Rembrandt est à l’honneur
Enième anniversaire que cette année Rembrandt (né en 1606) ? Heureusement pas seulement ! Rien qu’à Paris, trois expositions uniques présentent des œuvres plus familières des coffres sombres que des regards de curieux. Résumons-nous : le Louvre a choisi de présenter une série de dessins, le Petit Palais et la Bibliothèque nationale (site Richelieu) se sont tournés vers les gravures. Des œuvres trop sensibles à la lumière pour faire partie des expositions permanentes de musées.
Parce que l’histoire a fait que les plus belles gravures et quelques-uns des plus beaux dessins du peintre d’Amsterdam sont conservés à Paris, parce qu’aussi les œuvres graphiques n’attirent jamais autant de monde que les peintures, il faut courir voir ces trois expositions et plonger sans retenue dans le travail « à l’œuvre » du peintre d’Amsterdam. Une expérience qui réouvre le regard sur le réel, dans sa richesse et jusque dans ses laideurs...
A la plume, à la sanguine, à la pierre noire, Rembrandt croque un vieillard assis dans son fauteuil, une femme et son enfant mendiant, des paysages horizontaux, des animaux de zoo... Non destinés au public, travail quotidien de l’artiste, c’est l’intimité de son univers qu’ils nous révèlent. Une curiosité de tout mais surtout une attention sans pareille à des attitudes sans pose, des expressions sans démonstration outrancière. La main de Rembrandt a la nature subtile et délicate. C’est la douceur de son regard sur le monde qui saisit d’émotion devant ces croquis privés. Le travail « en train de se faire », « à l’œuvre », se produit sous nos yeux, lentement mais sûrement.
Le travail gravé lui, est au contraire, voué à la diffusion par définition. Et donc, grâce aux extraordinaires collections rassemblées par Duthuit (Petit Palais) et Marolles (BN), ce sont plusieurs versions d’une même eau-forte que nous pouvons observer et comparer. Il y a de quoi faire, en effet, dans une observation croisée, tant les métamorphoses constantes renouvellent un même sujet ! Rembrandt reprend de tirage en tirage son travail et expérimente de nouveaux éclairages, de nouveaux cadres, de nouvelles expressions.
Portraits et autoportraits, nus et scènes de genre déclinent la richesse de l’humain jusque dans ses travers. La Pisseuse, par exemple, populaire, voire grossière, est un drôle de pendant aux portraits de notables qui firent la fortune précoce de Rembrandt et sa notoriété extraordinaire. Lui-même joue de son propre physique, peu gracieux a priori : ici les yeux exorbités, ici fronçant les sourcils, là posant tel un prince de la Renaissance, jamais le même... mais d’une vitalité débordante.
Quels que soient ses modèles, souvent d’ailleurs familiers (ses deux épouses Saskia et Hendrickje, son père, sa mère, son fils Titus), la perfection plastique de l’intéresse pas. Pas plus d’ailleurs que le spectacle monotone des paysages hollandais. Quelques troncs, un orage finissant, une ferme et son moulin suffisent à retenir son attention la plus aiguë. Et la magie opère... On se prend à trouver sublime ce corps nu de femme pas toute jeune, aux rondeurs déjà flasques, ce vieillard triste, cette femme serrant son enfant contre elle. La réalité telle que la voit l’artiste prend une ampleur inouïe. Parce qu’il n’y a là rien que de très commun, c’est nous-mêmes et nos voisins de visite que nous osons voir autrement.
La diversité des éclairages et leur subtilité sont sans égal bien sûr, elles ont fait le succès de Rembrandt depuis quatre siècles et fascinent encore à juste titre. Il y a ces célèbres effets de clair-obscur, ces effets d’apparition christiques, etc. Il y a surtout un rapport à la lumière qui nous ramène vers l’ombre. Le devant de la scène n’est pas là où on le croit, du côté des « spotlights ». Non, c’est dans l’ombre, voire au cœur de la nuit (comme dans ces Adorations des bergers ou ces Fuites en Egypte) que les plus belles émotions s’éveillent. C’est encore dans un entre-deux indécis, entre ombre et lumière, trouble, voire inquiétant, que Rembrandt nous invite à creuser, à avancer, à écarquiller les yeux.
Voilà pourquoi ces trois expositions sont incontournables et salutaires ! Si je peux me permettre, j’ajouterai que les voir toutes les trois successivement dans la même journée est une expérience d’une rare densité. Bon voyage...
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