La danse est avec l’art pariétal l’une des formes les plus primitives de l’expression artistique. Depuis la nuit des temps, les hommes dansent, que ce soit pour célébrer un évènement, exorciser une crainte, solliciter les Dieux, ou simplement donner libre cours à leur joie. Née du génie populaire, la danse est depuis longtemps entrée dans les Cours où les compositeurs lui ont donné ses lettres de noblesse...
Les origines de la danse remontent très loin dans l’histoire, bien avant les civilisations antiques évoluées qui ont forgé la nôtre, et l’on en trouve parfois des traces très anciennes dans le répertoire traditionnel de certaines cultures. La musique classique occidentale elle-même doit à la danse d’exister car c’est dans ce creuset populaire qu’elle a puisé son initiale inspiration avant de s’en affranchir progressivement pour aller vers des formes d’expression de plus en plus dissociées de la fête et de la réjouissance. Omniprésente dans les compositions prébaroques, la danse s’est en effet peu à peu effacée, mais sans jamais disparaître totalement du répertoire comme le montre cette balade au fil du temps.
L’aventure commence au Moyen Âge avec l’entrée dans les salles de réception des châteaux de ces danses populaires villageoises qui connaissent tant de succès. Trouvères et troubadours ne suffisent plus à la distraction des nobles. Comme leurs paysans, ils veulent s’amuser et se séduire en des parades aux pas codifiés par la tradition. Bref, ils veulent danser. C’est alors que naissent les premières troupes de musiciens. Alors également que se développent la création et le perfectionnement des instruments de musique. Grâce aux flûtes, cromornes, sacqueboutes, chalumeaux, rebecs, vièles ou psaltérions, les timbres se diversifient et la création musicale s’enrichit pour faire danser, sur des rythmes d’estampie, de branle, de tourdion ou de gaillarde, gentils messieurs et gentes dames. La très célèbre quinte estampie réale, un anonyme médiéval, en est une superbe illustration.
Mais c’est au cours de la Renaissance que la créativité des musiciens prend véritablement son essor. Dans le même temps, les figures de danse deviennent plus raffinées et plus adaptées à la condition nobiliaire. L’Histoire désormais retient les noms des compositeurs et des premiers éditeurs de musique, certains pouvant occuper simultanément les deux fonctions, à l’image de Pierre Attaingnant. Nous sommes toujours sur des rythmes à danser d’origine populaire, mais débarrassés des manifestations jugées par trop triviales, comme les vigoureuses frappes du talon pratiquées par les paysans. Pour illustrer cette période, écoutons Tylman Susato dans sa pavane Bataille, et Pierre Phalèse dans cet enchaînement passamezzo et gaillarde. Ou bien encore Pierre Attaingnant dans cette superbe basse danse La Magdalena.
Du prébaroque au romantisme
Suivent, aux confins de la Renaissance et du prébaroque, quelques grands noms dont les œuvres profanes cessent de se cantonner à l’écriture de danses fidèles aux canons de cet art. Parmi eux le grand John Playford dont on peut apprécier ici la volta mantovana, l’un des volets du magnifique recueil The English Dancing Master, ou bien encore Jean-Baptiste Lully dont on reconnaît le style dans cette très belle passacaille extraite du ballet Armide. Sans oublier Michael Praetorius et son recueil Terpsichore Musarium, d’où son tirées ces célèbres courantes, François Couperin, dont la musique est ici illustrée par une allemande du 9e ordre, et Jean-Philippe Rameau dont les caractéristiques tambourins I et II de Dardanus continuent de réjouir les amateurs.
Vient ensuite la période baroque et ses illustres compositeurs, véritables fondateurs des formes élaborées de la musique classique. Si Antonio Vivaldi s’affranchit assez largement de la danse dans son immense production profane, celle-ci reste très présente dans les suites pour orchestre de Georg Philip Telemann, dont on écoute ici la bourrée de l’ouverture en ut majeur, ou dans celles de Jean-Sébastien Bach, comme le montrent les polonaise et bourrée de la Suite n° 2 ou la sarabande de la Suite n° 3. Comme ses compatriotes allemands, Georg Friedrich Haendel fait appel à la danse pour construire ses propres suites, à l’image des menuets I et II de Fireworks Music et la célébrissime sarabande popularisée par le film Barry Lyndon. Impossible de quitter le baroque sans revenir à Vivaldi et à son propre traitement de La Follia, un thème souvent utilisé qui trouve son origine dans une danse ibérique.
Après la période baroque, la période classique. Les références à la danse sont de moins en moins présentes dans l’œuvre des compositeurs. Á une exception notable près : le menuet s’est imposé, notamment sous l’influence du grand Joseph Haydn, comme incontournable 3e mouvement dans les symphonies. En voici deux exemples, précisément dus à Haydn : le menuet de la symphonie n° 88 et le menuet de la symphonie n° 94 « La surprise ». Un menuet également omniprésent dans les musiques de fête et la musique de chambre, comme l’illustrent ces deux œuvres universellement connues : le menuet du 11e quintette de Luigi Boccherini et le menuet du 17e divertimento de Wolfgang Amadeus Mozart. Des danses allemandes figurent également dans l’œuvre du génial Mozart, telle celle-ci que l’on retrouve avec grand plaisir : la danse allemande dite Promenade en traineau. Quant au méconnu claveciniste et organiste Padre Soler, il a choisi une danse très différente pour nous enchanter : son fandango en ré mineur.
Le temps passe, et nous voilà déjà au temps du romantisme. La danse y retrouve une large place, moins sous la forme orchestrale de cette magnifique danse allemande n° 1 de Franz Schubert, héritée de la période classique, que sous la forme d’œuvres écrites pour le piano solo, telle cette écossaise de Ludwig van Beethoven ou cette mazurka brillante de Franz Liszt. Mais c’est surtout à Frédéric Chopin que la danse aux accents romantiques doit l’essentiel de son attrait, et notamment à des œuvres comme les réputées valse n° 7 ou polonaise héroïque. Autre valse illustre, celle de la Symphonie Fantastique d’Hector Berlioz. Á la même période, Adolphe Adam crée l’indémodable ballet Giselle dont on écoute ici la danse des Willis.
Des valses de Vienne au ballet moderne
Cap sur l’Autriche : avec les Strauss, la valse retrouve véritablement son caractère dansant sous sa forme viennoise, cousine lointaine des ländlers allemands. Une musique restée si populaire aux oreilles des amateurs que le Concert du Nouvel An, donné chaque année depuis le Musikverein de Vienne, est suivi dans le monde entier. Son meilleur atout : Johan Strauss fils, ici dans le Beau Danube bleu, la Valse de l’Empereur et Tritsch-Tratsch-Polka.
Toujours plus à l’est, mais en dissociant la fonction musicale de la danse proprement dite, c’est en puisant résolument dans la richesse du patrimoine local que les compositeurs trouvent leur inspiration comme l’avaient fait avant eux Chopin et Liszt. Moteur de cette démarche, Johannes Brahms est présent dans la plupart des discothèques privées avec ses superbes danses hongroises dont on peut entendre la n° 1, la n° 5 et la n° 6. Antonin Dvorak suit cette voie en s’inspirant à son tour des thèmes tchèques pour composer ses danses slaves, dont la n° 1 et la n° 7 sont d’excellentes illustrations.
Vient alors le temps des grandes musiques de scène et des ballets. Pour illustrer les premières, quoi de mieux que la danse arabe (pas très arabe) et la danse d’Anitra tirées du Peer Gynt d’Edvard Grieg ? Pour les secondes, écoutons les danses caractéristiques du ballet Casse-Noisette de Piotr Ilitch Tchaïkovski, par exemple la danse russe Trepak et la danse arabe (pas très arabe, là non plus !) ; ou bien le merveilleux thème principal du Lac des cygnes. Á la même époque, son contemporain Alexandre Borodine compose son opéra Le Prince Igor et ses fameuses danses Polovtsiennes.
Un petit intermède français à la fin du 19e siècle nous offre à écouter, dans un genre très différent, ce passepied de la Suite bergamasque pour piano de Claude Debussy, ou bien encore ces gaillarde, madrigal et passepied, pastiches de musique ancienne composés par Léo Delibes pour illustrer Le Roi s’amuse de Victor Hugo. Contemporaine de ces œuvres, la superbe sicilienne de Gabriel Fauré est encore aujourd’hui régulièrement interprétée en concert. Moins toutefois que l’opéra Carmen de Georges Bizet dont la habanera (ici chantée par Maria Callas) est universellement connue.
Restent les rythmes de danse du 20e siècle qui prennent des accents très divers. Sages comme dans la sicilienne et rigaudon de Fritz Kreisler, ou la danza de las hachas, tirée de la Fantasia para un Gentilhombre de Joachim Rodrigo. Plus animées chez Manuel De Falla avec la Jota du ballet Le tricorne, ou chez Richard Strauss avec la danse des 7 voiles de Salomé. Enfin, carrément endiablées avec la danse sacrale du Sacre du printemps d’Igor Stravinsky ou la très célèbre danse du sabre du ballet Gayaneh d’Aram Khatchaturian.
Des musiques de danse, qu’elles soient à écouter ou réellement à danser, que ce soit dans les salles de bal ou sur une scène d’opéra, il en été composé des milliers d’autres. Cette promenade à travers les âges du classique n’est par conséquent qu’un florilège dont la sélection n’engage que son auteur. Á chacun de le compléter le cas échéant selon ses goûts. Sans esprit chauvin, c’est à un Français que j’ai choisi de laisser le soin de mettre un point final à ce tour d’horizon : Maurice Ravel. Au-delà de sa magnifique Pavane pour une infante défunte, quoi de mieux pour conclure que le Boléro ?
et les ballets du Bolchoï et du Kirov ? quel amour de la musique et de la danse, Fergus, vous êtes formidable ! dommage que dans le domaine politique nous ne soyons pas tout à fait du même avis ...
Merci pour votre commentaire. Formidables, ce sont surtout ces grands corps de ballet russes (ou ukrainien) qui le sont, sans oublier ceux de l’Opéra de Paris et de la Scala de Milan, ou bien encore le National City Ballet américain...
Quant aux divergences politiques, elles contribuent à alimenter le débat, mais ne doivent pas susciter les invectives ou alimenter les ressentiments. Le 7 mai, nous serons tous dans le même bateau, quoi qu’il ait pu intervenir la veille. Dès lors, chacun s’efforcera de préparer les échéances suivantes au mieux de ses convictions...
Un grand merci pour ces liens. J’ai failli mettre un lien sur Coppélia, mais j’y ai renoncé comme j’ai renoncé à d’autres liens pour ne pas trop charger l’article dans son voyage à travers le temps.
La B.O. de Barry Lyndon est une pure merveille, à l’image du film de Kubrick. C’est une banalité de dire à quel point elle a contribué à populariser la musique classique auprès d’une partie du public peu familiarisée avec cet univers.
La musique classique mais aussi la musique traditionnelle des îles britanniques, et notamment le superbe Women of Ireland de Séan O’Riada, ici interprété par les Chieftains.
En vous lisant, j’ai eu l’impression de quelqu’un qui me parlait des :montagnes françaises sans évoquer le mont Blanc ! La réussite suprême dans ce domaine revient à Chopin que vous semblez mal connaitre : ses mazurkas sont le sommet du genre puisqu’il y a déployé toutes les ressources du contrepoint avec l’invention la plus raffinée et la plus personnelle. Personne, mieux que lui, n’a su y mêler un tel métier et une telle intensité passionnée.
J’attendais de votre part un commentaire de ce genre. Vous connaissant,ma regrettée belle-mère vous aurait surnommé « point sur l’i ».
Peut-être n’avez –vous pas observé que j’ai écrit ceci : « Mais c’est surtout à Chopin que la danse romantique doit l’essentiel de son attrait, et notamment à des œuvres comme les réputées valse n° 7 ou polonaise héroïque. » Certes, je n’ai pas mis de lien sur les mazurkas de Chopin (il en est effectivement de superbes), mais je ne prétendais pas faire preuve d’exhaustivité dans un domaine aussi vaste. Vous mentionnez c es mazurkas, et c’est très bien ainsi. Merci de cette contribution « éclairée ».
Mais avec vous Fergus, je suis obligé d’aller jusqu’au tréma ! Dès qu’elle aborde la danse, la musique sombre souvent dans la vulgarité et Chopin a su créer des oeuvres totalement aristocratiques à partir d’un genre folklorique. C’est cela l’art musical, et d’ailleurs le seul...
Ce qui déplait dans vos propos ? Simple : la certitude que vous avez de toujours savoir ce qui est beau et son corollaire, la suffisance à l’égard de tous les niais qui éprouvent du plaisir à écouter ce qui ne trouve pas grâce à voes oreilles.
Vous êtes le borgne qui veut révéler la lumière aux aveugles et je tente de vous ouvrir le second oeil et cela vous déplait ? Ainsi par exemple j’explique par quels moyens Mozart a su ravir les oreilles dans l’andante du K 467 et je me fais taper dessus par une meute de béotiens fiers de l’être alors qu’ils devraient me remercier d’y avoir enfin compris quelque chose...
Un grand merci à vous pour ce long commentaire enflammé où pointe (c’est le cas de le dire) votre passion pour la danse.
Rien à ajouter à cela de la part d’un modeste amateur occasionnel, de surcroît beaucoup plus interessé par la musique que par les chorégraphies. Mais le monde de la danse est fascinant, de même que les passions qu’il engendre, à l’image de celle de Billy Elliot, ce superbe film qui, par un chemin détourné, rend le plus bel hommage qui soit à cet art majeur.
Les livres d’apprentissage dans un domaine de passion sont de précieuses reliques, surtout s’ils sont associés à des moments très durs. Prenez-en soin car vous prendrez toujours plaisir à les retrouver, surtout s’ils sont relégués en un lieu peu fréquenté.