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Mais qui est donc ce gamin dans l’image ? Du « Garçon » au « Cinquième plan de La Jetée »

Chose étonnante (© photos de l'article VD, en partie seulement), deux films sont sortis récemment, l'un passé à la télé sur Arte ainsi qu'à la Cinémathèque française de Paris (Le Cinquième plan de "La Jetée", 2024, de Dominique Cabrera), l'autre au cinéma (il est toujours en salles, et ce depuis le 26 mars dernier, remportant un joli petit succès : Le Garçon, 2023, de Zabou Breitman et Florent Vassault), qui reposent, par hasard, sur le même dispositif filmique : partir d'une photo retrouvée, où s'y trouve un gamin anonyme, pour tenter de l'identifier — qui est ce garçon tout mignon dans l'image ? — et de raconter son histoire, tout en se penchant sur l'objet-photo comme tremplin à souvenirs et sur les liens vertigineux entre fiction et documentaire, ou plutôt « docu-enquête », oscillant entre pudeur et révélation, afin de développer une réflexion sur la condition humaine Et, selon mon humble avis, ces deux longs-métrages hybrides, parce que mélangeant allègrement les genres — ce sont des espèces d'OFNI (Objets Filmiques Non Identifiés) — s'avèrent suffisamment enthousiasmants et passionnants à suivre, pour leur accorder un éclairage qu'ils méritent, d'autant plus qu'ils se montrent, dans leur forme et dans leurs propos, modestes, attachants et profondément humanistes, partant malicieusement, et non sans émotion, de l'ultra-local et de l'individualité (d'une histoire personnelle, parfois douloureuse) pour atteindre l'universel et des questions existentielles qui nous concernent tous.

Chercher le garçon, ou quand le temps suspend son vol (de cigogne), entre rires et larmes

Cherchez le garçon ! Comme chantait le groupe Taxi Girl au début des années 1980. Avec Zabou Breitman (Se souvenir des belles choses, 2001, sans oublier le magnifique Les Hirondelles de Kaboul, César 2020 du meilleur film d'animation, et l’on se souvient d’elle comme actrice dans des films comme La Crise, Cuisine et dépendances et L’Exercice de l’État), et Florent Vassault (monteur nommé aux César pour La Belle Époque, 2019), tout débute avec les photos d’une famille, une famille qui nous est inconnue et pourtant qu’on a comme l’impression de connaître, selon le principe de « l’inquiétante étrangeté » chère à Freud. Au centre (de l’attention) : ce garçon blondinet, aux cheveux courts, celui qui donne le titre à leur film atypique, en culottes courtes, peut-être gêné par le soleil (yeux légèrement plissés), posant de manière gracile, comme s’il reprenait, sans le vouloir, le fameux contrapposto élégant du David de Michel-Ange. Qui est-il ? Quelle est son histoire ? Et si chaque individu, petit ou grand, ou petit devenu grand (comme ici), devenait le héros involontaire d’un conte ? On se croirait dans une investigation, au sein de l’image, de la plasticienne, adepte de la mythologie personnelle, Sophie Calle (source d’inspiration revendiquée par l’actrice-réalisatrice et touche-à-tout Zabou). Nous est ainsi proposée une enquête familiale vertigineuse, où réalité et fiction s’entremêlent jusqu’à se confondre parfois.

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Les réalisateurs, Zabou Breitman et Florent Vassault, ont consulté des dizaines de photos, couvrant plusieurs décennies, pour retrouver la trace d’un gosse et de sa famille

À l’origine, il y a une idée — géniale — de Zabou Breitman, co-réalisatrice du film avec le documentariste Florent Vassault. En toute franchise, cependant, et ce afin de rendre à César ce qui appartient à César, ce concept fascinant est emprunté à la romancière Isabelle Monnin, d’ailleurs évoquée nommément dans le film (peut-être ainsi pour s’éviter tout plagiat, en citant directement sa source comme point de départ), qui avait signé un livre-disque avec Alex Beaupain baptisé Les Gens dans l’enveloppe. « L’idée, c’est de dire que chaque vie est une aventure qui mérite d’être racontée », résume Zabou, femme artiste attachante (esprit joueur), qui ajoute, afin de préciser les choses… de la vie : « L’idée de récupérer ces photos d’inconnus, et de parier que chaque personne sur terre mérite qu’on raconte son histoire, a germé lentement. Ainsi que l’idée d’un mélange indissociable entre la fiction et le documentaire. » À l’arrivée, c’est elle qui s’est chargée de la partie fictionnelle du film, bénéficiant de la présence à l’écran d’Isabelle Nanty, de François Berléand et d’un certain Damien Sobieraff, aux faux airs d’Emmanuel Macron (ça parasite un peu !), laissant la partie documentaire — le meilleur du film — à Florent Vassault.

Sur les traces du pas suspendu de la cigogne

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Grande source d’inspiration pour Zabou Breitman : la plasticienne Sophie Calle, croisant autobiographie et récit fictionnel (©photo polaroid VD), ici, au début des années 2000, Salon du livre, Paris

Dans un Paris Match récent (#3959, 20/26 mars 2025, article « Zabou Breitman, photos de familles », pp. 8-11, propos recueillis par Fabrice Leclerc), la réalisatrice, des plus inspirées, précisait encore, quant à ses sources : « Je jouais sur scène Des gens, inspirée du travail de Raymond Depardon [pour rappel, en 2008, Zabou avait rencontré un beau succès, tant public que critique, avec cette adaptation théâtrale audacieuse de certains docus de Depardon où elle restituait des bribes de la vie de « héros anonymes » en honorant leur mémoire via des témoignages], et un soir une spectatrice est venue me voir après la pièce et m’a dit : "Pourquoi ne feriez-vous pas quelque chose de semblable et d’aussi osé au cinéma ?" Sur le coup, j’ai été décontenancée. Puis l’idée a fait son chemin. Je lisais René Char, qui évoquait "les mots qui savent de nous des choses que nous ignorons d’eux". Je n’étais pas la première à explorer cela, il y avait eu d’autres tentatives, dont le travail de Sophie Calle, évidemment. Puis le déclic, ce sont les photos, trouvées sur Le Bon Coin et dans une brocante. Je veux savoir qui est ce garçon inconnu entouré de ses parents. Mais j’ai aussi envie de l’imaginer. Deux approches. Et, donc pour cela, il fallait que nous soyons deux. Car je n’ai pas le talent de documentariste. Je connaissais Florent Vassault, documentariste et monteur de génie, il avait travaillé sur mon film L’homme de sa vie. Il enquêterait, moi je ne saurais rien de ce qu’il apprend. Je voulais juste qu’il me donne des verbatim des témoins qu’il rencontrerait. Que je voulais utiliser dans ma partie fictionnée.  »

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Zabou Breitman (©photo polaroid VD, convertie en noir et blanc), dans une Fnac parisienne, le 12 janvier 2002, pour rencontrer son public, autour de la sortie en salles de son long « Se souvenir des belles choses »

Puis, elle poursuit : « Nous ne savions même pas si ce projet un peu fou aboutirait à quelque chose, s’il y aurait matière à un film. Et si l’enquête était résolue trop facilement ? Et s’il n’y avait pas une histoire derrière cette photo et les cinquante ans de vie de cet inconnu ? Et si les témoins ne voulaient pas parler ? Nous sommes en mai 2020 et on se lance. Quelques producteurs et investisseurs osent nous suivre. Isabelle Nanty et François Berléand aiment l’idée et acceptent sans une ligne de scénario, évidemment. Et nous voilà cinq ans plus tard… Florent a enquêté et tourné sa partie en premier. Puis j’ai fait la mienne. Ni moi ni mes acteurs ne savions le fin mot de l’histoire. Florent, oui. Puis, nous sommes entrés en salle de montage. C’est là que le film est né. On se disait qu’à un moment, l’enquête réelle allait forcément prendre le pas sur la partie imaginée, que cette dernière allait devenir anecdotique. Mais elle finit par agir comme une sorte d’antidote. »

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L’acteur François Berléand (©photo polaroid VD), jouant dans « Le Garçon » (2023), dans une Fnac de Paname, le 6 novembre 2003

Effectivement, c’est vraiment un film de… montage, fait de bouts assemblés hétérogènes, entre captations du réel (images d’archives, micro-trottoir...) et scènes de fiction jouées par des comédiens professionnels se faisant, en quelque sorte, les doubles fictionnels des inconnus évoqués par Vassault dans son enquête de « voisinage » et en régions. Pour identifier cet inconnu de la photo, ou plutôt des photos, issues d’une quelconque brocante, on passe par l’Alsace, la Normandie, Paris et jusqu’à la Bourgogne ! On assiste à un roboratif jeu de pistes, oscillant entre réalité et fantasme, fiction et documentaire, vérisme et réinvention, lancement enchanteur et destin tragique, souvenir et oubli, vie minuscule d'une banalité confondante et épopée intime, humour et mélancolie ; ce « docu-enquête », au récit gigogne (ou millefeuille), il y est d'ailleurs question à un moment donné d'un ancien bistrot parisien dont le drôle de nom « La cigogne basque » semble tout droit sorti d'un poème-collage de Prévert ou d'un film surréaliste brindezingue de Quentin Dupieux !, est, dans sa forme, une réjouissance filmique, ainsi qu’une curiosité rare à découvrir fissa en salle de cinéma, car faisant un bien fou - je vous le conseille ! Avant le film, lors de la séance (circuit UGC), il y avait une pub, misant sur la performance, montrant un jeune mec voltigeant dans les airs en disant, en voix off, un truc (rasoir) du genre qu’il veut ne pas être « rien » mais « rivaliser avec les plus grands ». En quelque sorte, Zabou et son complice Florent Vassault prennent le contrepied de ce mot d’ordre excluant - comment ne pas se sentir tout petit face à cette injonction à la grandeur avec l'idée absolutiste de laisser une trace immortelle ? - en misant sur le portrait d’un homme anonyme, que l’on suit sur cinquante ans, des années 40 aux années 90, afin de nous livrer, non pas un énième biopic sur une figure héroïque (de Bob Marley à Bob Dylan en passant par Lee Miller, les Beatles - 4 biographies filmées à venir, rien que ça ! -, par Sam Mendes, Amy Winehouse), mais, a contrario, sur un biopic d'un parfait inconnu. Il fallait l'inventer et ils l'ont fait !

Sans cesse, l’on s’interroge, et ce de manière quasi abyssale, le dialogue alerte entre fiction et documentaire participant pleinement d’un crescendo émotionnel, au parfum existentiel, si ce n’est philosophique, nous rappelant, à juste raison, que chaque vie est une aventure, même celle d’un anonyme et non pas celle d’une star bankable ou d'une vedette en vue (j’ai vite pensé à Malraux : « Une vie ne vaut rien mais rien ne vaut une vie »), et mérite d’être racontée.

La fiction comme antidote à la brutalité crue du réel

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Quid de ce môme ?

Qui est l’inconnu sur la photo ? Est-il heureux ou malheureux ? Est-il encore de ce monde ? Qu’est-ce qui compose une vie ? Quels indices, dans et au-delà de l’image, en tant que traces d’une vie passée, pourraient nous dire enfin qui il est ? Et comment représenter, entre identité, oubli et mémoire, les témoignages et les souvenirs des témoins ?

Pour la petite histoire, il faut savoir que les deux réalisateurs ont acheté un lot de photos de famille anonymes, et ils y ont repéré un garçon, au regard triste, présent sur presque toutes les images, d’abord enfant, puis ado et adulte. Le je(u) de piste pouvait commencer. Comment ? Via les détails, tels que la taille d’un sapin, qui pouvaient aider à délimiter une région, ou encore la présence d’un clocher, qui permettait, soudain, de retrouver un village, comme dans une vieille chanson de Trenet : « Il existe, précisait Florent Vassault pour Le Parisien, quotidien partenaire du film, un site Internet qui répertorie tous les clochers de France.  »

En outre, la chance entrait assez souvent en ligne de compte, comme lorsqu’il a vite pu identifier un lieu parce qu’il a reconnu, sur une photo, la présence d’un monument croisé il y a peu, ou quand il a aperçu le nom d’un village au dos d’un cliché.

Puis, le cinéaste a aussi utilisé un service de navigation virtuelle (Google Street View) pour retrouver le lieu exact d’un muret devant la Manche, sans oublier, bien sûr, de sa part, le recours aux réseaux sociaux, dont Facebook. Un mot éclairant de cet enquêteur de fortune, adepte du système D (cité par Catherine Balle dans le papier « La vie recomposée du "Garçon" », in Aujourd’hui en France #8524, 26/03/2025, p. 29) : « J'avais peur de ne jamais retrouver le garçon. Ou, au contraire, que l'enquête aille trop vite. Mon angoisse à chaque seconde, c'était que lui ou sa famille ne veuille pas qu'on fasse un film sur eux. Si j'avais un non, il n'était pas question qu'il existe. » Quant à sa partenaire Zabou, toujours dans le même support, elle complétait : « Quand j'ai tourné ces séquences [scènes de discussions avec des comédiens qui incarnent "Le Garçon" et ses proches], je ne savais rien de l'enquête de Florian. Je voulais seulement qu'il m'envoie des extraits d'interviews des témoins et j'ai demandé à mes acteurs de rejouer ces répliques. »

Le Garçon (2023), réalisé par Zabou Breitman et Florent Vassault, nous plonge ainsi dans un mélange prenant et surprenant entre documentaire et fiction, enquête mémorielle et réflexion sociologique, réel et imaginaire, d'autant plus qu'il est truffé d’allers-retours temporels troublants, et touchants, ainsi que de fausses pistes et d'espoirs déçus, parfois contrebalancés par une ou deux fulgurances providentielles. Certes, le côté artificiel de greffer à l'enquête une partie fictionnelle gêne un peu au départ, mais l’on s’y fait vite, ce docu-fiction trouvant rapidement sa vitesse de croisière, pour nous séduire grandement (du 4 sur 5 pour moi), tant les comédiens choisis, pour « fictionner » le réel, avec Berléand et Nanty en tête, ont un capital sympathie fort (ils pourraient être nos parents ou de vieux amis ratiocineurs proches), et tant le relais fiction (à la rescousse du)/réel, possiblement décevant, prendra tout son sens à la toute fin du périple filmique.

À dire vrai, ce n’est pas simplement un film que l’on regarde, mais une expérience émotionnelle, à expérimenter, qui semble nous raconter notre propre histoire, celle des souvenirs (Zabou dit, à raison, au début du film quant aux clichés retrouvés dudit garçon : « C’est marrant parce que, quelle que soit l’époque, on la reconnaît la photo, on la reconnaît sans la connaître, quoi. Tout le monde a cette photo »), des émotions ainsi que des instants volés, ou figés pour l’éternité (la photo-souvenir). En effet, difficile devant la photo jaunie de ce parfait inconnu, entouré de sa famille, de ne pas penser à ses propres souvenirs d'enfance, à nos rêves de jeunesse et à ce qu'on est devenu plus tard, comme dans la chanson de Souchon, à sa façon « chanteur-sociologue » à la Jean-Jacques Goldman, Le Bagad de Lann-Bihoué (1978), avec son refrain programmatique entêtant, et auto-réflexif, « Tu la voyais pas comme ça ta vie  ».

Et, mine de rien, sans du tout tomber dans des impasses théoriques fomentées par une pseudo-modernité absconse, ce film se fait aussi, par-delà sa veine biographique, jolie réflexion sur le médium photographique et sur l’objet-photo. Vouloir retrouver l’identité d’une personne oubliée dans un vieux cliché, est-ce du voyeurisme mal placé ou un devoir de mémoire altruiste ? Une photo est-elle la vérité d’un instant T ou bien n’est-elle que mise en scène ? Sachant que l’on pose rarement naturellement le temps d’une photo prise, on cherche naturellement, et artificiellement, à faire bonne figure en esquissant un sourire ou en prenant une pose « cool » nous mettant si possible en valeur. Ne se souvient-on pas, par exemple, d’une photo d’archive, autrement dit historique (présente dans moult livres d’Histoire, parce qu’icône du photoreportage), mise en scène, c’est-à-dire possiblement « truquée », de Robert Capa sur un champ de bataille - la mort d’un soldat républicain au front - du temps de la guerre d’Espagne (1936) ? Ou bien, encore plus proche de nous, temporellement et géographiquement, du fameux Baiser de l’Hôtel de ville (1950) de Robert Doisneau dont on aimerait croire qu’il s’agit d’une captation puissamment romantique et miraculeuse du réel, faisant rêver, alors qu’il s’agit bel et bien d’une mise en scène avec un couple d’acteurs de théâtre ?

Revenons au Garçon pour voir ce qui se trame dans l’image, sous la surface des roses et derrière le vert paradis des amours enfantines. Image d’Épinal cachant peut-être bien des couleuvres ou des lièvres à débusquer. Eh oui, quelle est donc cette réalité cachée à l’envers des photos récoltées par Breitman et Vassault dont parle Le Garçon ? Au cœur du film, il y a donc UN garçon, ce garçon, bien sibyllin. Comme les réalisateurs-enquêteurs et les personnes interviewées au fil du film (ce qui donne droit à des passages savoureux, telle ici une querelle autour d'une image-mystère à identifier entre un vieux fils et sa mère, ou là une vieille dame chic avec son chien qui n'arrive plus à fermer sa porte d'appartement tant elle est contente de voir du monde chassant sa solitude, ou encore, plus loin, l’écho de propos amusants, de petits et de grands, retrouvant le ton enfantin d’Amélie Poulain, on dirait du cinéma de proximité, comme « Mais est-ce qu'on va les retrouver ces gens-là ? » / « Mais c'est sûr que dans 500 ans on se souviendra pas de nous » / « Même pas 500 ans. Allez, dans 30, 40 ans, 50 ans maximum, on nous aura oubliés » / « Qu'est-ce que je peux dire de la vie de ce monsieur ? Il est arrivé à ce qu'il voulait dans sa vie, cet homme-là » / « Il a souffert » / « On sent qu'il y a le rire qui va bientôt fuser, vous voyez pas ? » / « Je sais pas s'il est frustré ou s'il est gêné. En tout cas, il a le regard fixe » / Moi je l'appellerais bien Georges » / « Je lui mettrais bien Jean-Michel  » / « Félix  » / « Antoine ! » / « Charles  » / « Richard Thomson ! »), les spectateurs que nous sommes recherchons ses racines, celles d'un passé oublié.

Plutôt qu'une quête linéaire, Le Garçon nous embarque, entre rires et larmes, où l’humour n’est jamais bien loin de la mélancolie, dans un enchevêtrement de moments, façon puzzle à assembler pour toucher du doigt la vérité nue d’un - son fabuleux destin ? - être humain, une succession de fragments de vie qui s'entrelacent avec une rare justesse. On y retrouve tous les ingrédients qui composent notre propre existence : des rires partagés, des silences lourds, des non-dits, des piques prononcées à table, des souvenirs heureux et d’autres plus amers. C’est ce mélange subtil qui crée, indéniablement, un lien direct avec le regardeur, en salle obscure (c’est plus facile pour pleurer), qui se reconnaît inévitablement dans ces scènes de vie, parfois cocasses, parfois poignantes.

Ce qui frappe, c’est cette capacité qu'ont les réalisateurs à mêler documentaire et fiction sans qu'on s'en rende vraiment compte. Par moments, l'impression est que ce que l’on voit à l’écran pourrait être un simple moment volé à la réalité. À d'autres, on se rappelle qu'il s'agit bel et bien d’une fiction, et même lorsqu’il s’agit de la part documentaire du film, soigneusement construite (mise en abyme au programme). Cette fusion entre le réel et l’imaginaire, presque invisible, permet au film d’entrer directement en résonance avec nous. Selon un effet spéculaire, abolissant habilement la frontière entre vérité et invention, hiatus ou solution de continuité qui disparaît peu à peu, et c'est là que la magie du film opère, dans cette joyeuse confusion des genres : les personnages, qu'ils soient réels ou fictifs, deviennent des miroirs, à peine déformants (soit dit en passant, ce film, respectueux des gens, ne tombe jamais dans la facile caricature relevant d’une geste parisianiste contemporaine condescendante qui viendrait se moquer des « petites gens » appartenant à la France provinciale « ordinaire » de ces dernières décennies) : l’on se reconnaît bientôt dans leurs hésitations, leurs joies et tristesses, leurs petites victoires et leurs blessures cachées ; chaque scène a cette capacité de nous faire sourire, puis de nous émouvoir, souvent sans prévenir, parce qu’à coup sûr, elle vient nous toucher directement en parlant, sans chichis ni faux-semblants, de nous, entre gris clair et gris foncé (la vieille photo sortie des oubliettes), de nos vies, à la fois simples et complexes. 

La mise en scène, sobre mais pleine de détails, ne cherche pas à en faire trop. Chaque geste, chaque mot, semble avoir sa place, comme une pièce d’un Meccano qu’on assemble au fur et à mesure. Il n'y a pas de grands effets dramatiques, mais un travail minutieux sur les regrets rentrés, comme enfouis, ou résolument en fuite, les silences et les regards, teintés d’une nostalgie douce-amère, qui disent tout autant que les paroles. Et c'est là que le film, à la fois léger et profond, nous touche au plus près, sa force résidant aussi dans sa capacité à nous rappeler que le passé, même lointain, n’est jamais vraiment révolu. Les souvenirs, les regrets, les non-dits, sont là, toujours vivants, présents, actifs, parfois brûlants. Pour ma part, je ne suis pas près d’oublier deux moments déchirants du film : lorsqu’une vieille dame, brusquement quittée dans le passé, se met à chanter « Il est mort le soleil quand tu m’as quittée », on sent alors bien que, malgré les dizaines d'années passées, sa plaie sentimentale est toujours vive en elle. C’est poignant. Puis cet autre moment quand un autre « personnage », pourtant simple quidam (témoin interviewé), compare la destinée à une aspirine qui se dissout dans de l’eau et dont il ne reste pas grand-chose : nés poussières, nous redeviendrons poussières, inexorablement, mais si possible d’anges. C’est émouvant et, au passage, si juste.

Et face à ce garçon d’élection, animé que nous sommes en le regardant car cherchant obstinément à comprendre l’histoire de cet autre, qui n’a pourtant de prime abord rien à voir avec nous, simples mortels tout comme lui, nous pousse inévitablement à réfléchir à nos propres racines, à nos propres questions sur d’où l’on vient et qui l’on est.

Puis, attention spoiler, il y a ce superbe moment : puisqu’on apprend que, contrairement aux apparences, ce petit garçon, qui a tout l’air de prime abord d’être le petit dernier choyé de la famille idéale, devenu grand, n’a pas eu un parcours de vie si heureux (il fut rejeté pour son homosexualité, finissant sa vie tristement et infiniment seul, et même blessé par balles à la jambe), la fiction choisit alors de dépasser la triste réalité, aux allures de morne plaine abîmée par un destin cabossé, pour le rendre définitivement heureux. Zabou choisit, via son acteur principal (Damien Sobieraff), de le voir toujours souriant et rigolard, auprès de son compagnon chevelu période seventies. C’est beau, non ? Alors qu’on se rend peu à peu compte que l’enquête documentaire se tourne malheureusement vers un passé douloureux (un homme évité, tombé aux oubliettes, avec une existence presque effacée), le binôme réalisateur choisit, coûte que coûte, parce qu’il est visiblement « amoureux » de ce garçon, de développer une fiction, heureuse (un antidote à la crudité du réel), regardant vers l’avenir… solaire.

Au final, Le Garçon n’est pas qu’un film, c’est une expérience de vie, à savoir une invitation à regarder en arrière, à revivre des moments, à rire et à pleurer ensemble, la salle de cinéma, en tant que « transport collectif » (entendre le rire complice des autres spectateurs), s’y prêtant bien. C’est un « petit » long-métrage qui, bien après la projection, reste discrètement, mais assurément, dans un coin de la tête, tel un « film ami » nous rappelant que nos histoires, aussi simples soient-elles, valent la peine d’être racontées : il n’y a pas que les grands hommes panthéonisés qui méritent sacralisation. Les « petits » aussi méritent d’être ramenés de la marge au centre !

Alors, tout compte fait, je ne sais pas si cet attachant Garçon est un chef-d’œuvre, terme un peu galvaudé, utilisé un peu à toutes les sauces, puis qualificatif un peu trop exagéré qui pourrait le rendre vite pompeux, distant et prétentieux, alors qu’il est tout sauf ça : c’est un film chaleureux « fragile », de guingois, banal même dans sa trame (puisque c'est bien connu, les gens heureux n'ont pas d’histoire), qui, pourtant, dans sa simplicité même, réussit à toucher le cœur, à faire sourire et à émouvoir, sans jamais pourtant sacrifier à l'excès, au voyeurisme ou à la sensiblerie téléguidée. En sortant de la salle, on n’a qu’une envie, pas loin d’être irrésistible, celle d’aller se plonger fissa, seul ou en chœur, dans ses propres photos de famille. Qui sait ? Des secrets ineffables s’y trouvent peut-être encore, valant bien le prestige d'un grand film ou d'un roman classique consacré. Puisqu’après tout, le film que l’on se fait, en voyant un film (ou en lisant un roman ou en écoutant une musique), compte autant, si ce n’est plus, et d’autant plus s’il est bien fait (une proposition de cinéma ouverte laissant la part belle à l’imaginaire du spectateur curieux), que l'objet-film fini en question.

Le garçon (2023 - 1h37). France. Couleur. De Zabou Breitman, Florent Vassault. Avec Damien Sobieraff, Nicolas Avinée, Isabelle Nanty, François Berléand, Florence Muller, Jean-Paul Bordes. En salle depuis le mercredi 26 mars 2025.

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Le petit Jean-Henri, à droite, avec ses parents, à Orly, en 1962 : cette photo est le cinquième plan de « La Jetée » de Chris Marker

Nous fûmes un certain dimanche de l'an 1962, à Orly

Lundi 31 mars dernier, à une heure 25, sur Arte, trop tard ! (euh, l'art, c’est chiant ?), un documentaire-enquête (« film-dispositif » à l’instar du Garçon), par Dominique Cabrera (Le Lait de la tendresse humaine, L’Autre côté de la mer, Corniche Kennedy), au titre explicite, et pour autant quelque peu crypté : Le Cinquième plan de "La Jetée" (France, 2024, image : Karine Aulnette, 100 mn., inédit, ce film a été récompensé par la Colombe d’or au dernier festival du documentaire de Leipzig), « rejouant », en le décortiquant de près (analyse de ses images arrêtées, ou « gelées », en noir et blanc, enfin surtout une, que l’on peut définir, sans l’enfermer, comme « familiale »), le court-métrage célèbre – La Jetée - de Chris Marker (1921-2012), alias Monsieur Chat (un artiste de l'ombre et y tenant, qualifié non seulement dans le film d’ « ombre tutélaire », mais aussi de « gentil fantôme »), tourné, en partie, sur… la jetée de l'aéroport d'Orly en 1962, l'année de l'indépendance algérienne.

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Image fixe tirée du film d’anticipation, « La Jetée » (1962), de Chris Marker

La Jetée : chef-d'œuvre d'anticipation impérissable (présenté par son générique comme un « photo-roman »), connu pour son format unique, composé presque exclusivement de photographies fixes, et donc fabriqué avec très peu de moyens (une sorte de film-essai post-apocalyptique de science-fiction, fait maison et lo-fi !), et pourtant si puissant, si dense, si pénétrant, si troublant, si visionnaire (il a inspiré L'Armée des 12 singes, 1995, de Terry Gilliam, avec Bruce Willis, et s'est laissé lui-même inspiré par le père Hitch pour Vertigo (1958), plusieurs séquences de Sueurs froides, sur fond de cristallisations fétichistes obsédantes, y font explicitement référence, dont celle du tronc d'arbre symbolisant le Temps, le grand thème du Marker et de son cinéma « plasticien » en général, avec le souvenir (fusionnant passé/présent/futur), les entrechats et la frontière ténue entre réalité et rêve) : « Ceci est l'histoire d'un homme marqué par une image d'enfance », avec sa phrase-choc finale : « Il comprend alors que le souvenir d'enfance qui l’avait marqué n’était autre que celui de sa propre mort. »

N'en jetez plus ! Un homme, en 2018, s’est reconnu dans la culte "Jetée" de Chris Marker

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Précision chirurgicale : c’est Lui (petit Jean-Ri), sur ce « Cinquième Plan de La Jetée » !

L’histoire se déroule dans un Paris dévasté après la Troisième Guerre mondiale, du côté notamment du palais de Chaillot (on y voit également la grande galerie de l'Évolution du Museum national d'histoire naturelle et le Jardin des Plantes), où les survivants vivent dans des abris souterrains. Un homme est choisi pour voyager dans le temps grâce à des expériences menées par des scientifiques. Il devient, ni plus ni moins, leur cobaye en étant envoyé dans le passé et le futur, où il rencontre une femme qu’il aime (ce court, dans ses stases fascinantes, avec ses êtres-fantômes à l’écran, le héros et cette « fille de rêve », peut aussi faire penser à Solaris (1972) du génial Andrei Tarkovski, c’est dire sa puissance de feu, son degré d’élévation - au moins Level Five ! - et son aura impactante). Et quid de cette jetée ? Il s'agit, en fait, de la fameuse terrasse panoramique de l’aéroport d’Orly, situé à 13 kilomètres au sud de Paris, qui, ouverte en partie aux visiteurs, leur permettait d'aller observer les avions. Le film, très poétique (mais une poésie mortifère teintée d'espoirs lumineux vite déçus), explore de manière vertigineuse, sur fond de nostalgie du temps passé réinventé mais à jamais disparu, la mémoire, le trouble (« Chris, dit « L'Ombre », aimait les falsifications du monde  »), le destin, la rencontre amoureuse fugace et l’inéluctabilité de l'apocalypse.

D'ailleurs, dans l'expo collective actuelle « Apocalypse. Hier et demain » de la BnF, site François Mitterrand (jusqu'au 8 juin prochain), le film La Jetée a une place d'honneur (méritée), en étant diffusé dans son intégralité - 28 minutes - dans une petite salle obscure lui étant pleinement consacrée. Il attire aussitôt (car, vous savez, il a ce p’tit truc en plus qui vous « ventouse » l’esprit !), avec sa voix off masculine traînante et ses images sibyllines accrocheuses (on dirait le déroulé d'un sommeil paradoxal cauchemardesque), tout autant l'œil que l'esprit. Le jour de ma visite, j'ai surpris une visiteuse, littéralement scotchée, si ce n'est « envoûtée », le regardant trois fois de suite. Pourquoi ? Il aimante, indéniablement. C'est de la poésie en images fixes humaniste, façon « D'où venons-nous ? Que sommes-nous ? Où allons-nous ?  », à la Gauguin. Et je peux vous dire qu'en sortant de cette mini salle, d'autres pièces à côté (pas toutes, hein !), signées par des artistes contemporains (tapisseries, peinture, installation, accumulation d'objets hétéroclites...), n'y faisaient plus que de la figuration, relevant davantage de l'aimable coquetterie décorative, limite gadgets et joliesse vaine, que de l'art véritable qui fait sens, en troublant et en hantant le regardeur, sur le moment et longtemps après. Passons.

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Soulever la surface des images et de leurs secrets, à la croisée de l’histoire d’un film et de celle d’une famille, pour voir ce qui s’y trame...

Retour vers le futur : au Cabrera, qui nous importe ici. En 2018, à la Cinémathèque française (Paris, antre bien connu des cinéphiles-vampires, préférant largement l'ombre de la nuit à la lumière du jour trop agressive !), un homme, un certain Jean-Henri, nommé ici affectueusement « Jean-Ri » (J'en ris ?), se reconnaît, en regardant ce classique « expérimental » avec sa fille, dans une image « de famille » du film-culte de Chris le marqueur temporel. Qu'y voit-on ? « Lui », selon lui, de dos, gamin charmant en culottes courtes et aux oreilles décollées, accroché à une rambarde en train de regarder, un dimanche, en compagnie de ses chers parents, grassouillets, les avions prendre leur envol ou atterrir sur le tarmac du plancher des vaches, projection à fantasmes, d'Orly. Cette photo est le cinquième plan de La Jetée, et c'est l'objet d'étude du doc, d'une finesse exquise (rentrer cash dans l'image ou rester à sa lisière, juste l'effleurer ?), de Dominique Cabrera, cinéaste aguerrie. Du 4,5 sur 5 pour moi.

En quête des pistes de l’aéroport d’Orly

Mise en abyme réjouissante (redoubler la geste du Marker, la photo comme témoignage d'un "Ça a été" (Roland Barthes)) et enquête dans l'image (nous sommes plongés avec la cinéaste, des proches de Jean-Ri et des collaborateurs de l’illustre aîné (Mister Marker) dans le clair-obscur d'une salle de montage-espace mental à la Godard) : il s'agit, en fait, via cette photo « vintage », d'en faire un point de départ pour une enquête sentimentale au long cours (100 mn.) étonnante, DANS l'image, sans oublier le temps qui passe (grand sujet du cinéma, art du mouvement), en mêlant habilement, et malicieusement (à l'instar du joueur facétieux qu'était Marker, un « Je de Piste » à lui tout seul), sans jamais être soporifique !, l’histoire d'un film et celle d'une famille (l’album-photos comme secret de famille), l’autofiction rétrospective et la fiction prospective, la petite et la grande Histoire, en se jouant des hasards, épiphanies - ou rémanences, dirait Didi-Huberman - et coïncidences ; attention : « Le hasard a des intuitions qu'il ne faut pas prendre pour des coïncidences », dixit Marker.

À l'époque, Orly demeure, pour beaucoup de « pieds-noirs », le lieu emblématique du rapatriement et du sentiment d'exil. C'est à la fois poignant et édifiant. Et soudain, ce film se fait le fruit d’une époque, celle du début des années 60. Me sont alors revenues subrepticement en mémoire les paroles de la chanson de Gilbert Bécaud, co-écrite par Pierre Delanoë, Dimanche à Orly (1963) : « À l'escalier 6, bloc 21, / J'habite un très chouette appartement. (…) Je m'en vais le dimanche à Orly. / Sur l'aéroport, on voit s'envoler / Des avions pour tous les pays. / Pour l'après-midi, j'ai de quoi rêver. / Je me sens des fourmis dans les idées / Quand je rentre chez moi la nuit tombée. / (…) Oui j'irai dimanche à Orly. / Sur l'aéroport, on voit s'envoler / Des avions pour tous les pays. / Pour toute une vie, y a de quoi rêver. / Un jour, de là-haut, le bloc vingt et un / Ne sera qu'un tout petit point. »

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« Super !!! Toi si jeune déjà dans un chef-d’œuvre ! » (Chantal Pelletier)

Tout un poème, en chanson, gorgé d’espérances (rêver à une autre vie avec l’espoir, un jour, d'être dans l’un de ces avions voyageurs), mais que Chris Marker tempère, de son côté, sans oublier après lui Brel himself qui, en 1977, avec sa chanson Orly, prendra carrément le contrepied du hit de Monsieur 100 000 volts : « La vie ne fait pas de cadeau / et nom de Dieu c'est triste Orly le dimanche / Avec ou sans Bécaud »), de mélancolie, voire de désenchantement : la perte d’un territoire éprouvé et aimé dans sa chair (l’Algérie, d'une grande richesse culturelle, et aux paysages variés), du monde (planète Terre), parce que la guerre et son corollaire, le danger apocalyptique. Lunettes noires pour nuit blanche, il fallait veiller tard pour voir ce film-essai touchant (Le Cinquième Plan de "La Jetée"), mais sans sensiblerie factice ou téléphonée, revisitant finement tout un pan d'une famille « anonyme », ou universelle (ça pourrait être un fragment de la nôtre, façon puzzle à reconstituer), au sein du palimpseste mémoriel filmique fascinant qu'est La Jetée, loin d’être la cinquième roue du carrosse dans l’Histoire du cinéma.

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Dominique Cabrera a retravaillé la mise en scène des corps (figurants, dans tous les sens du terme) de « La Jetée » : copie (presque) conforme ou proposition (inédite) de cinéma ? Les deux mon capitaine !

Et lorsque l'on entend Dominique Cabrera (67 ans, née à Relizane, Algérie), qui a connu ce cher Marker - elle l'a croisé dans les années 1980-1990 au sein de la société de production Iskra - dire ceci, grosso modo, au beau milieu du film : « Chris ne voulait jamais être filmé ni photographié. Il n’aimait pas ça. On ne voit que son ombre, sur une photo prise pendant le tournage de La Jetée, et ce n’est qu’un reflet. Une rare photo d’ailleurs. Sinon, un autre cliché, encore plus rare, le montre en train de filmer sur la Place Rouge à Moscou, elle est signée Costa-Gavras, l'artiste, photographe-filmeur [Maestro Marker, "Le plus célèbre des cinéastes inconnus", dixit Philippe Dubois], y a les oreilles décollées. L’enfant photographié, dans le « photogramme » extrait de La Jetée, aussi. Autoportrait masqué ? Était-ce un gosse déjà là, photographié in situ, ou bien un enfant de son entourage, de sa famille, aux oreilles idoines, qu’il a fait venir sur place ? Mystère. Fiction ou documentaire ? Fiction ET documentaire, les deux puissances du cinéma. Chris aimait les chats et les chouettes, les chouettes et les chats et les chats électroniques », eh bien, l'on se dit que veiller, au bord de l'insomnie forcée (résister aux bras de Morphée), valait vraiment le coup.

C’est un film à part sur un film, désormais « de musée », qui ne l’est pas moins. Ou quand une Histoire(s) du cinéma, mixant, dans son ton, Godard et Varda, sans oublier Marker, rencontre, par inadvertance (décidément, le hasard fait bien les choses), le cœur d'une banale histoire de famille, captée furtivement dans son « intimité bonhomme », on se dit bientôt, et au final, que le septième art, quand il est à son meilleur (le film comme rêve ou comme train, dixit François Truffaut, avançant dans la nuit noire), est d'un charme ravageur pour entrelacer, sans faire la leçon (ce doc, film du dimanche ?, ouvre des pistes, parfois des cicatrices ataviques, sans les refermer), « l'art et la vie confondus » (Allan Kaprow).

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Le « filmaker » Chris Marker (1921, Neuilly-sur-Seine - 2012, Paris), sur la Place Rouge à Moscou, un cliché de Costa-Gavras

Merci Arte pour le voyage intérieur, entre l'enracinement et l'arrachement de l'exil d'hier à aujourd'hui (je ne dévoilerai pas sa fin, loin d'être un « happy end » à l'américaine), entre l'intime (ce petit garçon rêveur, futur pilote, ingénieur ou artiste ?, avec papa et maman) et l'extime (le cinéma comme transport en commun pour dire le réel et l'humain, par le filtre de la narration et de « l’image parlante »). Mais chut, hein, le Chat, animal nocturne s'il en est, markerien – Chris Marker était un auteur mystérieux comme un chat - ou non, dort et, comme on le sait, le silence est d'or. Puis c’est connu, la nuit, tous les chats sont gris et… « de rêve », chassant sans fin, et Sans soleil, les oiseaux de nuit. Chouette. Aussi, point de blablas, laissons parler les images (du Cabrera et du précieux et iconique Marker), ce 5e plan de la jetée d'Orly est encore accessible, pendant un moment, sur Arte.tv, ou, de manière pérenne, sur YouTube*. Décollage imminent…

*Là, pour retrouver le délicat film de Cabrera, dans son intégralité : https://www.youtube.com/watch?v=Qx6Cp0MHrVo


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