« Les Trois Mousquetaires » 2023, une version honorable !
Du Louvre au Palais de Buckingham, des rues sombres de Paris au siège de La Rochelle, bastion protestant à l’époque (XVIIe siècle), la France s’avère un Royaume profondément divisé par les guerres de religion, le massacre de la Saint-Barthélemy déclenché à Paris (août 1572), entraînant le massacre pendant plusieurs jours de milliers de protestants par des catholiques, est encore dans toutes les mémoires, la menace de son invasion par l’Angleterre grandit : croisant le fer, des hommes et des femmes lient leur destin, à leurs risques et périls, à celui de la France.
« Aussi loin que je me souvienne, j’ai toujours voulu être mousquetaire » : arrivant à Paris un jour de 1625, le jeune comte Charles de Batz de Castelmore, plus connu sous le nom de d’Artagnan (François Civil), Gascon charmant, fougueux et impatient, non dénué d’humour, est bien décidé à rejoindre les célèbres… Trois Mousquetaires, défenseurs du trône. De prime abord moqué par eux, ses indéniables talents d’escrimeur lui valent pour autant assez rapidement la reconnaissance d’Athos le torturé, marqué au fer rouge par ses amours trahies (excellent Vincent Cassel), Porthos le ripailleur et Aramis le facétieux manifestant une pointe de perversité, hésitant entre l’épée et la religion (attention spoiler, cf. la scène de torture via le crucifix taillé en pointe). Néanmoins, cet intrépide et ambitieux d’Artagnan se retrouve vite mêlé, par la même occasion, aux intrigues de cour. Un Richelieu mal intentionné est en train de monter un complot contre la reine et la sublime mais perfide Milady, espionne du cardinal assoiffée de pouvoir, cherche également à ébranler le trône. Mais les mousquetaires, des plus solidaires envers sa majesté, sont vraiment la botte secrète du roi, agissant tels des gardes du corps et militaires émérites : cette garde rapprochée décide de se reconstituer pour combattre l’ennemi, avançant masqué, du royaume.
Couleur sépia
- Vincent Cassel est Athos dans « Les Trois Mousquetaires : D’Artagnan » (2023, Martin Bourboulon)
Tout d’abord, le film est beau en soi (©photos V. D.), bénéficiant d’un tournage en décors réels et d’une belle photographie aux teintes sépia, comme salie, pour donner au film la patine du temps. La trame est bonne - et pour cause, c’est du Dumas ! On ne compte plus les adaptations cinématographiques, que ce soit en France ou aux États-Unis, tirées du best-seller littéraire d’Alexandre Dumas (1802-1870), qui est devenu mythique dès sa parution en 1844. Comme le disait déjà en son temps Victor Hugo, « Dumas féconde les âmes, les cerveaux, les intelligences… » On y trouve ici tout le sel de son roman d’aventure originel en ce qui concerne son esprit à l’œuvre et les valeurs véhiculées, à savoir tout d’abord le panache et l’amitié virile, eh oui la fameuse devise des mousquetaires (cavaliers armés d’un mousquet et faisant partie des troupes de la maison du roi) s’y trouve, « Un pour tous, tous pour un ! », ainsi que les incontournables fameux ferrets, puis le courage, l’honneur, l’abnégation, la jeunesse, le goût de bonne chère et de baston, on le sait le juvénile Gascon s’y donne à cœur joie pour cette dernière, ainsi que l’humour et l’amour. Le casting trois étoiles du film à tout de même 72 millions d’euros (budget du diptyque filmique, Milady est à suivre) de Martin Bourboulon, auteur précédemment du scolaire et oubliable Eiffel (2021), impressionne : des quatre mousquetaires (D’Artagnan, arriviste cadet virevoltant, qui le devient à la toute fin, se joignant à Athos, Aramis, Porthos), joués respectivement par les talentueux François Civil, Vincent Cassel, Romain Duris et Pio Marmaï qui a pris 10 kg pour le rôle, à l’irrésistible Louis Garrel, qui a décidément le vent en poupe en ce moment, en Louis XIII, monarque pusillanime tout en autorité maladroite, écartelé entre son rang à tenir et ses pulsions de plaisir, sans oublier certains « aînés » qui ont fière allure, tels Éric Ruf, transfuge de la Comédie-Française, très bon en Richelieu conspirant contre la reine et Marc Barbé excellent en comte de Tréville capitaine des mousquetaires, ainsi que les femmes qui n’y déméritent pas non plus, la vénéneuse Milady de Winter (Eva Green), en agente double, est machiavélique au possible, Lyna Khoudri joue avec sensibilité et discrétion la soubrette Constance s’amourachant du beau d’Artagnan et, last but not least, la reine Anne d’Autriche (Vicky Krieps), toute tremblotante, qui en pince secrètement pour un Anglais, le duc de Buckingham.
Sergio Leone présente !
Dans Les Trois Mousquetaires : D’Artagnan, qui répond grosso modo à son cahier des charges au rayon action, aventure et romance (assurément, ce film familial, si l’on n’est pas trop regardant, devrait ravir petits et grands et remplir les salles, d’autant plus en cette période de vacances de Pâques) : les chevaux cavalcadent ou piaffent, les costumes s’épanouissent, les châteaux et les beaux décors en mode Tour de France s’enchaînent, les feux crépitent, les femmes froufroutent (mais aussi manigancent, voire mènent carrément la danse), les mecs, poussiéreux et boueux, ferraillent, s’étripent, ripaillent, rivalisent, joutent à coups de bons mots et de fleurets mouchetés.
- Un score signé Guillaume Roussel
Accompagné par une bande originale composée par Guillaume Roussel, dont les basses sourdes appuyées et les envolées lyriques semblent se souvenir du John Powell signant en virtuose la BO du chef-d’œuvre de John Woo (1997), Volte-face (d’ailleurs le jeune frère aux petites lunettes rondes libérateur d’Athos condamné à mort rappelle curieusement Pollux, le petit frère intello de Castor Troy/Nicolas Cage dans ce même long métrage), ce film épique brasse habilement tradition et modernité, à savoir remise au goût du jour du roman-feuilleton culte en se permettant au passage certaines libertés et licences contemporaines avec l’original comme pour sacrifier à l’air du temps : le bon vivant Porthos est bisexuel (pourquoi pas !), Athos est peut-être coupable d’un féminicide, un attentat contre le roi est ajouté, Milady de Winter semble tout droit sortie d’un manga ou d’un Tim Burton steampunk et l’efféminé Aramis, joué malicieusement par Romain Duris, a un look destroy, avec ses colliers bling-bling, ses yeux charbonneux et ses grosses bagouses, genre Pirate des Caraïbes !
- L’acteur Romain Duris (Aramis), le 3 mai 2005 à Paris (Fnac), ©polaroid V. D.
Nonobstant, et contre toute attente, malgré ce millefeuille citationnel, allant du crépusculaire et du grandiloquent religieux revisités de la sublime Reine Margot (1994) de Patrice Chéreau, adaptée également d’Alexandre Dumas, aux longs manteaux et aux cowboys cyniques mal rasés des westerns spaghetti mélancoliques du grand Sergio Leone, dynamiteur de mythes – il s’agit avant tout d’un western de cape et d’épée façon Le Pacte des loups (moins le kung-fu !) de Christophe Gans, 2001 -, ce Trois Mousquetaires aux chapeaux à plumes newlook, sans être non plus renversant (du 4 sur 5 pour moi), et plutôt bizarrement, se tient : on ne s’y ennuie pas, on y prend même du plaisir. On est par exemple très loin, et fort heureusement d’ailleurs, d’un nanar multipliant les explosions pyrotechniques, les combats survitaminés sans queue ni tête et les effets spéciaux au rabais des Trois Mousquetaires (2011) soi-disant « nouvelle génération », foutaise !, signé Paul W. S. Anderson qui, malgré sa pléiade de stars (Milla Jovovich, Orlando Bloom, Mads Mikkelsen, Christoph Waltz), était nullissime ! Comme quoi, un casting royal ne fait pas tout, il faut aussi un amour du genre pour que la sauce prenne et, visiblement, Martin Bourboulon, connaît et respecte suffisamment ses classiques en capes et en bottes, avec Douglas Fairbanks, Gene Kelly, Jean Marais, Alain Delon, Michael York et autres Philippe Noiret, ainsi que ses déclinaisons post-modernes farfelues se jouant des clichés du genre (je pense ici moins aux Charlots qu'au trop méconnu Les Aventures de Philibert, capitaine puceau (2011) de Sylvain Fusée), pour parvenir à nous séduire, voire à pas mal nous convaincre, avec ses Trois Mousquetaires au parfum 2023. Il y a mis suffisamment, je dirais, l’innocence de ses souvenirs d’enfance pour que son film, malgré quelques flottements (la pénombre cafouilleuse d’un combat nocturne au tout début) et certaines redites (les échanges galants répétitifs entre un D’Artagnan, un peu gnangnan, et sa promise rougissante), s’avère accrocheur : « On a tous en mémoire, dixit le réalisateur, la trame des Trois Mousquetaires, le sens de l’honneur et de la fraternité qui s’y raconte, l’ample dimension des batailles. Quand je repense à ce que représentait ce roman quand j’étais enfant, c’est quelque chose de vaste qui me vient à l’esprit. »
Manque un grain de folie
- Le cardinal de Richelieu (Éric Ruf) et le capitaine de Tréville (Marc Barbé) discutant des rivalités entre leurs troupes
Aussi, malgré d’indéniables qualités, on l’a vu le casting est solide, auquel on peut ajouter des dialogues savoureux, Romain Duris (Aramis) s’offrant les meilleures répliques du film - merci Alexandre Dumas (« Dumas, ses dialogues sont tellement bons qu’on n’oserait pas y toucher ! », disait le regretté Bertrand Tavernier qui, en guise d’hommage à ce feuilletoniste de génie, avait réalisé l’attachant La fille de d’Artagnan en 1994), ainsi que deux ou trois scènes d’une somptuosité rare (cf. la course-poursuite équestre époustouflante entre d’Artagnan et Milady du haut des falaises normandes, le bal masqué final avec une rusée et cruelle Winter arborant un superbe masque commedia dell’arte d’arlequin dont les parties disparates symbolisent au mieux son identité carnavalesque mouvante), il manque certainement ici un grain de folie (voire d’humour ravageur ! Même si Louis Garrel, en roi angoissé à la diction étrange, y est très drôle), ou davantage encore un parti-pris esthétique plus affirmé (les maniéristes Sergio Leone, John Woo et, dans une moindre mesure, Christophe Gans donnent plus envie de les suivre dans leurs échappées belles), pour que ces Trois Mousquetaires raflent la mise à 100%. Son « classicisme » fait à la fois sa force, c’est de la belle ouvrage comme on dit, et sa faiblesse, le tout, pas assez picaresque et lyrique, ne décollant pas suffisamment pour s’avérer grisant.
- Eva Green est Milady de Winter dans « Les Trois Mousquetaires : D’Artagnan »
Bref, espérons qu’avec sa suite (Milady), annoncée par un classique et bienvenu « À suivre » à la fin de ce premier opus, et puisque le décor est désormais suffisamment planté pour s’autoriser certaines digressions baroques avec ce qui va advenir [aigrie par son échec dans l’affaire du collier de la reine, Milady kidnappe la belle Constance aimée par le mousquetaire D’Artagnan. Aidé de ses compagnons, ce dernier n’aura qu’un seul but : délivrer la captive], Martin Bourboulon, peut-être moins phagocyté par une production Pathé des plus pharaoniques (Dimitri Rassam, le neveu du producteur Claude Berri, et Jérôme Seydoux aux commandes - un Comte de Monte-Christo est aussi dans les tuyaux !) se devant coûte que coûte d’être rentable, lâche davantage la bride pour, in fine, confectionner un objet filmique plus emballant et plus jouissif.
Les Trois Mousquetaires : D’Artagnan (2023 – 2h01). France. Couleur. De Martin Bourboulon. Scénario : Alexandre de la Patellière et Matthieu Delaporte, d'après Alexandre Dumas. Avec François Civil, Vincent Cassel, Romain Duris, Pio Marmaï, Eva Green, Louis Garrel, Vicky Krieps. En salle depuis le 5 avril dernier (la suite, Milady, est prévue pour le 13 décembre prochain).
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