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Mia Hansen-Løve, tout est pardonné (ou presque !)

Beau film que ce Tout est pardonné signé par une ex des Cahiers du cinéma, Mia Hansen-Løve (quel nom glam’rock’n’roll entre nous !). Au départ, le pitch pouvait pourtant faire craindre le pire : un couple, entre Vienne et Paris, avec une gosse de 5 ans, s’engueule parce que le père (Victor/Paul Blain), écrivain blessé un peu mou et prisonnier de ses démons, s’abîme dans la drogue dure. Onze ans plus tard, leur jeune fille, Pamela, qui a maintenant 16 ans, veut retrouver son père alors que sa mère (Annette, au physique translucide et à la présence évaporée, surtout dans toute la 2e partie du film) s’est remariée. On pourrait s’attendre à un gros truc glauque, limite chiant façon politique des (h)auteurs (!), mais ce n’est pas le cas, MHL ne s’embarrasse pas d’académisme dans ce film naturaliste sentimental, on n’a pas de pathos tire-larmes tous azimuts ou de surlignage des bons sentiments plan-plan et mielleux façon les « films de famille » labellisés TF1. Oui, son film, au plus près de la vibration des êtres, des visages fatigués, des tremblements de voix et des lumières moirées de fin août-début septembre, est bel et bien un film de cinéma - se permettant des taches d’encre brut de décoffrage et des sautes d’ellipses spatio-temporelles frontales - et non pas un feuilleton psychologisant façon M6 et autres Cœurs des hommes 2.

Ce que je retiens du film, c’est avant tout son acteur décalé, freestyle, Paul Blain, dont le sourire en coin et en filigrane - d’où sourd une ironie ô combien séduisante - nous change direct des acteurs TV lisses et standards, limite bourrins, comme Dujardin ou Cornillac. Oui, voilà un acteur à part, avec un beau visage désolé. On a à l’écran une belle gueule ravagée d’archange déchu, comme resté au bord de la route pour s’autodétruire, comme s’il passait volontairement à côté de sa vie, en retrait, en touriste de sa propre existence. Et Blain, entre le dandy et l’épave, joue magnifiquement ses pas (de danse) de côté, ses errances, ses destinées sentimentales et cet air de ne pas y toucher, tout en étant dans la vérité nue et crue du réel. Son jeu, que d’aucuns pourraient trouver bancal et qui n’est pas sans évoquer d’ailleurs son père cinéaste (Gérard Blain, 1930-2000) ou un Jean-Pierre Léaud bord-cadre, nous sort tellement des sentiers battus d’un je(u) télé où tout est appuyé au centuple et prémâché jusqu’à l’overdose. MHL, comme Blain, avance "de guingois" et plutôt masquée, via notamment des ellipses-collages qui refusent le littéral ou l’anecdotique. Par exemple, on ne sait pas bien pourquoi la visite de l’appartement faite par le père pour sa fille s’enchaîne brutalement par une scène ensoleillée d’enfants occupés à jouer à la campagne - tant mieux. Quel sens lui donner ? Mystère... Et, autre exemple, Victor meurt sans qu’on sache vraiment pourquoi - encore tant mieux ! MHL laisse respirer des zones d’ombre via une pudeur et une économie des sentiments. Avec elle, il ne faut pas que tout s’Eustache. Par petites touches impressionnistes (une scène de jeu dans la rue entre un père et sa fillette, une promenade au jardin, un p’tit déj’ à trois sur fond de mâchouillement enfantin de corn flakes, un geste brusque, un réveil qui sonne trop longtemps pour signifier la fin - la mort de la junkie - qu’on pressentait...), son film nous parle mine de rien de politique (et non sans ironie - on a affaire ici à des « bourgeois de gauche », style Cahiers (? !), qui lisent Le Monde en se moquant des photos d’un Chirac nouveau à lunettes !), mais surtout, par le biais d’une émotion pure mêlant pudeur et crudité, du passage inexorable du temps, de la famille, de l’appartenance et de l’héritage spirituel entre les morts et les vivants.

D’ailleurs, Tout est pardonné finit sur la paix conclue entre les êtres. Les vers que le père autodestructeur (suicidé ?) laisse à sa fille sont porteurs d’espoir pour une vie apaisée et une jeunesse poétique et triomphante (incarnée par la frémissante Constance Rousseau) au seuil de l’âge de tous les possibles : « Bien des choses restent perdues dans la nuit... Prends garde, reste alerte et plein d’entrain !  » Oui, MHL a encore, certes, des « bonnes manières » et des tics de copie de bonne élève bien appliquée, mais, indiscutablement, elle a réussi quelques beaux moments de temps suspendu, de détresse ou de bonheur. C’est un film très sensible, à fleur de peau, et qui est résolument tourné vers les gens, vers la vie. Maintenant, plus que jamais, le Père Noël a les yeux bleus*, la terre est bleue comme une orange et je danse non stop le Mia (car cette Løve filme magnifiquement les corps dansants !). Soulignons, au passage, que c’est un film dédié au (regretté) producteur Humbert Balsan, trop tôt disparu.

* Je me réfère ici au film éponyme (1966) de Jean Eustache, à qui le cinéma de Mia Hansen-Løve peut, par instants, faire penser.

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2 réactions à cet article    


  • arturh 17 octobre 2007 10:43

    « pas de pathos tire-larmes tous azimuts ou de surlignage des bons sentiments plan-plan et mielleux façon les « films de famille » labellisés TF1 »

    « non pas un feuilleton psychologisant façon M6 et autres Cœurs des hommes 2. »

    Evidemment non. Il s’agit du narcissisme nombriliste bobo financé par le Centre national de la Cinématographie et que personne n’ira voir.

    En effet, ça fait une grosse différence !


    • Vincent Delaury Vincent Delaury 17 octobre 2007 15:27

      « ...et que personne n’ira voir. »(arthurh)

      Vous exagérez ! Je l’ai vu, moi. Ca fait au moins un.

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