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Accueil du site > Culture & Loisirs > Culture > René de Obaldia, l’humble Immortel centenaire

René de Obaldia, l’humble Immortel centenaire

« Les vertus ne viennent-elles pas au secours de l’homme pour éviter le pire, précisément, afin qu’il puisse vivre en harmonie avec ses semblables ? J’irai jusqu’à vous confier que, parmi celles-ci, qui s’épaulent et s’enrichissent mutuellement, je placerai au premier rang l’humilité, pierre de touche, à mon sens, de toutes les autres vertus : en découlent la charité (…), le courage (…), l’espérance, et autres petites sœurs… Toutefois, c’est l’une d’elles, des plus modestes, qui me va droit au cœur en ce moment même : la patience. La patience dont vous avez fait preuve, Mesdames et Messieurs, en m’écoutant discourir, tant bien que mal, sur ce noble sujet. Je ne puis que vous exprimer ma gratitude. » (Discours sur la vertu, le 1er décembre 2005).



Il ne faut pas confondre. Pas un centenaire immortel, il y en a quelques-uns que la mort a oubliés et l’âge est alors impressionnant, par exemple, Lucette Destouches (106 ans !), mais un immortel centenaire. C’est très rare qu’un membre de l’Académie française atteigne cet âge canonique, bien que la moyenne d’âge soit particulièrement élevée.

Pour tout dire, René de Obaldia, qui fête ses 100 ans ce lundi 22 octobre 2018, est le second académicien à franchir ce seuil symbolique. Le précédent, ce fut le célèbre ethnologue Claude Lévi-Strauss qui a franchi les 100 ans le 28 novembre 2008 avant de s’éteindre onze mois plus tard. L’ancien doyen d’âge, Félicien Marceau, est mort le 7 mars 2012 à l’âge de 98 ans et demi. Auteur du roman "Le Centenaire" (sorti en 1959 chez Grasset et dont le héros dit : « Dans treize ans, je serai centenaire. On ouvrira grande la porte du salon et les contemporains viendront me toucher. »), René de Obaldia disait déjà pour ses 90 ans : « C’est tuant d’être immortel ! ». Et il a appliqué ce proverbe russe : « Pour devenir centenaire, il faut commencer jeune. ».

René de Obaldia est un "vrai" écrivain de l’Académie française : « Aujourd’hui, dans le laxisme ambiant, ce monument de la tradition française me paraît être une institution d’avant-garde. » ("Le Vif" le 19 mars 2012). Il apprécie qu’il n’y a pas que des écrivains, car sinon, ce serait très ennuyeux.

Élu comme un maréchal à l’Académie française le 24 juin 1999 au fauteuil de Julien Green, qui fut aussi celui de François Mauriac, pour ce qu’il a écrit et pas ce qu’il est, René de Obaldia est un dramaturge (et poète et romancier) à l’égal d’un Eugène Ionesco et d’un Samuel Beckett. Prince de l’absurde (qu’il rejette), marquis de bons mots, il a publié une soixantaine d’œuvres (entre 1949 et 2017), traduites dans une trentaine de langues, et sa discrétion dans les médias depuis très longtemps cache le fait qu’il est, depuis un demi-siècle, l’un des auteurs français qui est le plus joué au monde sur scène.

René de Obaldia a toujours refusé de se voir coller l’étiquette du théâtre de l’absurde : « J’ai refusé cette étiquette ; selon moi, si le monde est vraiment absurde, alors c’est trop absurde. Je pense que la vie a quand même un sens, d’un abord très difficile, certes. Je ne suis pas du côté du théâtre de l’absurde, mais du théâtre de l’interrogation, du mystère. » ("Zone Critique", le 11 novembre 2017).

Adorateur de la fantaisie et de l’amusement des mots, René de Obaldia, dont on ne pourra jamais dire qu’il n’est pas un défenseur acharné de la langue française, n’hésite pas, dans ses discours à l’Académie, à citer Shakespeare dans sa langue d’origine, c’est-à-dire l’anglais. Aimer le français, ce n’est pas combattre l’anglais mais c’est valoriser le français, et lui l’a valorisé par les faits, par ses scintillants écrits.

Dans son discours sur la vertu, l’unique discours qu’il s’est permis de prononcer sous la Coupole en dehors de celui de sa réception, lors de la séance publique annuelle du 1er décembre 2005, René de Obaldia, avec son esprit d’amusement et sens de l’humour, s’est prêté à l’exercice sur le thème "Vertu et relativité", à savoir « de la relativité du bien et du mal et, par voie de conséquence, des vertus inhérentes supposées ou présupposées qui en découlent ».

Et il n’a pu s’empêcher de raconter cette anecdote (connue, en fait, et plaisante) avec Albert Einstein : « Je ferai appel à Einstein, la vertu obéissant aussi, et par nature, aux lois de la relativité. (…) Je ne résiste pas au plaisir de vous livrer cette anecdote peu connue : le savant, pour tenter de rendre compréhensible sa fameuse théorie à son boucher, et par là même, au commun des mortels, lui avait expliqué : "Monsieur Gaudinet… Monsieur Gaudinet, placez votre main sur un poêle durant une minute, cela vous semblera une heure… Asseyez-vous auprès d’une jolie fille durant une heure, et cela vous semblera une minute… C’est cela, la relativité". ». Cela fait toujours son petit effet.

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René de Obaldia est né le 22 octobre 1918 à Hongkong et fut élevée par une nourrice chinoise, Taï Hong Hua (qui signifie "fleur d’arc-en-ciel"). Son père diplomate, qu’il a à peine connu, était consul de Panama à Hongkong (tandis que sa mère était française). Son père est parti assez vite de la famille et est devenu par la suite Ministre de l’Intérieur. L’arrière-grand-père, d’ailleurs, José Domingo de Obaldia, avait été Président de la République du Panama (1845-1910) du 1er octobre 1908 à sa mort, le 1er mars 1910, lui-même fils de José de Obaldia (1806-1889), qui fut Président de la République de Nouvelle-Grenade, regroupant la Colombie, le Panama et le Nicaragua, du 1er avril 1851 au 1er avril 1855. Toute cette ascendance assez romanesque aurait pu faire de René de Obaldia le Président de la République des lettres, mais ce titre était déjà réservé à Jean Paulhan.

Très rapidement, quelque mois après la naissance, la famille (sans le père) est retournée en France et le futur écrivain passa son enfance à Amiens puis à Paris, au lycée Condorcet. Mobilisé en 1940, il fut fait prisonnier par les nazis et conduit en Silésie de 1940 à 1944. À Armelle Amiot du journal "Le Figaro", René de Obadia a précisé le 13 avril 2009 : « J’ai été rapatrié en 1944, mes camarades n’ont été délivrés qu’en mai 1945. Or, Jean Robinet, ce camarade que j’ai revu récemment, m’a raconté cette histoire : ils étaient trois quand un Allemand, énervé, les menace de son arme. Il tue l’un d’eux, il blesse l’autre, quand il tire sur Robinet, son arme s’enraye. Si ce n’est pas "le destin"… ».

Après la guerre, il collabora à plusieurs revues littéraires, fut secrétaire général du Centre culturel international de Royaumont entre 1952 et 1954 (il n’a pas réussi à faire entrer le Sapeur Camembert à la bibliothèque : « Quand les bornes sont franchies, il n’y a plus de limites ! »), se lia avec Roland Barthes, Jean Cocteau, Clara Malraux, Alain Robbe-Grillet et Jean Vilar qui le propulsa sur la scène du Théâtre national populaire en 1961 avec sa pièce "Genousie" (créé avec Jean Rochefort). Genousie reprendre le mot "genou" utilisé dans une autre pièce.

Les titres de ses romans, poèmes et surtout pièces sont assez parlants, comme "Tamerlan des cœurs" (1955), "Impromptus à loisir" (1961), "Le Général inconnu" (1964), "Les Larmes de l’aveugle" (1964), "Le Cosmonaute agricole" (1965), "Les Innocentines" (1969), "Deux femmes pour un fantôme" (1971), "Le Banquet des méduses" (1971), "Endives et miséricorde" (1986), "Sur le ventre des veuves" (1996), "Obaldiableries" (1999), "Fantasmes de demoiselles, femmes faites ou défaites cherchant l’âme sœur" (2006), etc. Comment a-t-il trouvé ces titres ? « C’est le mystère de la création et de la grâce. Ils me viennent ainsi. Il y a une part de chance également. » ("Zone Critique", le 11 novembre 2017).

Son dernier ouvrage (sorti le 29 mars 2017 chez Grasset) a pour titre : "Perles de vie. Précis de sagesse portative", un recueil de pépites, des citations que René de Obaldia a appréciées et annotées durant son existence, que son éditeur a encouragé à publier. En forme de pirouette, on peut y lire des citations aussi de …René de Obaldia lui-même, ou des citations au style très obaldien, comme d’Alexandre Dumas : « Ah ! Ah ! dit don Manuel en portugais. ». Ou encore, de Chesterton : « Les anges volent parce qu’ils se prennent à la légère. ». Aussi de Cocteau : « Sans le Diable, Dieu n’aurait jamais atteint le grand public. ». Et pour un académicien, de Gaston Leroux : « Il faut s’habituer à tout, même à l’immortalité. ».

Beaucoup de pièces sont des parodies d’œuvres de grands auteurs (comme Shakespeare). Toutes ses œuvres ont été rassemblées et éditées par Grasset (dont huit tomes pour l’œuvre théâtrale) et les éditions Jean-Michel Place ont sorti "L’Encyclobaldia" (par Gérard-Denis Farcy). Parmi les comédiens qui ont joué des pièces d’Obaldia, il y a Michel Simon, Jean Rochefort, Samy Frey, Michel Bouquet, Henri Virlojeux, Maria Casarès, Georges Wilson, Maria Pacôme, Micheline Presle, etc.

La pièce la plus jouée et probablement la plus connue de René Obaldia est "Du vent dans les branches de sassafras", une parodie de western américain, qui fut créée le 17 février 1965 au Théâtre de Poche de Bruxelles, avec Michel Simon, Françoise Seigner, Caroline Cellier et Bernard Murat. Lors d’un colloque le 2 octobre 1999 à Beaulieu-sur-Mer, Monique Trédé parla du passage le plus importante de cette pièce : « À un moment critique de l’action, [René de Obaldia] confie au personnage de "la put@in au grand cœur" une longue tirade en alexandrins. Le public saisi par le caractère incongru de ce changement de ton, s’esclaffe ; il se délecte, de plus, en reconnaissant ici ou là une transposition du vocabulaire et des rythmes de la tragédie classique. ».

Catherine Schwaab, du magazine "Paris Match", a fait état de la grande humilité de René de Obaldia lorsqu’il a fêté son 99e anniversaire, le dimanche 22 octobre 2017, chez la poétesse Vénus Khoury-Ghata, aux côtés de quelques invités dont Hélène Carrère d’Encausse et Pierre Cardin (à peine plus jeune) : « René nous "fait" Michel Simon : "Saluant le public après avoir joué sa pièce ‘Du vent dans les branches de Sassafras’, l’acteur s’interrompt : ‘M@rde, je sais plus le nom de l’auteur…’ !" Élégant Obaldia qui se moque et ne la ramène pas alors qu’il est l’auteur le plus joué au monde. "Par beaucoup de troupes amateurs parce que j’ai fait des pièces en un acte, ça n’est pas cher à monter", minimise-t-il. » (26 octobre 2017). Peu de personnages, pas de décor. Pas cher.

Au-delà de la reconnaissance littéraire par son élection à l’Académie française, René de Obaldia a reçu de très nombreuses récompenses, prix, décorations, etc. parmi lesquels on peut citer le Grand prix du disque de l’Académie Charles Cros en 1978 (pour des textes lus par Madeleine Renaud et Michel Bouquet), le Prix de l’Académie en 1981, le Grand prix du théâtre de l’Académie française en 1985, le Grand prix de la poésie de la SACEM en 1988, deux Molière (d’honneur et du meilleur auteur) en 1993 pour "Monsieur Klebs et Rozalie", le Prix de la langue française (délivré par la ville de Brive-la-Gaillarde) en 1996 et la Monnaie de Paris a même sorti une pièce de monnaie en son honneur en 1997. Dans "Exobiographie" (ses mémoires sorties le 28 avril 1993 chez Grasset), il a écrit non sans humour : « Du désagrément de vieillir : ou mes amis meurent, ou ils se font décorer. ».



Jean-Joseph Julaud, en 2008, a montré son excitation à la lecture de René de Obaldia : « Il faut dire que les mots qu’il emploie se retrouvent souvent… à contre-emploi. Utilisés dans une entreprise qui peut paraître légère (…), ils conduisent avec humour et malice à installer le lecteur en position d’observateur par rapport au langage lui-même. Ces mots, qui s’amusent entre eux (…), ne sont-ils pas les mêmes que ceux de la solennité, de la gravité ou de la componction ? Dans le sillage de l’écriture surréaliste, René de Obaldia délivre un message où la plus jubilatoire des fantaisies renforce, sans jamais l’exclure, la prudence et la lucidité nécessaires face aux mots qui se laissent si facilement emprisonner par les idées. ».

La douceur de l’amour des mots. Jérôme Garcin, dans "Le Nouvel Observateur" l’a décrite le 4 décembre 2008 : « Le comte René de Obaldia est vraiment un poète singulier et un être à part. Ni l’un ni l’autre ne veulent vieillir. Le dramaturge résiste aux modes et l’homme, au temps. (…) Cousin de Michèle Morgan, parolier de Luis Mariano, partenaire au cinéma de Louis Jouvet (…) et marié à une belle Américaine [qui a disparu en novembre 2012], on dirait qu’il a toujours vécu dans un univers parallèle, régi par d’autres lois que celles, affligeantes et déprimantes, du monde réel. Lequel, à l’en croire, est "immonde" et "pue". En somme, Obaldia est le plus enjoué des neurasthéniques. ».

Le style du dramaturge selon Jérôme Garcin : « On y parle l’obaldien vernaculaire (c’est une langue verte, savant et bien pendue, qui se décline en alexandrins, calembours et parodies). On y tient que l’absurde est plus sérieux que la raison. On y pratique un doux anarchisme. On y croise selon la saison Queneau, Jarry, Ionesco et Giraudoux. La religion officielle est le ramonisme, de Ramon Gomez de la Serna, pape espagnol de l’hilarité cosmique et thuriféraire des seins de femme. » (4 décembre 2008).

René Obaldia a précisé ce ramonisme : « Une réaction contre ce sentiment tragique de la vie. Il faut bien vivre, après tout. Donc si la vie est tragique de nature, on peut survivre grâce à cet humour particulier. ». C’est ainsi que pendant sa captivité en Silésie, il continuait à user d’un certain humour, juste pour rester en vie : « J’ai été hanté très tôt par le Mal. J’ai d’ailleurs passé quatre ans dans un camp nazi en tant que prisonnier de guerre et me voici devant vous, maintenant. J’en suis sorti. Le Mal est une de mes grandes préoccupations, d’autant plus que le monde est magnifique. (…) Effectivement, le monde est une splendeur. C’est l’Homme qui pose un problème. C’est celui du Mal, qui lui est intrinsèque, car le Mal n’existe pas dans la Nature. » ("Zone Critique", le 11 novembre 2017).

Oui, c’est vrai, René de Obaldia est le cousin de Michèle Morgan. Il a expliqué son lien de filiation lors de la remise de son épée d’académicien par Félicien Marceau au Théâtre de la Madeleine le 7 juin 2000, en présence évidemment de la grande actrice. Au milieu de l’explication généalogique (son grand-père maternel ayant eu des enfants issus de deux femmes), il s’est arrêté pour dire : « Premier lit, deuxième lit, troisième divan, cinquième canapé, pouf, fauteuil à bascule ; Ô manèges ! ». C’est encore un cœur d’enfant.

À cette occasion, il a aussi confié sa campagne pour être élu à l’Académie : « Qu’est-ce que j’ai pu faire pour en arriver là ?!… Mes visites… Ma première visite, je la consacrai à notre doyen de l’Académie française, Louis Leprince-Ringuet ; nous nous sommes longuement entretenus de l’antimatière . La seconde alla au merveilleux professeur Jean Bernard, il me donna une leçon d’humanité. La troisième, je la réservai au Révérend Père Carré, lequel, avec délicatesse, prit aussitôt mon âme en mains. Je ne tiens pas vraiment pour une visite officielle celle que je rendis à la chère Jacqueline de Romilly, ah ! son excellent bourbon, avec qui j’avais déjà noué des relations amicales. Ma quatrième visite… Mais non ! Comme il est écrit dans l’Ecclésiaste, il y a un temps pour parler et un temps pour se taire. ».

Original, l’auteur du très beau vers de la langue française « Le geai gélatineux geignait dans le jasmin » a commencé son discours de réception sous la Coupole le 15 juin 2000 ainsi, "ex abrupto" : « Le fait d’exister, de compter parmi les milliards d’individus qui s’agitent sur notre planète, est une aventure à la fois commune et singulière, et qui prête à réfléchir. Pour ma part, dès ma naissance, dès ma trouée dans ce bas monde, je fus ébaubi… Ébaubi non seulement de "voir le jour", après neuf mois de cécité absolue, mais de me trouver ex abrupto en Chine, dans une colonie britannique, Hongkong, flanqué d’un père panaméen et d’une mère française, originaire de Picardie. ».

Puis, il faisait part du paradoxe de son exercice du jour : lorsqu’il est reçu à l’Académie, le nouvel académicien doit faire l’éloge de son successeur. Or, celui-ci, Julien Green, qui avait cherché à 96 ans à démissionner de l’Académie sans succès (Maurice Druon et Alain Decaux le lui refusèrent), avait interdit « d’avance tout éloge, quel qu’il soit, prononcé par successeur lors de sa réception » ! Et René de Obaldia de se demander : « Devais-je me soumettre à cet oukase et, usant de cette liberté, vous entretenir des petits oiseaux, du temps qui passe ou encore : pourquoi ne pas exalter les vertus e mes autres devanciers, tous ces immortels qui furent un moment en chair et en os ? (…) Devais-je me conformer, ou bien outrepasser les volontés du trépassé ? ». Pour répondre à sa question, il s’est amusé à converser avec …Molière pour lui demander son conseil. D’où une parodie d’une pièce de Molière avec ce dernier et lui-même comme personnages.

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Dans un entretien le 4 mars 2015 avec Rodolphe Fouano, sur France Culture, René de Obaldia a dit comment il allait aborder son futur : « Ma vie fut assez passionnante, j’ai eu beaucoup de chance. Mais j’approche d’un terme. D’autant que je comptais sur ma femme pour me fermer les yeux et qu’elle est partie avant moi. Toute une vie merveilleuse passée ensemble a disparu d’un coup. Calderon a décidément raison : la vie est un songe ! (…) Ma mort interviendra bientôt maintenant, et c’est normal. (…) J’aimerais partir le mieux possible. Mais en soi, la mort ne me fait pas peur. Me revient le mot de Cocteau : "La mort ? Mais j’y suis habitué ! J’étais mort si longtemps avant de naître". Et puis il y a la boutade de Jean Paulhan : "La mort ? Pourvu que j’arrive jusque-là !". Au-delà de ces traits, demeure l’énigme, pour moi comme pour tout le monde. ».

Cette mort énigme. René de Obaldia a donné aussi un exemple : « Il y a souvent chez les grabataires, juste avant de mourir, des rémissions. Il me vient ainsi à l’esprit les derniers instants de William Blake, qui s’était dressé sur son lit de mort en s’écriant : "Je vais enfin savoir !" et qui est retombé d’un coup, foudroyé. » ("Zone Critique").

C’était mieux avant ? Au début de sa pièce "Monsieur Klebs et Rozalie", le personnage (qui a été joué par Michel Bouquet lors de sa création) referme son journal et déclare : "On ne peut pas dire que ça s’améliore !". L’occasion, pour René de Obaldia, de dire sur France Culture le 4 mars 2015 que non, ce n’était pas mieux avant : « Après l’hécatombe que fut la Seconde Guerre mondiale, comment aurait-on pu imaginer que l’on reviendrait soixante-dix ans plus tard aux guerre de religion ? C’est incroyable ! Je vais parler comme un vieux schnock, mais c’est un problème de valeurs bafouées. En vérité, le monde n’a jamais été très gai. Il ne faut pas céder au passéisme : homo homini lupus ! [L’homme est un loup pour l’homme] ça a été affreux à toutes les époques. Croyez-vous que la guerre de Cent Ans ou la peste bubonique n’ont pas été cruelles aussi ? ».

Interviewé par Guillaume Narquet le 11 novembre 2017 dans "Zone Critique" (déjà cité plusieurs fois plus haut), René de Obaldia cherchait à se définir : « Je suis toujours ébaudi d’être né, pour commencer, et ensuite, d’être Obaldia. Qui est vraiment cet Obaldia ? (…) Je crois que c’est Jérôme Garcin qui a le mieux compris ce questionnement quand il dit : "Obaldia est le spectateur incrédule d’une pièce qu’il n’a pas écrite, mise en scène à son insu et dont il joue le rôle-titre : sa vie". Je pense que cela résume bien l’état d’esprit que je porte en moi-même depuis longtemps. ».

Dans ce même entretien, il se disait très fier d’être au programme à l’école : « Il est très compliqué de choisir [parmi mes œuvres] (…). Mais je désignerais quand même "Les Innocentines" comme le fleuron de ma couronne, car, dans ce recueil de poèmes "pour enfants et quelques adultes" (…), je me suis vraiment mis au niveau des enfants, je me suis placé de leur point de vue et non du point de vue d’un adulte. Et le fait que ces poèmes soient repris dans les manuels scolaires représente un grand succès pour moi. » ("Zone Critique").

Il a d’ailleurs raconté la rencontre d’une amie d’une amie : « Cette dernière me dit : "Ah, je vous croyais mort !". Une fois de plus. Cela s’explique par le fait que son petit récitait un de mes poèmes en classe. Et à partir du moment où les poèmes d’un auteur sont récités en classe, on considère que cet auteur est mort depuis longtemps (…). Je reçois souvent, de classes entières, des poèmes à la manière d’Obaldia avec des illustrations et c’est tout à fait charmant. » (11 novembre 2017).

Cela dit, le titre de son prochain livre qu’il n’écrira pas sera selon lui : « Les Immortels meurent aussi. ». Mais j’espère le plus tardivement possible. Pour le moment, bon centenaire, le poète !


Aussi sur le blog.

Sylvain Rakotoarison (19 octobre 2018)
http://www.rakotoarison.eu


Pour aller plus loin :
Interview de René de Obaldia sur France 2 le 28 mai 2017.
Interview de René de Obaldia sur France Culture le 4 mars 2015.
Interview de René de Obaldia dans "Zone Critique" le 11 novembre 2017.
René de Obaldia.
Jean Paulhan.
René Rémond.
Marceline Loridan-Ivens.
François Flohic.
Françoise Dolto.
Lucette Destouches.
Paul Claudel.
Louis-Ferdinand Céline.
Georges Bernanos.
Jean-Jacques Rousseau.
Daniel Cordier.
Philip Roth.
Voltaire.
Jean d’Alembert.
Victor Hugo.
Karl Marx.
Charles Maurras.
Barbe Acarie.
Maurice Bellet.
Le philosophe Alain.
Marguerite Yourcenar.
Albert Camus.
Jean d’Ormesson.
Les 90 ans de Jean d’O.

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2 réactions à cet article    


  • Désintox Désintox 20 octobre 2018 15:24
    Hé ! Ho ! Sylvain Radotorarison.

    Vous avez oublié d’écrire votre article mensuel sur le 80 qui sauve des vies.

    Comment ? La mortalité routière a augmenté en septembre ? Malgré le 80 ?

    Vite ! Un article sur le 70 !

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