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Accueil du site > Culture & Loisirs > Culture > Les limites du discours chez Platon

Les limites du discours chez Platon

Pour comprendre un philosophe, on peut s'intéresser à ce qu'il dit. On peut aussi se pencher sur ce qu'il ne dit pas. Illustration avec Platon, dont les (rares) silences sont parfois plus éloquents que les (abondants) développements.

Je pense souvent à Platon. Ce qu’il y a de frappant chez Platon, ce sont les zones d’ombre, les lacunes, dont son discours est enveloppé. Il y a deux domaines qu’il n’aborde jamais, deux territoires dans lesquels il refuse obstinément de s’aventurer, et bien saisir ces deux points aveugles de son œuvre me paraît la meilleure façon de définir précisément la nature du dialogue philosophique selon lui.


- Platon ne parle jamais de ce qu’il méprise. Plutôt que de critiquer, il passe sous silence. Dans les milliers de pages qu’il a laissées, il ne nomme pas une seule fois Démocrite, philosophe matérialiste célèbre et honni, pas une seule fois l’hédoniste Aristippe, pas une seule fois Denys de Syracuse, le tyran qui, après l’avoir invité en Sicile, s’est brouillé avec lui et l’a séquestré dans sa citadelle. De même, Platon n’évoque jamais les aspects vils ou dégradants de l’existence. Son univers est pur et éthéré, tous les interlocuteurs de ses dialogues se qualifient mutuellement de « divin », « admirable », etc., même quand il s’agit de sophistes obtus comme Hippias ou sans scrupules comme Calliclès.


- Parallèlement, Platon n’aborde jamais l’essentiel, ce qui fait la nourriture de son âme, les idées ultimes qui donnent un sens à l’existence. Selon la Lettre VII, « il s’agit là d’un savoir qui ne peut absolument pas être formulé de la même façon que les autres savoirs ». Plus prosaïquement, je crois surtout que Platon voulait préserver de la médisance, de l’incompréhension et de l’envie les pensées qui lui étaient les plus chères.

Que reste-t-il, dès lors, dans les dialogues, lesquels sont expurgés à la fois des éléments trop violemment polémiques et des considérations fondamentales sur l’essence des choses ? Eh bien, c’est Platon lui-même qui l’explique dans le Phèdre, il reste simplement la matière à un « divertissement » de haute tenue, préférable aux « beuveries et à toutes sortes de plaisirs qui sont frères de ceux-là ». Considérer l’écriture comme un divertissement, n’est-ce pas là la marque innée de la distinction et du détachement ?

 


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5 réactions à cet article    


  • Montagnais .. FRIDA Montagnais 17 juin 2013 15:46

    « Considérer l’écriture comme un divertissement ... »


    Merci pour ce texte élégantissimme

    • Sylvain Reboul Sylvain Reboul 17 juin 2013 18:08

      Précisément dans la « lettre VII » que vous citez et dont l’authenticité est encore discutée Platon aborde la question de ses démélés avec Denys II de Syracuse et des relations, pour le moins ambivalentes, voire impossibles, entre le pouvoir politique, toujours plus ou moins tyrannique, même à prétention philosophique, et la philosophie et dans « les lois », texte admis comme authentique, il développe la question des rapports sociaux y compris l’esclavage d’une manière discutable mais très concrète.


      • maQiavel machiavel1983 17 juin 2013 19:15

        Merci pour ce petit éclaircissement.

        Je me met petit à petit à lire les philosophes de l’ antiquité , ce genre d’ article est le bienvenu.

        • Loup Rebel Loup Rebel 17 juin 2013 21:50

          Ce que Platon ne dit pas ?

          Peut-être voulez-vous parler de « ce qui vous a échappé chez Platon » ?
          Apparemment, presque tout !

          À mon humble avis, les limites sont plus dans votre lecture que dans le discours de Platon.

          C’est un peu comme si devant une bouteille de champagne, vous vous mettiez à parler de ce qu’il n’y a pas dans la bouteille...  smiley

          Un peu léger.


          • Gollum Gollum 18 juin 2013 08:21

            Effectivement ce texte est trop court (dommage) mais je suis très heureux de cet éloge de Platon que je connais assez mal à vrai dire. Et je suis dans la même optique que machiavel : vive les Anciens ! Donc on en redemande et vous êtes le bienvenu ici.


            Pourquoi pas Plotin (que je connais beaucoup mieux) ? Je vous recommande une édition récente et remarquable dirigée par Luc Brisson et Jean-François Pradeau.

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