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Accueil du site > Culture & Loisirs > Culture > Quand bien même de Francis Jacques

Quand bien même de Francis Jacques

Je ne crois pas avoir suivi le conseil de l’auteur et m’être tenue d’emprunter successivement les différentes entrées qu’il propose selon les impératifs d’un narratif qui allie étroitement philosophie et théologie. Non, je suis entrée d’emblée, et une fois pour toute, dans ce long texte qui se pare de la plus belle tournure, la poésie, et repose sur le socle où l’émotion liée au sentiment suscite la plénitude dans l’évocation de l’amour, conjugué ici selon le temps de Dieu et le temps de l’homme. « Quand bien même », ce titre mérite que l’on s’y attarde pour la simple raison qu’il exprime la concession ou contradiction entre une hypothèse et un fait et laisse percer l’idée d’une hypothèse non encore validée. N’est-ce pas l’amour qui se contemple sous les feux de l’absolu et se justifie du désir d’animer un cheminement qui va du désamour à l’amour, de l’amour de l’autre noué à l’amour de Dieu, à son image suprême et néanmoins fragile et pose un problème dont l’émergence se veut à un niveau supérieur de réflexion, évoluant dans les eaux mêlées de l’amour et de l’illusion, de la dérobade et du pardon ? « L’homme sera jugé sur son amour pour son prochain, et surtout pour le plus démuni » - souligne l’auteur. Le thème est circonscrit.

La femme, inspiratrice de l’amour mais également responsable du désamour, se voit deux fois évoquée sous le double parrainage dont elle est l’alpha et l’oméga. Peut-être manque-t-il à ces portraits si divers de la muse, le beau visage de la mère. Aimer la femme, sa compagne humaine, est pour le théologien-poète l’obligation de se mettre en orbite sur l’univers infini de l’amour divin. D’où la gravité de l’amour, d’où son importance, puisqu’il est le chœur et le cœur de ce qui nous relie directement au Père, la clé de voûte de la cathédrale humaine. L’épreuve et le sacrifice marquent néanmoins ce parcours et composent l’essentiel de ces péripéties mouvementées entre l’homme et la femme. L’écrivain ne cache pas le plaisir qu’il a pris à gravir la pente forestière de ses Vosges mosellanes jusqu’au rocher de son village appelé le « Rocher du Calice », dont il a étonnamment la forme et la valeur symbolique. « Coupe d’amertume mais aussi Roc du salut » - précise Francis Jacques. Selon lui, l’amour accompli ne peut être que l’amour sauvé selon le modèle du Verbe incarné mais sera fatalement, au cours de son actualité, empreint de promesse, de chagrin, de pardon, de désaffection et de menace de trahison. Un enjeu spirituel sur haute fréquence tant il est vrai que vivre d’amour est la meilleure façon de se dépasser, de se construire et de renaître à soi-même. « Affaire sacrée et sacrée affaire » en définitive car, selon quelles conditions, insiste l’auteur, la confluence des deux amours parvient-il à devenir une conjonction réussie comme l’est le modèle christique ?

« Je me suis interrogé sur mon amour humain

Afin d’apporter une compréhension essentielle

A mon existence. » *

Francis Jacques a emprunté à la stance le mouvement des mots, leur articulation, leur souci de magnifier le discours, de le couler dans l’eau limpide de la poésie. Et le résultat est bouleversant. La beauté du phrasé vous saisit dès les premières lignes, vous enveloppe et vous guide inexorablement dans les méandres de ce lent travail du cœur, de cette douloureuse et éblouissante transformation qui va de l’amour meurtri à l’amour rénové par le pardon. A l’heure où le sentiment amoureux est si souvent dénaturé, roulé dans le caniveau des appétits les plus vulgaires, cet ouvrage est une rédemption, un appel à la transcendance, un fil conducteur pour une salutaire métamorphose intérieure ; oui, un livre de chevet qui vous murmure en permanence, d’une voix souvent entrecoupée de sanglots, le tracé d’une ligne de crête à l’inépuisable beauté. Voilà un texte de haute inspiration qui redonne à l’amour ses lettres de noblesse, lui restitue ses fondements constitutifs sur lesquels se doit de reposer inexorablement notre dignité humaine.

« Chaque prière est un refuge
D’éternité, gagné sur les ténèbres.
Au plus creux de la nuit immense
Mais aussi je prie pour toi
Une prière profane, sans effort,
Et aux petites heures du matin
Une prière d’imploration fervente. » **

Armelle BARGUILLET HAUTELOIRE

*Page 27 (un roman de l’écart)
**Page 332 (Prière dans les larmes)

Francis Jacques est un philosophe français né en 1934 à Strasbourg.
Docteur en philosophie (1975) et en théologie (2000), il a été notamment professeur de philosophie à l'université de Rennes 1 (de 1976 à 1986), professeur invité à l'Institut catholique de Paris (de 1986 à 2000), puis professeur de philosophie du langage et de la communication à la Sorbonne nouvelle (Paris-III) (de 1986 à 2001).
Auteur de nombreux ouvrages, il a montré — dans Différence et subjectivité et L'Espace logique de l'Interlocution — que la subjectivité ne devrait pas être pensée à partir de la conscience de soi, mais à partir de la communication interpersonnelle. C'est en effet dans et par celle-ci que les participants deviennent des personnes. Sa réflexion s'inscrit à la fois dans la perspective de l'anthropologie, de la philosophie analytique et de la pragmatique linguistique. En 2002-2003, il a occupé la chaire Étienne Gilson.


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2 réactions à cet article    


  • Montagnais .. FRIDA Montagnais 31 août 2016 21:46

    Bonsoir, 


    Je cherchais Le chant de Malabata

    mdr ! « Actuellement indisponible.  » dit Amazone

    Que de chemin depuis 87 .. l’Académie ..

    Je vais regarder Le Jardin d’incertitude ..

    Bien à vous

    NB : non, on est pas vulnérable .. quel bel Hybris, quelle beauté ..

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