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Accueil du site > Culture & Loisirs > Culture > Retour sur le « 5 septembre », le film-événement allemand actuellement en (...)

Retour sur le « 5 septembre », le film-événement allemand actuellement en salles

Bingo ! La salle 5 pour le 5 (Mk2 Bibliothèque, Paris 13, entrée BNF) : je sortais samedi dernier, après avoir vu une expo-somme mêlant cinoche et arts plastiques sur « L'apocalypse », du 5 septembre (Munich 72). Produit par Sean Penn. C’est la Paramount (Pictures) qui distribue. Courez-y ! C'est une sorte de pendant, ou dérivatif (le bon terme étant certainement prequel : autrement dit l’avant), au Spielberg, Munich (2005, solide, même si un peu long et un poil balourd) qui, lui, axait sur la traque, par le Mossad, des terroristes palestiniens (le commando Septembre noir). On se souvient encore bien de son pitch (je reprends le dos de son DVD, sorti chez Universal) : Jeux Olympiques, 5 septembre 1972, un commando de terroristes palestiniens prend en otages puis exécute les 11 membres de l'équipe sportive israélienne, sous l'œil de téléspectateurs du monde entier. Inspiré de faits réels, Munich, cinq fois nominé aux Oscars, dont Meilleur Film et Meilleur Réalisateur, retrace le parcours de 5 agents israéliens chargés de traquer les 11 Palestiniens considérés comme les commanditaires de l'attentat. Pour mener à bien cette mission (l’opération Colère de Dieu), les 5 hommes devront renoncer du jour au lendemain à leur identité et s'exposer à tout moment à la vengeance de leurs cibles...

Alors que Munich signé Spielberg, le « roi du divertissement » (cinéaste américain chevronné d'origine juive ukrainienne, on lui doit également le chef-d’œuvre bouleversant La Liste de Schindler), se montrait, dans mon souvenir, un thriller particulièrement efficace et prospectif, porté par des comédiens charismatiques (Eric Bana, Daniel Craig, Mathieu Kassovitz, Geoffrey Rush), le jeune cinéaste (43 ans, né en 1982) suisse Tim Fehlbaum (inconnu au bataillon, de mon côté, j’avoue, jusqu'à présent), tout en misant sur le charme de la patine du cinéma seventies (un certain grain de l'image), se fait davantage, même s’il réalise pour autant avec September 5 une fiction menée tambour battant, « documentariste » - il filme comme pour un doc, caméra à l’épaule - en restant habilement collé à l'action, in media res comme on dit (immersion dans l'action, sachant que nous verrons seulement ici ce qu’en captent les caméras et les récits des reporters sur le terrain (archives) et sans que l'on sache tout de suite les tenants et les aboutissants de l’événement « nébuleux » dramatique en cours). Par exemple, on apprend qu’après un certain temps, quelles sont les motivations et revendications du commando terroriste fauteur de troubles : bref, c’est directement sur la prise d’otages mythique, filmée en direct par ABC, via son département Sport !, des 11 athlètes israéliens (attention SPOILER si l'on n'est pas féru d'Histoire contemporaine : tous morts + 1 policier allemand tué + 5 terroristes éliminés, un bandeau nous apprenant pédagogiquement ceci à la fin du film) pendant les Jeux Olympiques d’été 1972, avec, en écho, la gestion calamiteuse de l’événement par les autorités allemandes (les terroristes entamaient alors des négociations avec le ministre de l’intérieur de la République fédérale d’Allemagne), encore complètement obsédées, ça se comprend, par la Shoah  : pas de policiers armés directement sur le site olympique, les 15 000 qui ont été mobilisés pour la circonstance sont maintenus volontairement à l'écart, en simples réservistes, hors du périmètre olympique donc, juste 2 000 vigiles patrouillent, mais sans arme, à l'intérieur du Village olympique« Pas même une matraque en caoutchouc », se vantait alors Manfred Schreiber, le chef de la police munichoise), pour ne pas en faire un camp retranché, ou « de concentration », car trop de mauvais souvenirs...

Eh oui, nous sommes alors dans une Allemagne de la repentance et de la culpabilité, très bien personnifiée par la « tempête sous un crâne » de la journaliste allemande inquiète (Marianne Gebhardt), encore très marquée, voire hantée, par l’auto-accusation de l’extermination des Juifs (entre 5 et 6 millions de victimes) pendant la Seconde Guerre mondiale ; mais ne pas confondre le peuple allemand avec les nazis, il y eut, entre autres, des Oskar Schindler (cf. le Spielberg magnifique de 1993, emporté par la musique lyrique poignante de John Williams). Dans son regard troublé, se lit bien en elle cette interrogation de taille : « Des Juifs, dans mon propre pays, ne vont pas encore être massacrés » sans que l’on ne fasse rien ? Et il faut savoir que, la veille de l’ouverture des Jeux, une commémoration, sous le regard des médias du monde entier, fut organisée à Dachau, le premier camp mis en place par les Nazis, situé très précisément à 10 km de Munich. 

Quel est donc le pitch officiel (même si je viens en partie de vous le dévoiler) de September 5  ? : Jeux olympiques de Munich de 1972 (Allemagne de l’Ouest, du 26 août au 10 septembre, au passage ne pas oublier que les JO de 72 furent les premiers retransmis en live par satellite à travers le monde via, comme l’indiquait la pub à l’époque, « des vues en couleurs et inédites sur le village olympique  »), une équipe de télévision américaine se voit contrainte d'interrompre subitement la diffusion des compétitions, afin de couvrir la prise en otage en direct d’athlètes israéliens. Et il se trouve qu’à l’époque la concurrence est on ne peut plus rude entre chaînes, canaux et journalistes surexcités pour décrocher le scoop de leur vie - dans un premier temps, et de toute évidence, il y a du snobisme dans l’air, la direction de ABC aux États-Unis doute des compétences de ses reporters sportifs maison, plus calés en sport qu’en géopolitique (on s’en doute !), devant se faire soudain « grands reporters » politiques à l’international.

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Geoffrey Mason, brillamment interprété par John Magaro, un jeune producteur ambitieux aux commandes des seize heures de direct d’ABC. Photo (retouchée) de Jürgen Olczyk/Paramount Pictures France

Mais l’ambitieux jeune producteur Geoff (Geoffrey Mason, impeccable ; John Magaro, arborant la ride du lion entre les sourcils et des lunettes à grosses montures dans ce film), alors chef d’édition ambitieux âgé tout juste de 32 ans, devant faire ses armes sur un match de boxe sans grand intérêt, ne se démonte pas : pourquoi laisser cette « histoire » faramineuse se dérouler en direct, entre effroi et suspense, à d’autres, à savoir le service des infos, se trouvant à des milliers de kilomètres du terrain (le village olympique) de l’action ? D’un coup placé en première ligne, il est bien décidé - en termes de vérisme, il faut savoir que le réalisateur Fehlbaum a fait appel au vrai Geoffrey Mason« [Il] a été notre source principale. Il garde un souvenir très vivace de cette journée. Il a participé à l'écriture et supervisé les différentes versions du scénario. Nous voulions être le plus précis possible sur le déroulement des faits » - à profiter pleinement de cette occasion en or pour faire ses preuves auprès de Roone Arledge (c’est le boss de la bande campé par Peter Sarsgaard, très bien également), son patron et légendaire directeur de télévision. Avec sa collègue et interprète allemande Marianne (jouée subtilement par Leonie Benesch, quasiment la seule femme du film !, actrice germanique qu’on avait vue auparavant dans la troublante Salle des profs, 2024), et son mentor Marvin Bader (alias Ben Chaplin, excellent !), Geoff, entraîné dans une course contre la montre (il doit prendre des décisions capitales en un temps record), se retrouve confronté aux dilemmes de l’information en continu et de la moralité.

Avec 5 septembre, Tim Fehlbaum (après renseignements, deux de ses précédents opus Hell (2011) et La Colonie (2021) sont sortis directement sur plateformes, lorgnant du côté du genre de la science-fiction apocalyptique) mise à fond sur le réalisme, via une unité de temps (le 5 septembre) et de lieu (le studio télé ricain d’ABC Sports est quasiment le seul décor du film, le spectateur suivant en 1 heure 40 environ les… seize heures de direct avec la « team » d’ABC Sports !), pour narrer avec virtuosité, et sans didactisme lourdingue, ouf, la couverture par les médias, il y a de la concurrence (l’appât du scoop et de l’audience maximale !), de la prise d’otages en direct d’athlètes israéliens pendant les Jeux olympiques de Munich 1972, un événement suivi, accrochez-vous, par environ un milliard de personnes à travers le monde. Le film est en lice pour l’Oscar du Meilleur scénario original en 2025 - à mon avis, il a toutes ses chances !

Le choc des images, le poids des mots, et maux…

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Dessin paru dans « Le Canard enchaîné » n°5439, mercredi 5 février 2025, page 6, pour accompagner le film, sorti le jour même

Entrons dans le détail. Et, tout d’abord, avant d’en venir au film proprement dit, voici la chronologie historique des faits : le 5 septembre 1972, un commando palestinien fait irruption à 4h30 dans le village olympique, tuant deux athlètes israéliens (selon le film, quelques journalistes, ne dormant pas à ce moment-là, auraient entendu des coups de feu, mais, dans leur déni pour la plupart, les ont pris pour de simples pétards, en raison de la dimension festive des jeux) et en prenant neuf autres en otages ; au petit matin, les terroristes (visiblement pas très bien organisés) font connaître leurs revendications : la libération de 234 militants palestiniens et de deux membres de la Faction armée rouge, faute de quoi ils élimineront un otage toutes les heures ; à 17h, après avoir repoussé à deux reprises leur ultimatum, ils demandent qu’un avion soit mis à leur disposition afin de partir avec leurs otages au Caire (Égypte). Le 6 septembre, peu après minuit, après un transfert vers l’aéroport des terroristes et de leurs otages (athlètes et entraîneurs israéliens), un assaut mal préparé de la police (germanique, l’Allemagne ayant refusé le concours de l’État d’Israël) aboutit à la mort de la totalité des athlètes israéliens, d’un policier allemand et de cinq des huit terroristes. Pour rappel, un documentaire oscarisé en 2000, Un jour en septembre (1999) de Kevin Macdonald, avait déjà mis en évidence le fiasco de l’opération de sauvetage des forces spéciales allemandes, guère préparées, si ce n’est pas du tout, à gérer un tel événement. D’aucuns se souviendront également, peut-être, du téléfilm américain Les 21 heures de Munich, réalisé en 1976 par William A. Graham, sans omettre bien sûr la fiction spielbergienne de 2005. Bref, ce décidément « fantasmatique » 5 septembre a déjà connu pas mal d’adaptations !

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La « team » ABC couvrant, en septembre (5 et 6), l’affaire explosive de Munich 72. Photo Paramount Films

Retour au film de Fehlbaum, il en vaut la Penn, comme dirait Sean : dans l’équipe du petit studio TV bardé d’écrans, où ça bricole sec (montage, ô mon beau montage - c’était avant les facilités du numérique !), il y a l’acteur Zinedine Soualem, transfuge de chez Klapisch - cocorico ! - qui campe un certain Jacques (Lesgards), journaliste franco-algérien, ne manquant pas de caractère d’ailleurs, dans le studio tamisé du film, lorsqu’il reprend, doucement mais sûrement (l’ambiance est électrique), un confrère qui fait rapidement l’équation erronée, à la charge raciste, « Arabes = terroristes islamistes ». C’est la belle surprise de ce « film-dossier », et « long métrage-enquête », prenant de bout en bout et bénéficiant, on l’a vu auparavant, d’une solide distribution - joli travail d’équipe, au parfum international (Suisse, Allemagne, Angleterre, États-Unis, France, Algérie…) à l’instar des athlètes du monde entier réunis par le vecteur des JO, véritable « soft power » de concorde et d’amour, venus pour y briller, devant leurs familles, sur place, ou rivées à leur poste TV : le show attirera, histoire d’être précis, 900 millions de téléspectateurs, la foule sera aussi nombreuse, in situ, que pour un concert d’Elvis Presley, la star planétaire de l’époque (explicitement nommée dans 5), et la diffusion télé de « l’opération commando » fera carrément plus d’audience que Neil Armstrong alunissant en 1969.

Long qui a, en outre, le grand mérite, me semble-t-il, de ne pas être manichéen (les gentils d’un côté et les méchants de l’autre, c’est plus complexe) et l’ensemble, bien ficelé, vient questionner pertinemment, à l’ère du TOUT-montrer voyeuriste des chaînes d’info continue (ou « robinet à images »), la déontologie des journalistes, sur fond de fabrique de l’image et de l’info contemporaine. De toute évidence, en fin limier, Tim Fehlbaum, en montrant une chaîne d’info en continu avant l’heure - la régie Sport d’ABC, complètement dépassée par cette actualité inédite, voit effectivement sa rédaction « de fortune », faite de bric et de broc (on y voit, par exemple, un journaliste black, au look d’athlète américain, se faire passer pour un athlète afin de dissimuler une caméra 16 millimètres et ainsi griller les cordons de police) s’improviser en chaîne d’info continue - voit le 5 septembre comme le marqueur temporel, voire l’acte de naissance, de l’info en continu, pour le meilleur (informer, un devoir citoyen mondial) et pour le pire (les dangers du voyeurisme, alimenté par la pulsion scopique, aux dommages collatéraux évidents, dévoiler à « l’ennemi » ses plans - ce dernier, lui aussi, loin d'être con, regardant la téloche !).

Un mot justement du cinéaste là-dessus, qui soit dit en passant, alors qu'il était étudiant en cinéma à Munich à partir de 2002, a beaucoup fréquenté l’immeuble où s’est déroulée la prise d’otages, puisque ces appartements ont été carrément réaménagés en logements étudiants : « Ça me semblait particulièrement intéressant à raconter aujourd’hui dans un monde où l’avènement de l’information en continu et la disponibilité immédiate des images ont changé la façon de traiter les événements et contribuent à façonner l’opinion publique. (...) Le balcon où apparaît le terroriste cagoulé filmé par la télévision nous a parfois servi de décor. C'est une architecture iconique, intéressante à filmer. Il contribue à l'impact de ces images. J'en avais parfaitement conscience ». C’est ni plus ni moins l’avènement de l’info-spectacle en temps réel, avec un tournant radical à l’œuvre dans le traitement médiatique de l’information.

Entre objectivité journalistique (la soi-disant neutralité des journalistes), (re)création de l’Histoire (à leur façon : couvrir le drame, selon quel angle choisi ?, avec force détails et sens du cadre, l’un lance à l’autre - « Vas-y Kubrick ! », plus tard un autre journaliste s’interrogera à raison : « Si les terroristes tuent quelqu’un en direct, qui est-ce qui écrit l’histoire, eux ou nous ? ») et complicité à l’égard de la société du spectacle, demandant toujours plus de sensationnalisme, voire de violence exacerbée, pour faire de l’audimat, le « terrorisme live » rapporte gros. C’est passionnant. Franchement, on ne cesse de s’interroger devant ce 5 septembre, que ce soit en matière de journalisme, de cinéma, d’Histoire, de gestion des émotions afin d’éviter la haine de l’Autre et ses répercussions sur le champ du réel (le monde actuel, avec la reprise en force depuis le 7 octobre 2023, du douloureux, et mortel, conflit israélo-palestinien).

Munich 72, comme si on y était

Moult pistes réflexives proposées par ce film fort qu’est 5 septembre, la révélation cinématographique de ce début d’année 2025, en voici quelques exemples, venant se situer au niveau de la relation cinéma fictionnel ou documentaire/journalisme, du dialogue avec le temps présent (notre monde sous tension) et de la critique des médias (ausculter la fabrique de l’info, du vrai à la « fake news »), avec un soupçon d’amertume (je finirai d’ailleurs là-dessus).

Tout d’abord, au fond, ce studio télé, montré dans le détail dans 5 septembre au risque parfois même d’être un peu trop studieux et didactique dans son souci louable d’être très réaliste, fait penser à un studio ou un plateau de cinéma, sous tension : il y a ce qu’on montre et ce que l’on ne montre pas à l’écran (le champ et le hors-champ, l’une des grandes questions du cinéma de fiction pour tenir en haleine le spectateur). Ici, cameramen, producteurs, techniciens et traductrice sont sans arrêt à l’ouvrage - comme pour bricoler des radios ou traîner en loucedé une caméra en haut d’une butte pour apercevoir le village olympique et ainsi réaliser un plan d’ensemble acceptable, « Faire de la télévision à ce moment-là, dixit Fehlbaum, était aussi très physique. Les caméras, les câbles, tout le matériel était très lourd à transporter » - et le meneur de l’équipe Sports d’ABC, le futé Geoff, qui est relié à un studio new-yorkais, s’adresse même au (vrai) Jim McKay (c’est l’authentique newsman de 1972, via le recours aux archives TV, qui semble directement lui répondre) qui énonce les informations qui lui parviennent, ressemble fort, in fine, à une sorte de metteur en scène tout-puissant à la De Palma, tirant les ficelles d’un scénario en train de se faire, comme s’il s’adressait à son acteur principal, mis sous le feu des projecteurs.

Autrement dit, le 5 septembre ou quand le cinéma vient s’enrouler dans les codes de son « collègue » le journalisme pour parler, au passage, de lui-même, façon caméra-vérité en passant par le filtre de la fiction (… toujours mensongère ?). Pas impossible ici de penser à Picasso : « L’art est un mensonge qui nous fait comprendre la vérité […] ». Si Stanley Kubrick, réalisateur et photographe (1928-1999), est cité, Godard, qui avait le sens de la formule (« La photographie, c'est la vérité et le cinéma, c'est vingt-quatre fois la vérité par seconde... ») tout en étant fan de compétitions sportives (c’était un gros lecteur de L’Équipe), est inévitablement, en creux, de la partie.

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Qui pour distribuer les cartes ? Ici, l’équipe d’ABC chargée de la diffusion des JO de Munich, pour la chaîne américaine. Photo (recadrée) Jürgen Olczyk/Courtesy of Paramount Pictures

Autre chose, difficile de ne pas voir ce film subtil, évitant simplifications et caricatures (par exemple, on n’entend jamais le terme « Axe du Mal » pour nous dicter, comme à des gamins, et du temps des cow-boys et des Indiens, qui sont les Bons et les Méchants dans l’histoire), tout en se concentrant au maximum sur les vies individuelles prises dans la tourmente de l’Histoire collective, en pensant à l’actualité récente, liée aux chaînes d’info en continu. Par exemple, lorsque l’on voit le jeune producteur Geoff qui aperçoit à l’image, celle de la retransmission en direct, une télé allumée dans l’un des appartements occupés par l’un des fedayins palestiniens tout en s’interrogeant, à la fois perplexe et paniqué : « Est-ce qu’ils voient ce que nous voyons ? » « De quoi parles-tu ? », lui demande aussitôt un technicien, ce à quoi il répond tout de go : « Est-ce que les terroristes sont en train de regarder le direct ? » Difficile alors de ne pas penser au terroriste meurtrier Amedy Coulibaly qui avait certainement appris, lors de l’attentat sanglant antisémite de l’Hyper Cacher de la Porte de Vincennes en janvier 2015, par BFM-TV, que six personnes, afin d’éviter d’être prises en otages, se cachaient discrètement dans la chambre froide du magasin pour sauver leur peau. Ainsi, fait-on le jeu des terroristes, notamment en donnant des infos précises et précieuses à l’antenne, en diffusant les images et/ou en parlant de trop (logorrhée verbale) ? Alerte rouge. Tim Fehlbaum est d’ailleurs très conscient de cet enjeu-là, loin d’être anodin. Au Figaro, tout récemment (celui du 05/02/25), il signalait : « Beaucoup de journalistes qui travaillent dans des newsrooms m’ont confirmé à quel point les questionnements des reporters d’ABC à Munich sont les mêmes aujourd’hui. Que ce soit sur la terminologie, la façon dont on doit désigner ceux qui commettent ces attentats, ou sur ce qu’il faut montrer ou ne pas montrer de leurs agissements. À qui peut profiter ces images ? Quel est le meilleur délai pour les diffuser ? Toutes ces questions restent incroyablement contemporaines. »

Et, bien sûr, à moins de résider sur la planète Mars ou de vivre perpétuellement dans le monde tout doux des Bisounours, impossible de regarder le quatrième long-métrage de Tim Fehlbaum sans penser à la réactivation actuelle du conflit israélo-palestinien avec, en ligne de mire, l’horreur du pogrom du 7 octobre [1200 morts, 251 otages (en partie libérés, opération délicate toujours en cours), et un immense trauma collectif en Israël] puis sa conséquence, la destruction monstrueuse à grande échelle de Gaza (ville du Proche-Orient) pour traquer le Hamas (plus de 47 000 Palestiniens, dans leur très grande majorité des civils, tués - autre effroi XXL). Pour autant, et entre guillemets contre toute attente (source : Le Figaro #25 022, mercredi 5 février 2025, page 28, article « Munich 72, la terreur en Mondovision », propos rapportés par Étienne Sorin), ce film de f(r)iction qu’est 5 Septembre (qui porte bien son nom, du 5 sur 5 pour moi) n’est pas né de l’attaque du 7 octobre par le mouvement islamiste palestinien du Hamas et de la résurgence de la guerre intestine israélo-palestinienne. En fait, ce long-métrage aurait dû, apprend-on, être achevé en 2022 pour commémorer le massacre de Munich à l’occasion de son 50e anniversaire, mais le Covid-19, encore lui comme trouble-fête !, et d’autres aléas de production, ont retardé sa réalisation. Tim Fehlbaum dans le texte : « Nous sommes conscients du contexte politique et de la façon dont il peut affecter la perception du film. Mais 5 septembre se concentre sur le traitement médiatique d’événements historiques. »

Voit-on absolument TOUT sur le terrain ou bien est-on, a contrario, comme Fabrice à Waterloo ?

En effet, et c’est là le meilleur du film, à l’heure où le « journalisme citoyen » (possible cinquième pouvoir, celui qui dénoncerait justement, via Internet et l’opinion publique, le superpouvoir des médias, des grands canaux d’information et des grands groupes médiatiques tenus, pour la plupart, par des milliardaires) n’existait pas encore (1972, ou alors sous forme de balbutiements), ce film sur le 5 septembre, d’époque (c'était bien avant l'existence des réseaux sociaux, du streaming et du fait que n'importe qui à l'heure actuelle peut filmer avec un téléphone portable), vient habilement, dans ses marges, questionner les pouvoirs et les nuisances du journalisme mainstream officiel.

Devant, l’on ne cesse de s’interroger (alors même qu’à sa toute fin, apparaît une certaine amertume, voire un désenchantement, quant à l’activité journalistique en quête frénétique de succès d’audience, le patron de l’équipe (Roone Arledge/Peter Sarsgaard), dans les coulisses, et malgré le lourd bilan de l’attaque meurtrière, semble presque cyniquement se réjouir que leur direct spectaculaire ait battu la retransmission des premiers pas de l’homo sapiens sur la Lune) : peut-on tout filmer au risque de dévoiler, sans retenue, un carnage ? Doit-on privilégier l’immédiateté (le choc des images parlantes et révélatrices) ou le temps de la vérification des faits ? Quelles limites donner à « l’info-spectacle » ? En montrant tout, ne risque-t-on pas de nuire à l’efficacité des forces de l’ordre ? Qu’en est-il des rumeurs et des fausses infos (fake news) ? À quel point les terroristes profitent-ils du système médiatique mondialisé se nourrissant de la complaisance et du voyeurisme des journalistes « faiseurs d’images » pour faire valoir leur cause ? Un scoop peut se faire à quel prix ? Où est la morale ? Quelle histoire racontons-nous ? Pour qui filme-t-on ?

Bref, autant de questions vertigineuses qui se posent à nous, ce film, fort intelligent dans sa conception et son propos, ayant le grand mérite, somme toute, de laisser le débat, autour de cette surenchère médiatique en roue libre, ouvert. En outre, malgré le bain de sang final, les Jeux, un temps (court) suspendus, reprendront (décision officielle discutable, proche de la politique de l'autruche), presque comme si de rien n’était. Bouh.

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Le jeune Charles Biétry (âgé aujourd’hui de 81 ans), journaliste français et, dans les années 1980, figure de proue du sport, notamment du foot, sur Canal +

Aussi, je laisse le mot de la fin à son cinéaste de talent, Tim Fehlbaum, toujours dans Le Figaro précédemment cité (5 février 2025) : « Je ne sais pas si on peut parler d'une faillite d'ABC. Je pense même que sa couverture des événements est une réussite. Ces journalistes sportifs [à préciser que dernièrement Charles Biétry, journaliste français foot phare de Canal +, atteint depuis plusieurs années par l'épouvantable maladie de Charcot, a fait savoir, via son dernier livre publié (ses Mémoires), La Dernière Vague, qu'il était, alors jeune journaliste à l'AFP, au courant, avant tout le monde, pendant de longues heures du scoop mondial « Ils sont tous morts », par l'entremise du maire de Munich livide, Walther Tröger qu'il croisa par hasard à ce moment-là mais, à dire vrai, 5 septembre ne parle jamais de lui, ceci étant dit il est fort possible que la chaîne américaine ABC, à cette époque-là, ne recevait pas les dépêches de l'hexagonale AFP] sont parvenus à couvrir une crise avec une grande exigence et un grand professionnalisme. On ne peut pas les blâmer pour l'annonce erronée de la libération des otages. C'était une annonce officielle via une dépêche d'une agence de presse, reprise par la télévision d'État allemande. Bien sûr, il y a un débat pour savoir si cette information était confirmée à 100%. Nous montrons dans le film la vraie interview d'un officiel allemand qui confirme : « Il semble que l'opération soit un succès. » (...) Je tenais à faire comprendre au spectateur la technologie du début des années 1970, alors que nous sommes tous équipés aujourd'hui de caméras via nos téléphones. Il fallait réserver un créneau pour diffuser les images par satellite. » Bref, tout était (trop ?) lent, et alors hautement « cornaqué » par de hautes instances, dont les autorités politiques en place et le quatrième pouvoir (la presse et les médias mainstream).

Allez, à vous de vous faire votre idée avec ce drame politique, de solide facture, qu'est 5 septembre, actuellement en salles obscures (avis convergents ou divergents bienvenus, précisions, corrections ou addenda également).

5 septembre, drame (allemand/américain, couleur) de Tim Fehlbaum, en salles en France depuis le 5 février dernier, avec Peter Sarsgaard, John Magaro, Ben Chaplin, Leonie Benesch, Zinedine Soualem, Corey Johnson. ©Photos VD, d'après des sources diverses.

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