Lieu de fête, lieu de honte, le « Vel d’Hiv » aurait 100 ans
Il y a tout juste un siècle, le 13 février 1910, était inauguré ce qui allait devenir l’un des temples du sport français, le très populaire Vélodrome d’hiver, le « Vel d’Hiv ». Un lieu de fêtes, de plaisir et de spectaculaires joutes sportives dont il ne reste plus rien, hormis le souvenir honteux d’une rafle aux conséquences tragiques...

Avec l’accord des autorités, Desgrange fait aménager par l’architecte Gaston Lambert la superbe Galerie des Machines édifiée en 1889 par Ferdinand Dutert pour l’Exposition universelle. Son objectif : mettre à la disposition des athlètes, tant pour l’entraînement que pour la compétition, une piste cycliste dans une enceinte protégée des intempéries et susceptible d’accueillir des milliers de spectateurs. Inauguré le 20 décembre 1903, ce nouveau vélodrome, situé sur le Champ de Mars devant l’École militaire, donne toute satisfaction et draine rapidement vers sa piste de bois des milliers de Parisiens et de banlieusards passionnés de sport cycliste.
Malheureusement pour Desgrange et les amateurs de vélo, la ville de Paris accepte, sous la pression de l’État-Major, de détruire dès 1909 la Galerie des Machines pour dégager l’espace situé devant l’École militaire et le rendre à l’Armée. Mais Desgrange est opiniâtre : il veut un vélodrome pour reprendre les compétitions suspendues. Il se trouve qu’un espace est disponible, non loin de là, à l’angle du boulevard de Grenelle et de la rue Nélaton. Très vite, le projet prend corps et le 13 février 1910 le tout nouveau Vélodrome d’hiver est inauguré.
De taille monumentale, le Vel d’Hiv, tel qu’il sera très vite nommé, peut accueillir 17000 spectateurs sur des gradins de brique et de béton construits autour d’une piste en bois de sapin. Une immense verrière, supportée par une structure métallique, abrite le tout tandis qu’un millier d’ampoules électriques permet d’éclairer les lieux pour des évènements nocturnes. Desgrange peut se frotter les mains : les cyclistes disposent désormais d’un écrin sans précédent sur le territoire français, les spectateurs affluent en nombre et jamais son journal, devenu L’Auto en 1903, ne s’est si bien vendu.
De la piste à… l’hôpital !
Il manque toutefois, pour éviter que l’engouement du public ne s’effiloche, un évènement de première grandeur qui fera de cette enceinte le temple du vélo et lui donnera un label international incontesté. Desgrange se tourne alors vers le Madison, une compétition de six jours très en vogue aux États-Unis depuis les premières éditions de Boston et Chicago en 1879, gagnées par… Charles Terront, un Français natif de Saint-Ouen qui sera le grand nom – aujourd’hui bien oublié – de la piste en cette fin de siècle. Une compétition au goût très américain – les premiers Six Jours ont pourtant eu lieu à Londres l’année précédente – qui met aux prises des coureurs individuels durant six jours consécutifs sur une piste. On achève bien les athlètes ! Car c’est à l’hôpital et dans un triste état que la plupart des compétiteurs finissent. Au point que des voix s’élèvent dans la presse et qu’il est décidé que le Madison sera désormais couru par des équipes de deux cyclistes.
Plusieurs villes d’Europe, et notamment Berlin, Brême, Bruxelles et Edimbourg, reprennent à leur compte ce type de compétition dans le sillage déjà lointain de Londres. Dénommées Six Jours, ces épreuves mettent en scène, comme aux États-Unis, des équipes de deux pistards censés tourner six jours durant sur la piste en se relayant à l’américaine d’une tape sur le cuissard. Desgrange est impatient de mettre sur pied au Vel d’Hiv les premiers Six Jours organisés en France. Malgré sa pugnacité, Paris sera pourtant devancée par… Toulouse sur le vélodrome de Bazacle. Une expérience douloureuse pour les méridionaux : au bout de trois jours, le caissier s’enfuit avec la recette !
Il faut attendre 1913 pour que les premiers Six Jours de Paris soient organisés, du 13 au 19 janvier. À l’image de ce qui se fait ailleurs, des loges sont installées à l’intérieur de l’anneau pour accueillir bourgeois et snobs venus s’encanailler dans l’ambiance populaire d’une compétition animée par les « pianos à bretelles ». Pour pimenter la course, des primes sont distribuées, et une Américaine exaltée jette des pièces d’or sur l’anneau de bois pour stimuler l’ardeur des coureurs. La compétition sera gagnée par la paire australo-américaine Alfred Goullet-Joe Fogler devant les Français Victor Dupré et Octave Lapize, battus de quelques mètres après 4467,580 km de course ! Malgré quelques imperfections et des longueurs qui seront progressivement corrigées par l’apport des sprints intermédiaires, de compétitions annexes et d’animations plus nombreuses sur la « pelouse » centrale, les Six Jours sont lancés.
Peu à peu, la programmation se diversifie et le Vel d’Hiv accueille non seulement des compétitions cyclistes, mais également de grands combats de boxe tel le championnat d’Europe des welters gagné le 30 septembre 1942 dans une enceinte pleine à craquer et une ambiance de feu par le grand Marcel Cerdan face à l’Espagnol José Ferrer.
Au son de l’accordéon
Rien ne semble devoir menacer le Vel d’Hiv lorsqu’en 1959, victime de l’appétit des promoteurs et de l’indifférence des pouvoirs publics, le prestigieux vélodrome est détruit pour laisser la place à des immeubles fonctionnels et laids, à l’image de cette annexe du ministère de l’Intérieur qui abritera la DST. Le truculent acteur André Pousse, roi des Six Jours, en aura marqué les dernières années par son talent de pistard. Son ami Jean Gabin s’en amuse : « T’as bien fait de faire détruire le Vel d’Hiv, Dédé, comme ça personne te piquera ton record du tour ! » Un André Pousse qui évoque l’ambiance de la vieille enceinte disparue, l’accordéon omniprésent sous les doigts virtuoses d’Yvette Horner, les gradins emplis d’ouvriers et d’employés venus là en famille, munis de casse-croûtes au saucisson et parfois de… pots de chambre ! Ces gradins, parfois tumultueux, que l’on désignait alors sous le mot de « populaires » par opposition aux très coûteuses loges, situées aux abords de la ligne d’arrivée, où festoyait un mélange interlope de personnalités du Tout-Paris et de malfrats. « En bas, c’était champagne-caviar, en haut vin du Postillon-boîtes de sardines » se souvient André Pousse au micro de Robert Chapatte lors de la renaissance de Six Jours en 1984 dans le tout nouveau Palais Omnisports de Paris-Bercy. Une ambiance perdue pour toujours : les Six Jours du POPB se retrouveront jamais l’atmosphère d’antan et disparaîtront définitivement en 1999.
Le temps passant, ce n’est plus le souvenir de ces moments de passion sportive et de ferveur populaire qui caractérise le défunt Vel d’Hiv, mais celui de la rafle qui est désormais accolé à son nom. Les 16 et 17 juillet 1942, sur un ordre des nazis relayé par Louis Darquier de Pellepoix, commissaire général aux Questions juives, est organisée la plus grande rafle de Juifs menée en France. Conduite par les policiers et les gendarmes avec le concours d’agents et de véhicules de la RATP, elle permettra l’arrestation de 12884 personnes, dont un tiers d’enfants. Tandis que certains sont directement conduits au camp de Drancy, près de 7000 d’entre eux sont amenés au Vel d’Hiv et parqués là durant cinq jours sans manger et en ne disposant que d’un unique point d’eau. Une centaine de prisonniers se suicident. Les autres sont emmenés vers les camps de transit de Beaune-la-Rolande, Drancy et Pithiviers d’où ils partiront dans des wagons plombés vers les camps d’extermination nazis.
Il ne reste rien du Vel d’Hiv et des évènements qui s’y sont déroulés, à l’exception d’une plaque commémorative de la rafle apposée sur l’un des murs de la DCRI (Direction centrale du Renseignement intérieur)** en mémoire des victimes de la barbarie. Une enceinte policière, comme une ironie de l’histoire !
* Situé à la porte Maillot, ce vélodrome avait été dénommé ainsi en hommage à William Cody, alias… Buffalo Bill, qui avait présenté trois ans plus tôt son fameux spectacle sur le même emplacement.
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