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Accueil du site > Culture & Loisirs > Culture > « N’ÊTRE » de Charline EFFAH, ou renaître de son enfance

« N’ÊTRE » de Charline EFFAH, ou renaître de son enfance

« Ces crèmes éclaircissantes que tu utilises, cet outrage que tu fais subir à ta peau pour te rapprocher de la couleur de ta femme, ce mépris de toi et de ce que tu es ! Je n’ai pas besoin de t’insulter car tu t’en charges toi-même ! »

J’ai toujours une certaine réticence à lire des livres tout juste tombé de la presse des imprimeurs. Peut-être à cause du trop plein de marketing des « rentrées littéraires » à la française qui vous noient dans un flot de nouvelles parution en vous promettant, à longueur de pages d’hebdos, à saturation d’ondes radios, à vomissure de blogs, que ce dernier Nothomb est l’ultime Graal, que cet incontournable Besson est l’Ambroisie ultime, que le Moix nouveau est le « must-to-be-read » du siècle… bref, le marketing qui transforme les lecteurs en mouton au grand bonheur d’éditeurs en mal de cerveau remplie de Coca-cola, m’a rendu hautement suspicieux envers les : « just released ! ». Si bien que, tirant une balle dans le pied de mon moi auteur, qui a les poils qui se dressent sur son torse d’imberbe à la pensée que les gens m’emboîtent le pas, je me suis fait une certaine spécialité de la « revisitation  » des anciennes/vieilles œuvres parues. Ce qui me permet, en général, d’en m’en faire une opinion, personnelle, loin du tumulte de la promotion d’un nouvel opus. Retour ligne automatique
Je sais, je vous perds, et je me pers dans cette digression qui n’avait pour but que de m’offrir une clef d’entrée à la chronique de ce petit roman – N’ÊTRE – de Charline Effah, paru aux éditions La Cheminante en… Octobre 2014.

« On lui conta des vies. Des vies flétries, affaissées. Celles que ces indifférences avaient balayées comme un ouragan. Des vies soudées, unies, que les différences avaient rendues fortes et inébranlables. Cela ne tenait qu’à lui, qu’à eux, de se hisser au-dessus de la mêlée. »

Oui, je l’avoue donc, je me suis compromis dans ma farouche volonté de ne pas céder à la Vox-populi de la promotion. Je me suis compromis en me laissant tenter par tous les statuts Facebook élogieux et les dithyrambes de certains bloggeurs d’amis/contacts, sur ce roman très intimiste qui met en scène une jeune femme, embryon miraculé d’un avortement, et qui traine, comme un boulet, sa relance quasi inexistante avec génitrice. Mon but, en me lançant dans ce billet, était de vous parler de ce récit qui débute en forme de réquisitoire envers cette mère – Medza – dont l’humanité est à remettre en doute, avec ce « tu  » martelé dès le premier chapitre m’a fait pensé au magnifique « La belle amour humaine » de Lyonnel Trouillot. J’étais donc, aux premières lignes lues, dans des dispositions plus que favorables.

« Ces crèmes éclaircissantes que tu utilises, cet outrage que tu fais subir à ta peau pour te rapprocher de la couleur de ta femme, ce mépris de toi et de ce que tu es ! Je n’ai pas besoin de t’insulter car tu t’en charges toi-même ! »

En tant normal, une telle introduction est un trailler à l’annonce d’une déception. Mais non. Pas – totalement – ce coup ci. Il n’y a pas déception surtout quand, comme moi, on aime les belles phrases, on aime les auteurs qui savent exprimer l’émotion en utilisant les beaux mots qui touchent au cœur. Quand on est un lecteur en demande d’émotion, ce petit « N’être » est un régal. On accompagne, avec émotion, cette fille dans son parcours heurté, notamment des déboires amoureux qui la mettent dans la banale humanité de ceux qui cherchent, adulte, l’amour qui ne les a pas élus enfant. Et qui, le plus souvent, foirent leurs choix.

« La prochaine fois que tu auras envie d’aimer un homme, ne choisis pas t’en être la maitresse. Je ne suis certainement pas un exemple de femme indépendante à tes yeux, mais je suis assez vieille pour te dire qu’être de maîtresse, c’est du vent, du provisoire. »

Ce livre, au-delà de l’émotion qui coulent de chacune de ses lignes, je dirais même qui dégouline, parfois à la limite du gluant, du trop plein, est surtout un superbe exercice de style tant l’auteure Charline Effah s’est attachée à la beauté du verbe. Le style est très travaillé, le moindre mot pesé, avec des élans poétiques de très belle facture. Extrêmement descriptif des lieux, que l’on visualise aisément, des émotions, qui nous envahissent et rendant merveilleusement bien les tourments des âmes de la narratrice, mais aussi, sans l’air d’y toucher, de Medza, la mère, de Elvis, l’ami-amour.

« Mais la haine, comme l’amour, est semblable à l’eau dans une cruche : elle n’est pas fraiche tous les jours. Autant Elvis me haïrait moins, autant Amos m’aimerait moins quand je lui annoncerais que j’étais enceinte. »

Evidemment, sur la fin, Charline Effah nous emmène sur les pentes ardues de la rédemption pour Medza et la compréhension, la guérison ( ?) pour sa fille.

« Avant cette nuit, des gens t’avaient vaguement dit avoir vu le Père avec une femme plus jeune que toi, et plus belle aussi. Tu les avais écoutés sans t’arrêter, avec le déni de la femme qui a des fesses suffisamment adipeuses pour s’asseoir sur les commérages. »

Et c’est là l’un des bémols à ma lecture. Le manque d’ampleur de cette histoire. Cette narration, belle, certes, mais sans aucun rebond, sans aucune surprise. Evidemment que la vie n’est qu’un éternelle recommencement, rien de nouveau sous le soleil, mais la conter avec un peu plus de punch l’eut, peut-être, aidé à raffermir son emprise sur le lecteur que je suis. Retour ligne automatique
De plus, le personnage de Medza également m’est apparu imparfaitement conçu, floue. Le déroulement de l’enfance de sa fille, son rapport à Effiri, sa sœur, son rapport à son mari et ses « choix » de mère et femme, que la fin du livre tente de justifier, et cette rédemption… il y a comme un hiatus, la sensation, imperceptible, d’un tuyau qui semble avoir été rattaché au mauvais conduit, à un autre circuit d’irrigation psychologique.Retour ligne automatique
Au final, je sors de ma lecture plutôt content d’avoir succombé aux sirènes de la nouveauté, avec la sensation d’avoir passé un bon moment de lecture avec cette petite histoire triste, fait d’amours désespérés, de rédemption, de pardon. Un récit bien écrit, poétique mais dont je ne parviens pas à enlever ce sentiment de « trop plein » de mots, cette sensation d’accumulation de belles phrases qui refusent à l’écriture l’accès à un plus grand dynamisme. Un blabla parfois, très rarement tout de même, à la limite du sirupeux, qui fait penser qu’un style un peu plus direct m’aurait sans doute plus transporté. La fin pose question mais est porteuse de positivisme, d’espoir. « N’être » est un roman intimiste, court, porté par une belle écriture et qui vaut le detour.


N’être

Charline EFFAH

Editions La Cheminante, 2014


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3 réactions à cet article    


  • Joss Doszen Joss Doszen 13 janvier 2015 11:50

    Et l’auteur s’excuse des coquilles qui piquent aux yeux... smiley


    • Daniel Roux Daniel Roux 13 janvier 2015 12:02

      Bravo à l’auteur d’oser publier un article hors du tsunami intellectuel « Charlie ».

      Le marketing, la promotion, tout cela ne remplace pas le bouche à oreille et un bon livre trouvera toujours ses lecteurs à condition, bien sûr, que quelqu’un le lise et en parle.

      J’ai toujours beaucoup de mal à finir les livres écrits et publié en France par un auteur d’Afrique occidentale. Il y traîne ce je ne sais quoi de reproches, de honte d’être noir, ce regard ambigüe, mi haine, mi admiration, pour les blancs en général, qui renvoi au colonialisme bourgeois, à ses crimes. C’est cela qui me gène, cette transmission d’une culpabilité qui n’a pas lieu d’être, celle d’avoir été asservi et outragé par d’autres mais comme tant d’autres à travers les époques.

      J’aimais bien, par contre, lire ses contes et ses sagas transmises par les griots, de génération en génération, dans lesquelles perçaient l’ironie de la vie, l’humanité universelle.

      Ne croyez pas que ce commentaire soit un reproche fait aux intellectuels francophones africains. J’explique seulement mon ressenti de lecteur ordinaire qui me conduit à éviter ces auteurs. En tant que personne, et non plus lecteur, je comprends qu’il faille beaucoup de temps pour surmonter et évacuer ce traumatisme qu’a été et qu’est peut-être encore, le colonialisme et l’occupation économique.

      Je ne doute pas qu’il existe, en Afrique occidentale notamment, des auteurs libres, originaux et intéressants, publiés et lus dans leur pays. 


      • Joss Doszen Joss Doszen 13 janvier 2015 12:14

        Je comprends vos « réticences », mais je pense vraiment qu’elles n’ont plus lieu d’être.

        Nous avons une grosse littérature africaines et caribéennes tournées vers le souvenir de l’esclavage et des colonisations jusque dans les années 80, ce qui est plutôt normal vu les traumatismes.

        Mais depuis, à la louche, les années 90, il y a une énorme richesse et un vrai éclectisme dans les sujets qu’abordent les auteurs des Afriques. Ils sont déjà plus contemporain car ils veulent parler plus à ceux d’aujourd’hui.
        Personnellement, je ne pourrai jamais me targuer de « connaitre l’Afrique » mais le roman me permet de découvrir aussi bien l’Ouganda, la Namibie, La Sierra-Léone ; d’hier mais surtout d’aujourd’hui à travers les récits de vie.

        Et puis, évidemment, « leS AfriqueS » englobent aujourd’hui les africains d’Europe qui, eux également, ont des histoires à raconter. Évidemment, des histoires de banlieues, de discriminations et d’immigration mais aussi des vies de combat pour la réussite et simplement l’amour smiley

        D’un point de vue du style aussi beaucoup de choses ont changé par rapport à nos « anciens ». Quand beaucoup d’auteur francophones des années 60-80 se faisaient une religion de respecter les « codes » de la littérature dite « française » (à la Zemmour : « si on n’écrit pas comme Hugo, ce n’est pas de la littérature », pour caricaturer) , aujourd’hui ces codes là ont volé en éclat. Le français est une langue mondial et les auteurs se la sont appropriés. Les styles sont aujourd’hui vraiment différents. Certains livres ne sont « africains » que parce que écrits par des hommes noirs quand d’autres ont de très forts marqueurs culturels africains ou Caraïbéens.

        Bref, vous l’avez compris, je prêche pour ma paroisse remplie de bénédiction smiley

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