Notation musicale : des partitions en couleurs
Cette innovation spectaculaire n’a pas encore été officiellement actée, eu égard aux nombreuses concertations qu’elle a nécessitées dans les milieux musicaux français et internationaux. Dès lors, on comprend que l’information soit passée largement inaperçue dans l’opinion, faute d’avoir été relayée par les médias généralistes. Seul le très spécialisé magazine Diapason a, dans son dernier numéro, consacré un dossier à cette étonnante réforme...
C’est un fait : depuis longtemps déjà, des voix de plus en plus nombreuses ont rejoint les tenants de l’idéologie woke pour s’élever – principalement dans les milieux artistiques, mais pas seulement – contre la pérennisation de la notation musicale contemporaine, considérée comme « discriminatoire ». Né aux États-Unis, ce mouvement réformiste a progressivement essaimé dans les pays d’Europe occidentale. Cela n’a pas manqué de susciter des débats animés, tant parmi les compositeurs et les instrumentistes professionnels que dans les rangs des pédagogues et des musicologues. Et cela jusqu’au sein de la prestigieuse Julliard School de New York et du non moins célèbre Conservatoire national supérieur de musique et de danse de Paris.
Hérité de plusieurs siècles d’évolution, le système de codification des partitions musicales en vigueur est en effet de plus en plus mis en cause par les porte-parole des minorités. Et cela au motif, affirment-ils, que ce système « heurte les sensibilités », ce qui « n’est plus acceptable de nos jours », ajoutent les femmes et les hommes qui défendent cette cause depuis des années. Une opinion que Roselyne Bachelot partage pleinement, si l’on se réfère aux propos qu’elle a tenus le 23 mars en marge d'un concert donné par l'Orchestre de Paris et la pianiste Kathia Buniatishvili à la Philharmonie de Paris : « Il est à l’évidence devenu urgent de faire évoluer la notation musicale pour répondre aux légitimes préoccupations sociétales du moment », a tenu à souligner la ministre de la Culture.
En s’exprimant ainsi, Roselyne Bachelot rejoint ceux qui militent dans notre pays le plus activement pour exiger la mise en place d’une modification du système en vigueur. En pointe dans cette lutte figure fort logiquement le Conseil représentatif des associations noires (CRAN). Son président, Patrick Lozès, justifiait récemment la nécessité d’une réforme sur les ondes de France Inter par des mots forts et sans ambiguïté : « L’actuelle notation musicale est attentatoire à la dignité des minorités. Le projet de réforme en voie d’adoption est à cet égard une avancée que nous saluons. ». L’évolution des esprits semble devoir lui donner satisfaction, ce que confirme le directeur de la Cité de la Musique, Olivier Mantei : « La réforme devrait entrer en vigueur dès la rentrée de la saison 2022-2023. »
Mais de quoi s’agit-il ? questionnent à juste titre les béotiens, étonnés que la notation musicale, universellement en usage depuis si longtemps, puisse être devenue l’objet d’un débat de société. La réponse tient en un constat élémentaire : en musique, comme chacun le sait, toutes les notes n’ont pas le même poids ; et si le fait qu’une ronde vaille deux blanches sans poser de problème, le fait qu’une blanche vaille deux noires fait depuis longtemps déjà grincer les dents de ceux qui veulent voir là un symbole de discrimination raciale. « Cela ne peut plus être toléré ! », ont affirmé dès le tournant du 21e siècle les associations noires. Une vingtaine d’années plus tard, elles ont été entendues, et c’est ainsi que l’on devrait voir apparaître dès l’automne des partitions colorées sur les pupitres.
Encore fallait-il s’entendre sur les couleurs à adopter. Pas question par exemple de remplacer les notes blanches par des jaunes et les notes noires par des rouges, au risque de voir monter au créneau les associations indiennes d’Amérique du Nord en relais de leurs homologues noires. Au terme d’une concertation internationale longue et laborieuse, eu égard aux réticences manifestées ici et là, ce sont finalement les couleurs orange et bleu qui ont été retenues pour remplacer sur les portées les notes blanches et noires. Cela dit, il est évident que toutes les partitions existantes ne vont pas finir au pilon dans les prochains mois. Ce n’est en effet que très progressivement qu’elles seront remplacées. Un changement qui, dans un premier temps, concernera les écoles de musique et les conservatoires.
Une chose est sûre : questionnés sur le sujet par les journalistes de Diapason dans quelques écoles de musique de région parisienne, les jeunes élèves qui apprennent le solfège et découvrent la pratique d’un instrument plébiscitent d’ores et déjà cette réforme. Ils la qualifient même spontanément de « séduisante », de « joyeuse » et de « moderne ». Appelés à se projeter sur une éventuelle carrière d’instrumentiste, ces jeunes vont même plus loin que cette réforme de la notation musicale en posant cette question non dénuée de bon sens : « Il n’y a pas que des messes de requiem et des marches funèbres au répertoire. Pourquoi les musiciens eux-mêmes ne renonceraient-ils pas à leurs tenues de concert noires et blanches pour oser les couleurs ? » À chacun d’en juger...
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