« Mademoiselle Chanel en hiver » Caroline Silhol... glamour au Théâtre de Passy
Le rideau s'ouvre sur une silhouette impériale, élégamment vêtue pantalons noirs, chemisier blanc, collier de perles iconique, tout le style Chanel est concentré sur ce profil se détachant sur une tapisserie ''art déco'' aux arabesques orangées et or. La blonde Caroline Silhol portant perruque brune, très glamour, le regard suspendu sur les volutes d'une cigarette est à s'y méprendre, devant nos yeux ébahis, Mademoiselle Chanel en chair et en os.
Sa pensive impassibilité sera soudainement interrompue par l'arrivée impromptue du diplomate et écrivain Paul Morand qui, pour l'heure, vient lui apprendre que leur ami commun, le poète Jean Cocteau, a été arrêté et doit comparaître devant le Comité d'Epuration.
Paul Morand rend visite régulièrement à la grande dame de la mode dans le salon cossu d'un très chic hôtel à Saint-Moritz en Suisse. Nous sommes en 1946 et tous deux sont exilés sur les bords du lac Léman. Il est reproché à Paul Morand, foncièrement antisémite, d’avoir été, durant la guerre, pétainiste et collaborationniste ainsi qu’à Gabrielle Chanel d’avoir entretenu une liaison avec Hans-Gunther von Dincklage, officier allemand recherché comme criminel de guerre, ce qui aurait menacé de lui attirer de graves ennuis si elle était restée dans sa boutique de la rue Cambon à Paris.
Deux tempéraments qui se ressemblent, deux contemporains poussés à l’écart d’un monde se retrouvent donc régulièrement devant une tasse de thé servi par un délicat et affable maître d'hôtel (Thomas Espinera) qui veille à ce que rien ne manque à Coco Chanel. Cette dernière s'ennuyant mortellement dans ce huis clos commence à dicter ses mémoires que Paul Morand recueille soigneusement dans un carnet au fil des séances.
Il la questionne et Coco Chanel raconte tel un kaléidoscope son enfance, sa liaison avec Boy Capel, un homme providentiel qui a financé son installation à la ''capitale'', ses relations avec Misia Sert surnommée ''la reine de Paris'', ses amitiés prestigieuses avec des artistes comme Picasso mais aussi sa solitude, voire sa marginalisation, ce qui a fait son originalité, son aspect révolutionnaire dans la couture.
« C'est la solitude qui m'a trempé le caractère que j'ai mauvais, bronzé l'âme que j'ai fière et le corps que j'ai solide ». Personnalité difficile, irascible, tyrannique, fermée et orgueilleuse, elle donne ses avis parfois à l'emporte-pièce sur son métier, sur ses goûts. « Sous la méchanceté, il y a la force, sous l’orgueil, il y a le goût de la réussite et la passion de la grandeur ».
Les dialogues sont très rythmés, parfois d’une ironie dévastatrice mais aussi empreints d’émotion et de poésie. Ils reflètent l’état d’esprit tempétueux de la styliste en arrêt de travail forcé dans cet écrin hôtelier. Désinvolte en apparence, elle bouillonne littéralement de l’intérieur.
A 63 ans, désœuvrée pour la première fois, rongeant son mors, elle ne digère pas d'être recluse, sans moyen de créer ses modèles, elle qui se moque ouvertement des fanfreluches et des robes excentriques aux motifs fleurs que portent les femmes, on dirait qu'elles sont habillées avec des rideaux persifle-t-elle. Au cours de ses confidences, elle se montre d’une sévérité, d’un pessimisme absolu sur les qualités des femmes, elle déclare qu'elle veut voir toutes ces dames en noir, sans doute marquée par les deuils, les souffrances, les privations qu’elle a constatés pendant la guerre.
En contrepoint, tout au long de la pièce, avec un même charme aguicheur, Caroline Silhol offrira tout un défilé de tenues chics et sobres qui ont fait la renommée de la célèbre styliste, toujours dans ses couleurs de prédilection, le noir et le blanc (costumes Jean-Daniel Vuillermoz).
Face au ton caustique et acéré de Mademoiselle, Paul Morand a la répartie très aiguisée. Christophe Barbier le joue avec beaucoup d’humour et de naturel, mélange d'intelligence et de bassesse. Leur véritable complicité vieille de 25 ans permet à Morand de répliquer avec aplomb à Chanel et lui dire ses quatre vérités quand il trouve qu'elle exagère.
Ces échanges parfois féroces, drôles, cruels, sans concession sur la haute société cosmopolite qu'ils fréquentent s’interrompent brutalement quand apparaît de manière inopinée le baron allemand Von Dincklage dont Mademoiselle était tombée amoureuse pendant l'Occupation. Fin du premier acte.
Gabrielle semble à nouveau être attirée par cet homme dont elle voulait chasser le souvenir encombrant. Un système de décor amovible permet de glisser au second acte en basculant d'un salon somptueux à une chambre à coucher toute teintée de bleu à Lausanne où elle est allée retrouver cet ancien amant interprété par Emmanuel Lemire qui, très à l’aise en adoptant un curieux accent pour endosser le rôle d'un nazi, cherche subtilement à montrer les failles de son personnage follement épris. Ce deuxième acte s'achèvera par une tentative de suicide du baron après des propos au vitriol lancés par l'indomptable Coco. Après ce dramatique intermède, ils ne se reverront plus et Von Dincklage se réfugiera à Majorque.
Dans un décor très chic et intimiste mis en scène avec une extrême finesse par Anne Bourgeois, Caroline Silhol incarne la grande prêtresse de la mode avec beaucoup de panache et de désinvolture. Toute la joute verbale déclamée avec ses deux partenaires est brillamment écrite par Thierry Lassalle.
Le texte est inspiré des conversations restituées dans "L'allure de Chanel" que Paul Morand, accédant bientôt à son insatiable ambition d’être élu à L’Académie Française, aura rédigé traçant ainsi le portrait d’une femme d’origine modeste qui sut imposer au milieu mondain de Paris et du monde entier sa vision révolutionnaire du vêtement féminin aux lignes épurées. Une distinction naturelle, une signature inimitable… La classe incarnée sur la scène de l’adorable Théâtre de Passy.
photos 1 à 4 © LOT
photos 5 à 7 © Theothea.com
MADEMOISELLE CHANEL EN HIVER - ***. Cat'S / Theothea.com - de Thierry Lassalle - mise en scène Anne Bourgeois - avec Caroline Silhol, Christophe Barbier, Emmanuel Lemire, Thomas Espinera, Bokai Xie & Lucie Romain - Théâtre de Passy
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