa majeur. Pour être conventionnel, l’allegro moderato n’en est pas moins superbement écrit ; suivent une romance rêveuse et un espiègle rondo connu de tous les amoureux de cet instrument.
Cinq arbres sacrés
C’est principalement grâce à ses œuvres théâtrales que Carl Maria von Weber (1786-1826) s’est taillé une réputation de premier plan. Cet élève de l’abbé Vogler – comme son aîné et ami Danzi – n’en a pas moins composé de superbes concertos, et notamment ses deux chefs d’œuvre pour clarinette. Précisément, c’est après avoir découvert l’inspiration concertante des œuvres pour clarinette de Weber que le bassoniste Georg Friedrich Brandt a demandé au compositeur d’écrire pour son instrument. C’est ainsi qu’est né, en novembre 1811, le concerto pour basson en la majeur. Très inventif dans l’allegro ma non troppo initial, plus méditatif, voire dramatique, dans l’adagio, ce concerto devient résolument facétieux dans un rondo final techniquement redoutable. Incontournable également l’andante et rondo all’ungarese qui figure au répertoire de tous les grands bassonistes.
Marcel Bitsch (1921-2011) n’a sans doute pas la notoriété qu’il mérite. Puisse son concertino pour basson contribuer à rendre justice à son talent. Composée en 1948, cette œuvre courte, malheureusement trop peu interprétée, comprend une longue méditation puis un final joyeux qui, l’un et l’autre, mettent parfaitement en valeur les timbres de l’instrument et la coloration de l’écriture.
Composé en 1954, le concerto pour basson, orchestre à cordes, harpe et piano d’André Jolivet (1905-1974) n’a évidemment plus grand-chose à voir avec les œuvres classiques, malgré son écriture contrapunctique. Cette œuvre de maturité explore largement les registres d’un instrument dont les possibilités ont été encore accrues au cours du 19e siècle. Un concerto dont la coloration jazzy, alliée à l’usage du piano et de la harpe, n’est pas sans rappeler le concerto pour clarinette écrit 7 ans plus tôt par Aaron Copland.
Un autre compatriote doit être considéré comme un serviteur émérite du basson : Jean Françaix (1912-1997). Son concerto pour basson et 11 instruments à cordes a en effet su, depuis sa création en 1979, s’imposer comme une incontournable partition dans le répertoire des solistes, soit pour être interprété dans sa version avec les cordes, soit pour être joué en duo avec le piano dans une version alternative.
Comme toutes les sélections, ce florilège est caractérisé par la subjectivité d’un goût personnel. Peu de risque pourtant que la présence, pour clore ce tour d’horizon, de John Williams (né en 1932) soit discutée. Auteur de multiples musiques de film, le compositeur américain sait à merveille utiliser tant les ressources de l’orchestre que celles des solistes qu’il veut mettre en valeur. Écrit en 1995 pour le 150e anniversaire du New York Philharmonic, son concerto pour basson « Five Sacred Trees », destiné à être interprété par Judith LeClair, bassoniste du NYC, est un régal de bout en bout, peut-être l’œuvre majeure consacrée au basson au cours du 20e siècle. De caractère rhapsodique, cet atypique concerto est constamment évocateur des arbres de la mythologie celtique qui l’ont inspiré. Mon préféré : « The Tree of Ross », sans doute pour ses dialogues avec la harpe, cet instrument qui illustre si bien le monde celtique.
Puisse cet article contribuer à démontrer que le basson mérite d’être regardé et écouté avec respect, à l’égal de la plupart des autres instruments de l’orchestre.
D’autres compositeurs ont également écrit d’intéressantes œuvres concertantes pour le basson. Parmi eux : Johan Gottlieb Graun, Joseph Bodin de Boismortier, Michel Corrette, Johann Christian Bach, Johann Baptist Vanhal, Franz Anton Rössler-Rosetti, Leopold Kozeluh, Henri Tomasi, Heitor Villa-Lobos, Sofia Gubaïdulina.
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