« No Country for Old Men » ou les racines du... fiel ?

Hop, je finis ma dernière vodka-lait de la nuit et je vous parle de No Country for Old Men, l’adaptation cinématographique du chef-d’œuvre funèbre de Cormac McCarthy, best-seller à la beauté crépusculaire : Non, ce pays n’est pas pour le vieil homme. J’ai donc vu le dernier Coen. Bof, rien de cassant. C’est pas si mal non plus, pas de quoi le dézinguer sur toute la ligne, c’est du 2 étoiles sur 4 pour moi, pas plus.
Eh ouais, ôôô brothers ( !), qu’ils sont surestimés ces frères Coen et leurs films, par moments, qu’est-ce qu’ils sentent le carnet de bord de bons copistes, le storyboard et le prêt-à-filmer. Faudrait revoir leur cinéma (de genre) à la baisse. Un Michael Mann, grand maniériste devant l’Eternel, est nettement au-dessus par exemple, c’est lui " The Dude " dans le cinéma américain contemporain. Oui, autant la capillographie explosive de Javier Bardem doit être honorée ici, avec ou sans Christophe d’ailleurs !, autant la filmographie des frères Coen doit être quelque peu revue (à la baisse ?) et pourquoi pas " corrigée ".
Le début de No Country for Old Men est bien. Je dirais même la première heure. Par exemple, la scène d’exposition, nous présentant la peinture fantomatique d’un carnage effarant, fait penser à une reconstitution-stratagème à l’instar d’un Jeff Wall, limite factice donc, comme si les Coen, volontairement, ne cachaient pas l’artificialité du décorum et composaient, en l’affichant tel quel, un plan de cinéma - chapeau. Puis, à partir du moment où le " gentil moustachu " (Llewelyn Moss/ Josh Brolin semblant tout droit sorti de Planète Terreur !) jette sa valise par-dessus la rambarde, au niveau de la frontière américano-mexicaine, on dirait que les frères Coen patinent et qu’ils ne savent pas vraiment comment ils vont bien pouvoir finir leur jeu du chat et de la souris entre le psychopathe, dur et dingue (il s’est bidouillé un canon à bonbonne d’air comprimé des plus zarbis), et Llewelyn Moss, le chasseur devenant le gibier et vice versa - on connaît la chanson, même s’il est vrai que l’absence de musique contribue à l’inquiétante étrangeté (attention cliché) et à l’intolérable cruauté de cette mécanique macabre qu’est le film, à sang pour sang et où tous les coups sont permis.
D’ailleurs, la trame avec le butin caché entraînant une série de réactions en chaîne tous azimuts, ça rappelle l’excellent Un Plan simple de Sam Raimi (grand pote des frères Coen), ou pas si loin que ça non plus, on a L’Ultime razzia de Stanley Kubrick. Alors, les Coen’s brothers ressortent un vieux gimmick à eux, un truc qui fait private joke et qui permet à leurs aficionados de s’y retrouver :
ils vont jouer sur un humour décalé, à froid, avec d’un côté un humour
très noir - par exemple, le personnage-intercesseur cartoonesque joué
par Woody Harrelson (Carson Wells) sert à trois fois rien - et de
l’autre des poussées de violence subite et sidérante, vraiment
saignante. On le sait, cette hésitation (faut-il rire ? être effrayé ?) est, comme d’hab, la marque de fabrique du style Coen. Autant dans Fargo,
ça marchait, autant ici on se dit que les Coen ressortent une vieille
recette de cuisine à eux, celle qu’ils avaient testée avec Brillo dans Fargo et qui leur avaient tant réussi. On nous sert aussi une louche de western, notamment à la sauce spaghetti de Leone.
On joue sur la ruse, la feinte, les manipulations, les combines pour
abattre l’autre. Mater le dessous des portes d’hôtels, être une ombre
parmi les ombres, créer des leurres, bricoler des armes (on retrouve
aussi ici le côté McGyver du gang des soi-disant " experts " de Ladykillers), on pourrait presque se croire par moments dans certaines scènes de Léon
de Luc Besson, lorsque Stansfield (Gary Oldman en flic ripoux) traite
avec le dealer et qu’il se fait observer par Léon (Jean Reno) dans un
judas ou derrière la porte. Puis, la morale de l’histoire, je trouve que ça ne décolle pas plus haut qu’une bonne dissertation de philo de Terminale,
cette idée que l’homme pense maîtriser son destin, mais non, c’est un
faux-semblant, juste une illusion, il peut tout au plus suivre le cours
des choses et celles-ci, notamment en ce qui concerne la vie ou la
mort, peuvent se jouer à pile ou face. On est bien peu de chose(s).
C’était le procédé politique retors d’un François Mitterrand. Il ne
créait pas l’Histoire, mais il la suivait, en essayant tout juste par
moment de l’anticiper. De feinter. L’art de la feinte et de l’esquive,
à
Et puis le serial killer avec le cœur en hiver, façon le tueur taiseux de sang-froid, les pedzouilles amerloques mesquins et bêtes (du genre L’Idiot de Dostoïevski), le Texas et ses trognes patibulaires, les flics naïfs, limite concons mais en même temps avec un bon sens commun et la tête de chien battu d’un Tommy Lee Jones (le shérif Bell), cow-boy eastwoodien se la jouant baroudeur revenu de tout avec, dans sa musette, des histoires ressassant des états d’esprit du passé, c’est du déjà-vu. Puis cette idée que le monde change, qu’il vieillit inexorablement, que la violence des hommes se fait encore plus monstrueuse, absurde et inhumaine avec les temps qui changent, les choses allant de plus en plus mal dans un monde (fou) qui est de pire en pire malgré certaines tentatives pour le rendre meilleur et patati et patata et après ? Diantre, on la connaît la violence de l’Amérique, c’est pas le scoop de l’année par Toutatis ! Cormac McCarthy ainsi cité, en long et en cinémascope, pour nous dire quoi ? Qu’il faut être désenchanté ou, au contraire, y croire encore en prenant les choses, les pires comme les meilleures, comme elles viennent. Venir ainsi paresseusement épouser le mouvement de la (nouvelle) vague : you can’t stop what’s coming, nous dit la catchline de l’affiche américaine du film.
Au
contraire, penser, pour survivre dans ce monde sanglant et hors-la-loi,
à retrouver ses racines pour savoir d’où l’on vient car, effectivement,
le mal absolu est commis par un Javier Bardem qui n’a pas de racines,
il surgit de nulle part, n’a pas de pairs, de pères, de repères
normaux, sociaux, sociétaux, d’où son insensibilité à l’extrême.
Chigurh (Bardem) a une logique toute spéciale, il s’est inventé ses
propres lois tout en ayant sa propre échelle de valeurs et, comme dans
la pub Bordeaux-Chesnel, il n’a pas les mêmes valeurs que nous !
Visiblement, en ce qui concerne la violence, son curseur n’a pas de
borne, il est dans le hors limites en permanence, surenchérissant sans
cesse par rapport à ses proies faciles ou à ses adversaires plus
coriaces. Les obstacles l’excitent, sa machine programmatique, à
Alors que les vieux, les « casques blancs », les rides, on en rigole et, surtout, on n’en veut plus, trop H.S. Leur mécanique, plus mise à jour, serait définitivement enrayée, à enterrer au cimetière des voitures-balais et des objets encombrants. Pas de traces (de freinage) et de touche rewind possible, on veut nier la persistance de la mémoire. Effacer coûte que coûte le passé en le confondant, par absence totale de racines, avec le passif : No country for old men. Non, ce pays " sans histoire(s) " n’est pas pour les vieux os à la substantifique moelle. On a l’impression d’une Amérique allant à vau-l’eau, d’un monde sans pitié courant inexorablement à sa perte. Le devenir de l’Oncle Sam effraie. Les tueurs monolithiques et les flics désabusés, tels des spectres, arpentent une Amérique fantôme s’apparentant à un champ de ruines de plus en plus aride. Bon, OK, on a compris, pourquoi pas, mais quid d’une réelle envolée philosophique ?
Est-ce qu’il faut pour autant crier au fucking masterpiece ? Je ne pense pas. Rien
de nouveau sous les tropismes avec le nouveau Coen. C’est du déjà-vu
sur du déjà-lu. Et franchement, question tueur mutique et implacable,
un Viggo Mortensen chez Cronenberg (A History of violence et Les Promesses de l’ombre), dans son côté je suis une machine à
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