Philosophie, mentalité ingénierique occidentale
Il ne faut pas prendre les gens pour des idiots, et il y en a par trop qui confondent la spiritualité, la religion, le développement personnel, la science et la philosophie. C'est n'importe quoi, encore que chacune de ces démarches puissent se pencher sur les mêmes points et utiliser des mots similaires. L'usage change fondamentalement d'un domaine l'autre, avec toujours plus de précision selon qu'on se rapproche de la philosophie, quitte à sembler être "taraudé du cul" métaphysique. Seulement la spiritualité a tendance à étaler allègrement ses sécrétions ... et, comme dit l'adage : "la connaissance, c'est comme la confiture, moins on en a, plus on l'étale".

Philo-sophie : amour, sagesse, ce sont des gros grands mots massifs balourds bien gras.
Déjà le mot amour si galvaudé en français ("j'aime le pain, j'aime ton post Facebook, j'aime ma femme, j'aime Dieu, je fais l'amour") en grec ancien peut se dire eros, philia et agapè.
L'eros est lié à la libido sexuelle, seulement c'est bien d'elle, dont parle Platon dans son fameux Banquet aussi. C'est même un support vers la sagesse, aussi.
La philia réfère à l'amitié, l'affinité. Aussi dans philosophie elle désigne moins un amour au sens fort, surtout pas mystique, qu'une appréciation au sens où l'on dit apprécier quelqu'un ou évalue quelque chose, avec qui ou quoi on se veut en bons termes.
Ça tombe bien, parce que le grec ancien sophia réfère au savoir, à l'habileté, à la technique.
Aussi faire de "la sagesse" un état mystique laisse encore perplexe, encore que l'expérience du mystique soit possible. Seulement, dans les termes de la philosophie, elle sera nécessairement mesurée à l'aune de la raison. Or dans l'antiquité grecque cette notion de mesure-modestie-voie sans excès, était cruciale. Auquel titre le mysticisme peut partir dans tous les excès. En l'occurrence : le désert définitionnel insituable, indiscernable, déraisonnable, encore qu'il fasse appel à de bien belles brigandes bâtardes choses au seul prétexte de "l'expérience". L'expérience, encore faut-il pouvoir la décrire raisonnablement, pour philosopher.
Reste le dernier terme "amoureux" : agapè, qui réfère à l'aspiration au sens large. Le mysticisme en ressort plus sûrement qu'autre chose.
Il ne faut pas prendre les gens pour des idiots, et il y en a par trop qui confondent la spiritualité, la religion, le développement personnel, la science et la philosophie. C'est n'importe quoi, encore que chacune de ces démarches puissent se pencher sur les mêmes points et utiliser des mots similaires. L'usage change fondamentalement d'un domaine l'autre, avec toujours plus de précision selon qu'on se rapproche de la philosophie, quitte à sembler être "taraudé du cul" métaphysique. Seulement la spiritualité a tendance à étaler allègrement ses sécrétions ... et, comme dit l'adage : "la connaissance, c'est comme la confiture, moins on en a, plus on l'étale".
Pardon d'être sévère ?
On ne peut pas faire dire tout et son contraire à un auteur, surtout philosophe. D'abord, aucun bouddhiste n'admettrait qu'on nie le dogme selon lequel "désir est avidité" et par quoi on tend au dogme du "nirvana". Eh bien, même si c'est grossier et sommaire pour le philosophe - et même plus généralement pour le psychologue - les bouddhistes ont réussi à produire des spiritualités raffinées culturellement. Reste que le philosophe raisonne et que, raisonnant, il est critique-concepteur.
Ce n'est pas une chose qu'on demande aux bouddhistes, encore que ça ne leur soit pas interdit, seulement s'ils commencent par critiquer-concevoir les dogmes, ils n'iront pas loin selon les critères de développement de cette spiritualité. Les philosophes, même quand ils réclament une grande sagacité que tout le monde est loin de partager ... et même si, comme pour tout, une longue étude/pratique vaut mieux qu'un aperçu (surtout s'il n'est pas encyclopédique) ... eh bien, les philosophes disent des choses qui se laissent définir. Alors bien entendu, dans l'absolu, tout est plus ou moins définissable, mais en philosophie les raisonnements permettent de désigner des items discernables, qu'on les juge plus ou moins concrètes ou plus ou moins abstraites. Il y a des surinterprétations et des mésinterprétations vite repérables. Les spiritualités sont fourre-tout, chacun y met ce qu'il se sent d'y mettre, même si leur contraire n'est pas possible non plus (même s'il y a aussi de mauvaises interprétations).
Il faut arrêter à un moment donné, de laisser les champs d'interprétation toujours ouverts maximalement, encore que chacun puisse donner sa perspective sur un nom-de-philosophisme, ou ne serait-ce que son impression manichéenne (j'aime, je déteste). Mais ça sera toujours sur un élément situable. Les spiritualités sont largement insituables, surtout quand elles se mettent à parler avec les termes de la métaphysique voire de la philosophie occidentale.
Philosopher, c'est d'abord douter-questionner en termes de raisonnements définissables, discernables, situables, même quand on tâtonne, afin de critiquer-concevoir. Ne jamais oublier que la philosophie accoucha des sciences, et pourrait accoucher d'autres sciences encore, qui sait, même si les sciences ne sont plus la philosophie ni la philosophie les sciences.
Je ne vois pas pourquoi il faudrait tout de suite alléguer qu'il y a "sur-rationalisme occidental" (la notion de sur-rationalisme, par ailleurs, ressortant surtout de Gaston Bachelard pour désigner quelque chose de bien spécifique en sciences) : c'est tellement bateau, cliché et charlatan de cracher sur la raison comme ça ! Il faut arrêter de pleurnicher sur la raison philosophique, comme telle elle a été accouchée par la culture grecque ancienne suivie de la romaine qui l'admirait, Rome qui elle-même fut le support d'une unification politique et religieuse au moins jusqu'à la Renaissance (époque où les armures et les châteaux forts deviennent obsolètes à cause des canons, des pistolets et des explorations mondiales quittes à coloniser impérieusement, ère de la piraterie et pas que de la piraterie ... ).
C'est-à-dire que la raison ne devient "rationalité technicienne bête et méchante" qu'à partir du moment où l'on s'en tient au rationalisme et au pragmatisme. Le premier postule que tout se déduit tout purement, le second que tout s'induit circonstantiellement - pour aller vite. Ensemble, c'est-à-dire par le prisme du criticisme kantien, ils accouchèrent quand même des sciences et industries contemporaines sans lesquelles nous ne communiquerions pas là. Donc bon, il faut arrêter à un moment donné, pour le meilleur et pour le pire il faut assumer une seconde ce matérialisme de civilisation.
N'empêche que la raison philosophique, même si d'autres civilisations ont des philosophies (surtout éthico-pratiques), des sagesses, des connaissances, etc. n'est pas seulement "rationalité technicienne bête et méchante" et qu'elle se distingue des autres civilisations, justement par son esprit critique-concepteur. "L'Occident", ou ce qu'il est convenu de nommer à peu près tel, est la seule civilisation au monde à avoir porté cela : Aristoclès, fils d'Ariston, dit Platon, y est pour beaucoup, même quand on n'est pas spécialement platonicien en Occident, ni même au courant du platonisme, voire grand récusateur du platonisme (Nietzsche reste critique-concepteur, notamment en ce qu'il adhère aux sciences, dont l'esprit de connaissance a été abouti par Platon sur la base des présocratiques).
...
Pour bien philosopher, il faut être bon en intuitions mathématiques à défaut d'être grand mathématicien.
On pourrait dire que, si les maths sont des valeurs vides, raisonnements purs très esthétiques, la philosophie est une mathématisation des pensées, c'est-à-dire une mathématique signifiante, dont la polysémie ruine quelque peu les espoirs de mises en équation parfaite, quoique foisonnent les axiomes et leurs tentatives d'équations.
En philo, il faut de toutes façons un minimum de rigueur, même s'il y a fatalement un style littéraire, et je pense que c'est aussi pour cette haute teneur culturelle qu'il faut philosopher. Philosopher est à la pointe de la culture en général (et non seulement de la culture générale, qui elle n'a pas de pointe). Or la culture est ce qui nous humanise le plus. Le reste retourne gaiment au non-verbal-incarné des bêtes, qui certes ne sont pas bêtes, mais ne critiquent-conceptualisent pas non plus. En somme, philosophe qui veut cultiver l'humanité au plus haut point, ce qui tombe bien puisque la philosophie fait partie des humanités.
Vous ne savez rien ni des mathèmes ni de la haute culture, c'est pour cela que vous désespérez de la philosophie. Un art de vivre, est fondé sur un mathème significatif. Arrêtez d'avoir peur des maths, je vous le dis je ne suis de loin pas un grand matheux. Et pourtant, Thalès de Milet est considéré comme le premier philosophe connu. Aussi c'est parce qu'on ne sait pas ce que c'est que "la mathématisation" qu'on la condamne bêtement. Kurt Gödel, éminent mathématicien du 20ème siècle, était platonicien - et, accessoirement, psychotique, mais c'est autre chose ?
Les maths ne sont pas que du calcul, ou plutôt les calculs ne sont pas ... que du calcul. L'essentiel est de comprendre l'intuition mathématique derrière par exemple l'intégrale d'une fonction (même mouvement de pensée que lors d'une problématisation de sujet) ou encore une équation (mise en relation de différentes données, pour en évaluer le résultat ou situer l'inconnue ou les inconnues), etc. Il y a bien des computations si l'on veut, ceci dit sans tomber dans le cliché d'un cerveau-machine-cognitive non plus. Néanmoins nous n'y pouvons rien : la pensée produit pourtant ce genre de machines, c'est donc qu'elle en a comme la vertu intellectuelle, etc. Oui, "que nul n'entre ici s'il n'est géomètre" au fronton de l'Académie platonicienne, ça veut dire qu'il va en falloir, des facultés de conception/conceptuelles. Seulement évidemment, le premier concepter-design venu n'est pas génial non plus, et il y a bien des gens qui se disent artistes quand ils savent en gros reproduire des monstres vus à la télé sur leurs cahiers. C'est bien fait mais ça ne suffit pas. Ceci étant, nous sommes tous massivement à ce niveau quand on aime philosopher, une fois transposé la métaphore à la philosophie. Or une telle transposition s'appelle une vectorisation, en maths. Tu n'y peux rien, c'est comme ça.
Tu pars du principe qu'il faudrait que toutes les réponses soient fermes, universelles et définitives, ce qui est totalitaire tu ne trouves pas ? Certainement qu'on philosophe comme un débile si l'on renie les sciences, aujourd'hui, seulement effectivement les sciences ne font pas une politique, ni une éthique, a minima, donc pas une culture non plus même s'il y a une culture scientifique et des tics culturels propres aux milieux de la recherche scientifique et plus généralement universitaire. Au hasard, le corporatisme ?! ... De plus, pour savoir comme attaquer épistémologiquement et scientifiquement un problème, on est toujours dans des projets de méthode/recherche qui, eux, sont philosophiquement générés, pas le choix. C'est évident avec les gender studies, qui obtiennent des résultats fiables, mais dont on aurait jamais eu l'idée si l'on s'en était tenu à des démarches plus classiques/disciplinaires en sciences, encore qu'elles ne se passent pas des démarches plus classiques/disciplinaires non plus.
Prenons Aurélien Barrau, connu pour son écologisme. C'est un cosmologiste, astrophysicien, de base :
C'est vraiment extrêmement chouette qu'une telle conférence, encore qu'elle semble survoler son sujet sans profondeur ? ... mais c'est que son sujet me semble-t-il - quoiqu'il reste la possibilité du multivers, - contient justement la question de la possibilité, et comme elle n'a pas encore été résolue ni vérifiée/infirmée, nous avons majestueusement affaire à une question de méthode.
C'est la méthode qui prime-là à mon avis, et sur laquelle insiste d'ailleurs Aurélien Barrau jusqu'à la fin, consistant vraiment à faire science non pas en toute humilité, mais certainement avec modestie, en ce sens qu'il s'agit de remettre et garder les choses en perspective. A partir de là il est beau de le voir entamer sur la philosophie depuis les présocratiques (Anaximandre) et, pour tout dire, avec le conséquentialisme moderne en plus, on peut dire qu'Aurélien Barrau réactive cette vieille tradition philosophique à mon avis.
L'esprit de méthode doit être de bon scepticisme à laisser les champs invérifiés libres, plutôt que de les clore comme une mûle. Aurélien Barrau le démontre per se au sujet de la possibilité du multivers.
Alors après, dire que "tout le monde philosophe" est bateau. Ce n'est pas parce que tu penses que tu réfléchis, ni parce que tu réfléchis que tu philosophes, ni parce que tu philosophes que tu médites, ni parce que tu médités que tu pries. Beaucoup de gens font des amalagames-monstres à ce sujet. Par contre, que tout le monde soit amené à se poser une question à caractère philosophique, c'est sûr, mais tout le monde ne cultive pas ses questionnements en raison. Raisonner, c'est critiquer-concevoir et faire en sorte que le déroulement de nos pensées se ressemble et s'assemble quoique les opposés s'attirent ... façon de parler.
...
Conscientiser cela, consiste peut-être à le dépasser du même coup.
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