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Accueil du site > Culture & Loisirs > Culture > « Mourir comme un homme », un film à la croisée des genres

« Mourir comme un homme », un film à la croisée des genres

A Lisbonne, Tonia, travesti, doit affronter de multiples problèmes. Son fils, enrôlé dans l’armée, se refuse, avec violence, à accepter que son père prenne des allures de… mère. Dans son milieu professionnel, de jeunes artistes font passer cette icône de la nuit pour has been et veulent lui piquer la vedette. Et, cerise sur le gâteau, son compagnon Rosário la pousse à franchir définitivement le cap de son changement d’identité. Mais, travaillé(e) par ses aspirations religieuses, Tonia repousse, en fuyant dans son imaginaire ou dans les échappées de rencontres impromptues, cette opération qui la ferait changer de sexe.

Beau film que ce Mourir comme un homme* (2009), signé par João Pedro Rodrigues (réalisateur de O Fantasma et Odete), car, à travers l’histoire d’un travesti (Tonia) qui a décidé de vivre en tant que femme mais de mourir en homme, on évite les écueils du Grand-Guignol façon Priscilla, folle du désert et autres Cage aux folles ainsi que le pathos dégoulinant du mélo téléfilmesque, et ce certainement parce que ce cinéaste portugais parvient à faire un film marabout-de-ficelle qui fasse corps avec ses personnages et son thème : le travestissement, la volonté de ne pas être figé dans une identité propre afin de laisser parler en soi, sur fond de Je est un autre rimbaldien, son pendant masculin et féminin. Ici, par exemple une black plantureuse s’autorise à être une blonde peroxydée montée sur talons aiguilles. On fait feu de tout bois, suivant l’esprit d’escalier du dadaïsme et du surréalisme (cf. Rose, c’est la vie…). Les terrains vagues sont des terres d’élection, le vagabondage, une école de la vie qui rappelle que le parcours est plus important que le résultat à obtenir. Suivant Lavoisier, « rien ne se perd, rien ne se crée, tout se transforme », alors, par le jeu des pliages ou des raccords, on fait d’un sexe d’homme une saucisse à découper pour engendrer un sexe de femme - « Comme je vous le disais, je préfère une intervention organique. Nous ferons usage de tout, mis à part des testicules que nous enlèverons. On fait une entaille dans le pénis comme dans une saucisse. On le met à l’envers, on le coud. On ne jette rien, chaque partie trouve son utilité. Le prépuce, le clitoris… On utilise le scrotum pour les lèvres supérieures. Le prépuce sera juste à l’entrée. Vous aurez ainsi du plaisir. » dixit, face caméra, un docteur en blouse blanche s’adressant directement aux spectateurs à la façon d’un documentaire clinique. Et, façon cadavre exquis, on rajoute de vrais cheveux à une perruque blonde platine pour la rendre encore plus féminine et soyeuse. C’est la greffe qui règne en maître, d’où peut-être l’insistance du filmeur à montrer, via de lents travellings latéraux, les végétaux, les arborescences, les jeunes pousses, les épiphanies, les hybridations, les transfigurations.

Tonia, travesti et future transsexuelle, évolue dans un film qui s’amuse à brouiller les pistes, à se faire transgenre en se maintenant constamment sur un fil, de guingois sur une balançoire. On commence dans le genre film de guerre mais ça se poursuit en film d’amour sylvestre et crépusculaire ; on se croirait dans un long métrage naturaliste, voire un tantinet trash, mais Mourir comme un homme s’autorise, au détour d’un plan, des échappements libres du côté des musicals façon Minnelli - dans cette façon de cultiver l’entre-deux, entre film de guerre et parenthèses enchantées dans la nature revigorante, Mourir comme un homme pourrait avoir pour compagnon de route la robinsonnade filmique qu’était La France (2007) de Bozon ; on a l’impression d’un film linéaire, narratif, ce qu’il est, et pourtant il n’hésite pas à se faire contemplatif et à tendre, à travers ses plages de solitude colorées, vers le cinéma expérimental et buissonnier de Warhol ; Mourir comme un homme, on dirait un film qui se refuse au spectaculaire (par exemple, les scènes de cabaret sont évitées, on ne voit que les coulisses du show) mais, en même temps, c’est en creux que le spectacle s’y trouve : impossible de voir cette « comédie dramatique » sans penser au lyrisme romanesque d’un Pedro Almodóvar - on pourrait dire que c’est un « Almodóvar du pauvre », loin de tout tropisme folklorique virant aux clichés sur « l’espagnolade » - et impossible de voir ce film sans penser au magnifique cinéma allemand des 70’s, celui de Fassbinder. Ainsi, quand Tonia et son amoureux Rosário atterrissent, comme par magie, dans la bulle de temps de la demeure onirique de la classieuse Maria Bakker, personnage dandy et fantasque glissant de l’anglais à l’allemand, entre flux et reflux, et chien et loup, on pense alors à Marlene Dietrich, à Lola, une femme allemande et à Lili Marleen, à savoir à la vie comme spectacle, et au je(u) de l’art et la vie confondus.

On fait de la vie un théâtre et vice versa et, à dire vrai, on se sent vraiment bien, en tant que spectateur, à côtoyer cette communauté en marge exilée dans une forêt enchanteresse, parsemée de myosotis bleu nuit. On pense alors à la célèbre formule Fluxus du filousophe Robert Filliou : « L’art est ce qui rend la vie plus intéressante que l’art » et on se dit que, décidément, ce film-chemin de traverse, restant en mémoire tel un parfum entêtant et se jouant avec malice de la confusion des genres, est vraiment à part. En tout cas, à mille lieues des autoroutes balisées du formatage audiovisuel - ouf, on respire. Du 4 sur 5 pour moi. Petit bémol cependant, ce film d’auteur, qui contient quelques séquences superbes (notamment les escapades chantées aux tons sursaturés et aux effets de solarisation), est tout de même un peu trop long. A la place des 2h13, il est probable qu’1h30 aurait pu suffire : la première heure est longuette et certains passages (la séquence de l’aquarium, la virée enchantée en voiture) semblent interminables. Peut-être qu’en évitant toute pose et donc en étant plus cut, ce Mourir comme un homme aurait été encore meilleur. Encore plus sidérant parce que sans aucune complaisance auteuriste.

* En salles depuis le 28 avril 2010.

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« Mourir comme un homme », un film à la croisée des genres

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2 réactions à cet article    


  • morice morice 28 avril 2010 23:57

    recette : prendre des expressions toutes faites : 


    -has been 

    -cerise sur le gâteau

    -on évite les écueils 

    -On fait feu de tout bois,

    -cadavre exquis

    -brouiller les pistes

    -cultiver l’entre-deux

    -entre flux et reflux, et chien et loup

    -une forêt enchanteresse

    ajouter des expressions plus longues :

    -le pathos dégoulinant du mélo téléfilmesque

    -restant en mémoire tel un parfum entêtant 

    -laisser parler en soi, sur fond de Je est un autre rimbaldien,

    -une blonde peroxydée montée sur talons aiguilles

    -à travers ses plages de solitude colorées

    -sans penser au lyrisme romanesque d’un Pedro Almodóvar 

    -la demeure onirique de la classieuse Maria Bakker

    -à mille lieues des autoroutes balisées du formatage audiovisuel

    -aux tons sursaturés et aux effets de solarisation

    -sans aucune complaisance auteuriste

    ne pas faire reposer, secouer tout de suite, c’est déjà prêt. Mettre quelques mots entre deux pour faire joli, et ça y est. Logiquement, en retirant l’allusion à Aldomovar, vous devriez pouvoir faire la critique du Robin des Bois avec Russel Crowe. Vérifiez : ça marche ! voilà vous avez de l’avance pour le 12 mai..

    http://www.premiere.fr/Cinema/News-Cinema/Video/VIDEO-Robin-des-bois-premiere-bande-annonce-avec-Russel-Crowe/(gid)/2157646

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